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Entretien profilé Stéphane Bourgoin, profession : chasseur de serial killers par Philippe Krebs,
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Quel est intérêt de s’immerger dans le monde des serial killers, si ce n’est pour mieux connaître ce qu’ils sont, c’est-à-dire une partie de nous, une extrémité de l’homme, une partie terrifiante qui outrepasse lois, raison, tabous, morale, une part d’ombre, une part de terreur à l’état pur. Lire un tueur en série ou l’entendre parler de ses actes et s’exprimer froidement, placidement sur ses meurtres, sur ses actes le plus souvent farouchement déterminés, revient à lire l’illisible tant la distance est immense qui nous sépare de ces hommes, des femmes aussi mais plus rarement, qui commettent l’irréparable et qui ne semblent pas broyés par le poids de la faute à porter. Nous nous sommes entretenus avec Stéphane Bourgoin, qui a rencontré plus de cinquante serial killers, dont les plus tristement célèbres, Ted Bundy, Ed Kemper (qui inspira le personnage de Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux), OTis O’Toole... Assumant pleinement son travail pour le moins morbide, c’est un homme réservé, ne laissant paraître de lui et sur lui que peu de choses, que nous rencontrâmes dans sa librairie spécialisée dans le roman noir, le 3ème Œil, un après-midi pluvieux, à demi-malades après une nuit entière à déambuler ivres dans les rues de Paris. Inutile de préciser que cet état nauséeux du matin ne nous quitta plus jusqu’au soir. Hermaphrodite : " Pourquoi avoir choisi le nom de 3ème Œil pour votre librairie ? " Stéphane Bourgoin : " C’était à cause du bouquin de Lobsang Rampa (édité en France par Albin Michel en 1957). A l’époque, il y a 25 ou 26 ans, le polar était considéré un peu comme de la sous-merde. On a été la première librairie à se spécialiser en France, et même en Europe dans le domaine du polar. Le 3ème Œil, c’est tout simplement parce qu’on lit avec les deux yeux, et on s’est dit qu’il y avait besoin d’une troisième voie. Voilà, ça sonnait bien ! Avec mon copain François Guérif, qui maintenant préside les éditions Rivages noir et qui est l’éditeur français de James Ellroy. " H. : "Est-ce que vous liez le terme de serial-killer au domaine de la tératologie ?" S. B. : " Non, pas du tout. C’est uniquement parce que je me suis trouvé personnellement impliqué avec les serial killers, tout simplement parce que ma compagne a été violée, assassinée, et découpée en morceaux par un tel individu, que je me suis intéressé aux serial killers, sinon j’avais déjà cette librairie spécialisée en romans policiers à l’époque. Donc en fait, c’est un peu le hasard qui a fait que..." H. : " On se posait justement la question de connaître vos motivations... " S. B. : " C’est la motivation principale. " H. : " Etait-ce un serial killer français ? " S. B. : " Non. C’était un serial killer américain. Je vivais à l’époque aux Etats Unis. Mon copain François Guérif tenait la librairie et je travaillais dans une société de production de cinéma à Los Angeles et à New York. Ma compagne a été victime d’un tueur en série américain, le terme n’existait même pas à l’époque en 1976. Deux ans après j’ai appris qu’il avait tué une dizaine d’autres jeunes femmes, puisque je croyais que c’était un crime unique au départ. Puis j’ai eu accès à ses aveux, il n’y avait pas de mobile, pas de motifs évidents donc j’ai cherché dans tous les instituts de criminologie, aussi bien à Washington, Stanford que Paris. Je n’ai trouvé aucun ouvrage, aucun article de psychiatre, de psychologue sur le sujet. Cette unité du F.B.I que l’on voit dans Le Silence des agneaux n’existait même pas encore. Donc je me suis dit qu’il fallait que j’en apprenne davantage sur ce type de tueur sexuel, et j’ai pensé que la meilleure façon de poursuivre mon dessein était d’aller les interroger. A l’époque je publiais et traduisais beