DOSSIER SUR PANIQUE
Philippe Krebs


par Philippe Krebs,    

 

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LE DERNIER GUERILLERO par Didier Daeninckx
AU SOMMAIRE DU NUMERO 2
EDITO EN COURS D’EVEIL
A TEMPS CONTE
BRUINE APHORISTIQUE OU LES ETINCELLES FROIDES
DOSSIER SUR PANIQUE
LE SUPPLICE
BEEFSTEACK AZTEQUE
DESASTRE
PLACE CONGO


 

" Ce courant n’a jamais eu d’existence réelle. "

" Tout le monde peut se dire " panique ", se proclamer créateur du mouvement, écrire " la " théorie panique. Chacun peut affirmer qu’il fut le premier à avoir l’idée de panique, à en inventer le nom, à créer une académie panique ou à se nommer président du mouvement. "

" Et moi, je trouve que là est la mission du poète : marcher à contre-courant, pour se tenir près de ces minorités, politiques, sociales, sexuelles, culturelles, qui sont montrées du doigt. "

Arrabal

Une exposition panique eut lieu à Lausanne, à la Galerie Humus (rue des Terreaux 18 bis, CH 1003 Lausanne), vraisemblablement en mai et juin 1999. C’est Roland Topor qui avait procédé à l’inauguration de l’endroit. La dernière exposition panique s’était déroulée en 1981, à Rennes. Notons qu’un réseau d’accointances paniques semble s’être constitué, au-delà des frontières de la France, du côté de la Suisse donc, mais aussi en Italie où Alberto Giorgi, galeriste et ami proche de Topor est en train de constituer une vaste collection d’œuvres et de documents, ainsi que chez nos amis belges, à la Galerie " Le salon d’art " (et de coiffure) où Jean Marchéty a publié des livres où intervenaient Olivier O. Olivier, Topor et Zeimert.

" Le panique trouve son expression la plus complète dans la fête panique, dans la cérémonie théâtrale, dans le jeu, dans l’art et la solitude indifférente. "

" Je proclame dès maintenant que " panique " n’est ni un groupe ni un mouvement artistique ou littéraire ; il serait plutôt un style de vie. Ou plutôt, j’ignore ce que c’est. Je préférerais même appeler le panique un anti-mouvement qu’un mouvement. ".

Anti-définition panique, Fernando Arrabal, in Le Panique, 1973

Un jour, Diego Bardon, né en 1943 à Fuentes des Maestre, en Espagne, matador révolutionnaire panique se refusa à tuer le taureau, préférant lui tendre une feuille de salade. Esclandre dans l’arène ... La provocation panique a prouvé sa capacité à heurter la raison et à débloquer l’imaginaire. Panique est une provocation constante qui sait frapper l’esprit à l’endroit limite où la raison frôle le domaine de l’intuition, et tente encore de dessiner l’esquisse du mouvement d’un univers qui nous porte là où bon lui semble. Notons qu’aujourd’hui l’homme semble avoir compris la nécessité, l’urgence d’aller voir ailleurs ce qui s’y passe. Panique, c’est cela, l’ouverture à l’ailleurs. Toujours est-il que Bardon fut invité par une association protectrice des animaux. En bonne grâce, devant un parterre d’invités convaincus, il se lança dans un court discours qui consista, sous l’œil stupéfait de l’assistance, à tordre le coup à quelque malheureux volatile. Esclandre dans l’arène des hommes, comme dans celle des animaux...

Dans la vie comme dans l’art, Panique a été/est/sera toujours irrévérencieux, n’obéissant qu’à une seule logique, la logique interne qui régule l’immense flot des songes et qui prend à contre-pied la réalité percluse dans un monde de carton-pâte. Pour un esprit sain , théoriser panique ne peut conduire qu’au refus ou au rejet, et il est impossible de théoriser la mouvance d’un fleuve où se mêlent la multitude des cours d’eau ; au mieux est-il possible d’en dessiner imparfaitement la courbe tonale avec la pointe d’un pinceau transparent. Panique se déploie, délaissant la carapace du personnage, pour tenter d’investir le monde par la personne. Explication dans Panique et poulet rôti (1964), d’Alexandro Jodorowsky, par un étrange parallèle qui nous mène du côté d’Unamuno, " précurseur panique ", père de la cocotologie ou origami : l’art de plier le papier. Du papier comme élément, toutes les formes possibles peuvent surgir : du lion à l’homme, en passant par des figures abstraites. Le carré originel de papier (ou " ovule-carré ") correspondrait à la personne et les cocottes seraient les personnages ; " un personnage est toujours une forme stéréotypée de la personne sans cesser d’être une personne. Il adviendrait que le lion de papier puisse dire : " Je suis un lion " sans comprendre qu’il est l’ovule-carré. Ce serait un cas de forme identifiée à sa forme. Ainsi les personnages s’identifient à leurs plis. L’homme panique tâche de parvenir à l’ovule-carré, il y parvient grâce à l’euphorie panique qui est comme un déploiement, comme une cocotte qui se déformerait en suivant ses plis. "

PANIQUE ?

-  C’est la vie.

-  C’est aussi le désordre, le chaos, une certaine brutalité amoureuse gorgée de fécondité et surtout une part immense de démesure et de rêve.

Panique, c’est Roland Topor, Alexandro Jodorowsky, Fernando Arrabal, Olivier O. Olivier, Christian Zeimert, Diego Bardon, Sam Szafran, Abel Ogier, Michel Parré, Roman Cieslewicz, Jérôme Savary,..., une nuée d’individualités riches douées d’une philosophie de vie et d’une force de préhension des choses singulière(ou peucommune), à l’instar des surréalistes qu’ils côtoyèrent une fraction de seconde, juste le temps de s’enfuir loin du dogme et de la figure patriarcale d’André Breton.

Panique, c’est l’œil de l’inconscient qui appréhende le Réel les paupières closes, assisté par l’œil du conscient, ému de se voir ainsi révélé. C’est encore la quête expressive de l’homme, l’interrogation des formes humaines, celles du corps et de la pensée.

La genèse du panique comme de tant d’autres mouvements se trouve dans les cafés populaires, au Café de la Paix à Paris plus précisément. C’est dans ce lieu " avec son décor baroque et son garçon noir habillé en " turc " " qu’Arrabal, Jodorowsky et Topor, à partir de 1960, mus par une volonté commune d’expression et d’idées, mêlèrent leur folies respectives.

Panique sera ce lieu mythique d’un métissage originel des cultures par la parole artistique. Quand Roland Topor, Alexandro Jodorowsky, Arrabal, Cieslewicz se rencontrent, ce sont des pans entiers du monde qui copulent en esprit à travers leurs origines, leurs identités. Et l’art est le point central du dialogue et de la confrontation : plus la vie se mêle à l’art, plus les formes mises en jeu se rappellent à la vie et défient la mort.

Topor nous narre la confluence des désirs, les cheminements éloignés qui se recoupent pour finalement se resserrer plus encore. L’amitié naissante sera le terreau où s’épanouiront les plantes protéiformes de ces amoureux désordonnés de la vie, en une fresque panique ininterrompue. Panique sera la possibilité de créer sans jamais redouter l’enfermement de l’œuvre - l’artiste lui est plus souvent en péril, sujet aux attaques et aux emprisonnements.

" Je travaille à Hara-Kiri, je reçois un livre d’Arrabal, L’Enterrement de la sardine qu’il m’envoie avec admiration et sympathie. Je ne sais pas comment il est ni son âge, et je lui envoie un dessin. Ensuite, un type me téléphone, soi-disant son secrétaire -et en réalité un copain à lui nommé Fedorov- et on se donne rendez-vous au Saint-Claude, boulevard Saint-Germain. On découvre qu’on a des goûts communs : Hara-Kiri, la science-fiction, les romans noirs, Lewis Carroll... On se dit que fonder un mouvement serait intéressant : quand on est un simple petit individu, on se trouve bien faible face à la clientèle, au public, à ceux qui représentent et gèrent tout ça. Quand un type veut faire une exposition, les gens peuvent lui refuser, dire que non, ils n’aiment pas. S’ils ont affaire à un groupe, ils ont davantage peur de se tromper. Donc, nous élaborons le projet, mais comme nous sommes contre tout mouvement, celui-ci sera faux. Sera un " non-mouvement ". On veut même déposer chez un notaire ou huissier la preuve de sa non-existence, et puis c’est trop compliqué.
A ce moment, on rencontre Jodorowsky. Il arrive du Mexique pour mettre en scène Les garçons de la rue, Les trois Ménestrels, je ne sais plus. Au Mexique, il a monté Fando et Lys d’Arrabal. Il travaille dans la bande dessinée. C’est lui qui trouve le nom Panique. Le mot vaut bien un manifeste. Pour les uns il évoque la terreur, pour les autres le dieu Pan, le grand tout, le rire panique, les fêtes paniques...Ce mot, c’est bien, il est libre, il laisse libre, on peut le charger de ce qu’on veut.
Avec Panique, nous essayons de mettre sur pied un programme, suffisamment flou pour ne pas être acculé à le suivre, mais pas trop tarte, pour qu’il se maintienne harmonieusement tout en favorisant nos épanouissements respectifs. Ensuite, comme de juste, nous cherchons quelques compagnons de route, des types marrants sans nous laisser piéger, c’est-à-dire sans oublier qu’il s’agit d’un faux-mouvement... Seulement, les gens y croient, ont envie d’y croire, si bien que le mot finit par leur appartenir. On a l’impression de saboter quelque chose qui appartient à la communauté si on dit que ce n’est rien. En fin de compte, on a ressenti l’air du temps, précédé la mode de la dérision, des machines à sous, de la B.D., du mauvais goût... "

En 1961, Arrabal fréquente les surréalistes dans leur café, La Promenade de Vénus.

L’année suivante Février 1962, Jodorowsky, Arrabal et Topor décident de se servir du mot " panique ", mot d’usage semi privé, parce qu’aucun d’entre eux ne désire fonder ni groupe ni école artistique.

Pourquoi le mot " panique " ?

" En l’honneur du dieu Pan, le dieu de l’amour, de l’humour et de la confusion. Pan, le tout, la cosmicité, cosmis city. La seule obligation de Panique était de citer Pan dans chacune de nos œuvres. A part cela, aucun manifeste, aucune définition. "

Panique, c’est donc avant tout le dieu Pan (dieu grec ; en grec, Pan = " tout "), le dieu de l’amour, de la confusion. Mi-homme, mi-bouc, il bondit de rocher en rocher, se cache, toujours à l’affût des nymphes. Il s’agit d’une créature des bois, au visage barbu, au corps velu, et aux pattes pourvues de sabots fendus. Son activité sexuelle est débordante ; Pan est une figure bisexuelle. Ses attributs sont le syrinx (flûte à sept tuyaux, connue désormais sous le nom de " flûte de pan "), le bâton du berger, la couronne et le rameau de pin. Pan passait pour effrayer les esprits à cause de ses nombreuses apparitions. Il déchaînait à la fois les rires et inspirait la terreur.

Platon compare Pan au " langage double, vrai tout comme faux. "

-  Septembre 1962 : première impression du mot " panique " dans le sens que lui prêtent ses auteurs dans Cinq récits paniques que publie Arrabal dans la revue La Brèche, dirigée par André Breton.

Cette manière de vivre admet les extrêmes, et même la contradiction des extrêmes :

" ...L’intelligence panique est capable d’affirmer deux idées contradictoires en même temps, d’affirmer un nombre infini d’idées, de n’en affirmer aucune. "

" ...Les concepts de " dignité ", de " respect " et de " pudeur " n’appartiennent pas à l’homme panique. Lui-même ne se reconnaît pas indigne, impudique ou irrespectueux. "

Définissant ses propres règles et rejetant de nombreux concepts, l’homme panique est à même de s’ouvrir à la totalité.

Le théâtre est l’art total par excellence, puisqu’il lui est possible d’intégrer toutes les formes d’expressivité humaines, de rendre à l’homme une vision de l’homme faite de chair et d’os, de souffle, de mouvement, de silence... Aussi, Panique trouvera dans l’art théâtral une terre d’accueil privilégiée où tous les excès, c’est-à-dire les expérimentations, seront désormais possibles, dans le même élan, celui de la révolte tournée vers la liberté.

Théories paniques :

Fernando Arrabal, lors d’une " causerie " donnée en Australie dans un cadre universitaire, livre les premiers linéaments de la philosophie panique tels qu’ils lui apparurent quelques jours après l’écriture du 24ème labyrinthe de Fêtes et rites de la confusion.

ARRABAL

1963

L’HOMME PANIQUE

(Compte-rendu de la causerie donnée par Arrabal à Sydney University, en Australie, au mois d’août 1963)

Ce texte rend compte de la genèse arrabalienne sinon d’une théorisation du Panique, tout au moins de l’élucidation des mécanismes de pensée qui le conduisirent vers Panique.

Tout part d’un texte de l’auteur : " Au commencement il y eut un texte : le récit le Bûcher (24è labyrinthe de mon livre Fêtes et rites de la confusion)."

Un homme raconte, à la première personne, un événement passé. Seul, dans une pièce, en face de son lit , il observe des centaines d’yeux qui glissent du plafond vers le sol. A l’extérieur, un bûcher est allumé, et on entend les cris de ce que le narrateur imagine être " les cris des danseurs " sautant par-dessus les flammes. Tout-à-coup un " gros oiseau " intervient dans la pièce, vole au-dessus du lit. L’homme s’identifie à l’oiseau qui, au bout d’un moment s’envole, " cri rauque et douloureux ", à la vue d’un œil. L’oiseau se consume, dans le même temps que l’homme est en proie à de fortes douleurs cervicales. On recueille les cendres de l’oiseau. Soulagement.

" Je remarquai que les cendres remuaient. Enfin elles s’agitèrent : un bec surgit, puis la tête, le bout des ailes ; bientôt l’oiseau renaquit de ses cendres. Il semblait plus beau, il se dressait plus fièrement que jamais.

" Je m’assis sur la chaise et je compris le mécanisme de ma mémoire, de mon Phénix. "

A partir de ce texte, va s’ensuivre une réflexion sur la mémoire, sur le hasard, pour mener en définitive à la confusion.

Notons qu’en 1961, Arrabal publie aux éditions du Terrain Vague, Fêtes et Rites de la confusion, entièrement axé sur la mémoire. Arrabal y raconte la mémoire d’un voyage parmi trente-six labyrinthes initiatiques qui permettent le passage du passé, au présent et au futur.

La mémoire encore, Arrabal la retrouve en érudit dans l’immense palimpseste de la mythologie. Un tableau va éveiller, puis orienter sa réflexion :

URANUS (le ciel)____________________________________________ GEO (la terre)

Chronos (le temps) l’Océan Hyperlon Thèmes Japet Prométhée Mnémosyne (la mémoire)

La Mémoire est la sœur du Temps. Par ailleurs, la Mémoire est " la seule faculté humaine qui figure parmi les Titans, fils du ciel et de la terre, et pères des dieux. Ce livre m’apprit encore que Zeus (fils du Temps) séduisit Mnémosyne (la Mémoire). Fruits de cette union, naquirent les neuf muses. Ce détail allait prendre pour moi une certaine importance. "

La relation incestueuse qui lie la lignée du Temps à la Mémoire aura-t-elle déclenché, par sa consanguinité, le désordre monstrueux qui est à l’origine du hasard et de la confusion qui règnent en maître sur terre ?

Toujours est-il que par la pratique d’un jeu qui consiste à prendre des membres épars de phrases dans plusieurs livres, Arrabal se livre, à travers cet étrange processus alchimique, à la création d’associations, afin de former une phrase cohérente du point de vue grammatical. Ainsi, il obtint la formule suivante : " L’avenir agit en coups de théâtre. "

De cette proposition, Arrabal fit la déduction que le hasard et la confusion indistinctement déterminaient l’avenir, et par voie de conséquence le présent et le passé (ex-avenir).

Il en vint à penser que "tout ce qui est humain est confus par excellence" (p.42) et, poursuivant son raisonnement, il en vint à rajouter que "toute tentative de perfection est une activité tendant à créer une situation artificielle (de non-confusion) : c’est donc une entreprise inhumaine. "

Arrabal érige petit à petit, dans un jeu de piste réflexif, une théorisation personnelle des relations entre les facultés humaines et les schémas du temps :

-  le Passé ramène toutes les facultés à la mémoire (l’imagination : faculté de combiner les souvenirs ; l’intelligence : faculté de servir la mémoire ; la volonté : tentation de la mémoire de collaborer avec le hasard ; la sensibilité : contemplation critique de la mémoire personnelle).

-  le Futur se compose de deux éléments : la mémoire prévisible (statistiques : ce que nous supposons qui doit arriver) et le hasard (part fondamentale du futur : confusion et inattendu).

De cette schématisation, deux problèmes essentiels découlent :

-  quelles sont les règles du hasard ?

-  quels sont les mécanismes de la mémoire ?

Arrabal, " fou mathématique ", se propose de résoudre ce problème par la voie de l’art, envisageant des équations mathématiques qualifiées par l’auteur de " plaisanteries " ou " pirouettes " mathématiques. Ce qui donne la première conclusion suivante : " l’homme c’est le hasard ". (p.45)

Ensuite, soumettant son raisonnement aux " dernières hypothèses émises à propos des mécanismes de la mémoire " (p.46), il en tire les conclusions que LE SUPPORT DE LA MEMOIRE EST LE SUPPORT DE LA VIE : explication chimique des mécanismes de la mémoire qui présuppose la fixation des souvenirs " par certaines modifications de structure dans les composantes de notre cerveau ". Ce serait l’acide nucléique qui, dans le noyau des cellules, matérialise le programme à partir duquel un être est capable d’en fabriquer un autre semblable à lui.

Combinant cette découverte avec sa plaisanterie mathématique, Arrabal en arrive au résultat définitif qu’il qualifie d’" humainement satisfaisant " :

LA VIE EST LA MÉMOIRE

ET L’HOMME EST LE HASARD

La boucle est bouclée, le retour au texte initial est achevé (24ème Labyrinthe des Fêtes et rites de la confusion), et l’acte créateur panique va s’appuyer sur ces deux composantes.

L’acte panique sera éclairant ou ne sera pas. L’artiste, en nourrissant son œuvre des mécanismes du hasard, éclairera malgré lui " l’imprévisible, le futur, tout ce qui sera demain. "

***

Nous le voyons, les voies qui mènent à Panique sont sinueuses et laissent déjà présager les nombreux détours que prendront R.Topor, F.Arrabal et A.Jodorowsky, cherchant par les moyens les plus fous et les plus divers à exprimer leur intériorité par l’art. Tous les médiums seront bons pour cela : le théâtre bien sûr avec une multitude de pièces pour Arrabal ; des mises en scènes aussi pour Alexandro Jodorowsky qui avait déjà monté une centaine de pièces, avant 1960, au Mexique ; pièces parmi lesquelles figurait Ionesco, Arrabal, Stringberg, Beckett, et des classiques. Roland Topor écrira aussi pour le théâtre et fera des mises en scène comme l’Ubu Roi au théâtre national de Chaillot.

Les paniques s’empareront également du cinéma, tous trois livrant de très belles œuvres, dont Viva la Muerte et J’irai comme un cheval fou pour Arrabal ; La Montagne sacrée, El Topo et Santa Sangre pour Jodorowsky ; et l’inénarrable Planète sauvage pour Topor, en compagnie de René Laloux. Toutes ces œuvres, par leur maîtrise, leur plastique, leur appel à des univers très personnels, sont des œuvres initiatiques qui mettent en jeu la traversée du monde, le cycle de la vie, le rapport aux semblables, la dérision.

La liste est longue, incomplète, et l’on se perd déjà dans le labyrinthe panique.

Pan, ce sera ce tout, ce rapport épidermique à la totalité, ne se refusant jamais à se nourrir des forces véhiculées par l’inconscient qui font dire aujourd’hui encore que nous ne sommes pas si loin des temps primitifs.

Le serpent panique a achevé de se mordre la queue.

Les reconnaissances fortuites de l’histoire et les accointances avec le groupe des surréalistes, tout cela Panique l’a généré, dans le même temps qu’il le détruisait ou le faisait disparaître, se jouant des effets de mode, assumant seulement son existence hérétique au sein d’une société mue par les académismes. Aujourd’hui, Panique a sombré dans l’oubli. Hégémonie du surréalisme ou logique d’un mouvement informel qui soutient n’avoir jamais existé ? Panique s’est toujours attaché à ne conserver de son histoire que la trace d’un spectacle éphémère, semblable en cela à celle du serpent sur le sable, trace de l’indicible dans la mémoire du spectateur, ne laissant ainsi presque nulle preuve écrite d’un mouvement qui naquit et s’éteint comme un songe, tentative ultime de conjurer le réel. Il serait grand temps qu’en France, on se décidât enfin à republier, c’est-à-dire à rééditer les ouvrages des paniques - ce qui se passe pour les œuvres de Topor, puisqu’il est mort.

Enfin, Jean-Jacques Daetwyler, dans son ouvrage consacré à Arrabal, évoque la contradiction d’un théâtre qui, très joué, souvent monté par les plus grands metteurs en scène comme par les anonymes des théâtres universitaires, ceux-là mêmes qui feront peut-être le théâtre de demain, se heurta en même temps à l’incompréhension d’un part de la critique :

" Adoré par les uns, détesté par les autres, le théâtre d’Arrabal est joué aux quatre coins du monde : de Paris à Prague, de Scandinavie en Italie, aux Etats-Unis, en Egypte, en Afghanistan, aux Philippines, au Mexique, et nous en passons. Il est vrai que l’Espagne, son pays natal, l’ignore- ce qui n’est pas sans peser lourdement à l’auteur. Souvent aussi la critique française a manifesté fort peu d’enthousiasme.
Pourtant quelques uns des plus grands metteurs en scène de notre époque ont monté Arrabal : Jorge Lavelli, Jérôme Savary, Victor Garcia, Peter Brook, Jaroslav Gillar, Pierre Fränckel, pour ne citer que ceux-là, sans parler de la multitude des troupes universitaires, qui ont eu le " coup de foudre " pour ce théâtre somptueux, fascinant, dévorant...
Ce sont parfois les gens du tiers-monde qui l’ont compris ou même joué le mieux. Lavelli et Garcia viennent d’ailleurs d’Amérique latine. Comme Arrabal aime à le répéter, son théâtre est un théâtre " sauvage ", un théâtre de la terre et du cœur, qui ne fait pas forcément vibrer l’Occidental- industrialisé, technologisé, intellectualisé.
Et cependant, Arrabal a trouvé d’emblée des gens pour aimer ses pièces- André Breton par exemple, qui se disait pourtant réfractaire au théâtre -, des gens aussi pour les éditer et les jouer."

photographie du peintre Christian Zeimert

Hasta siempre la vittoria panica !

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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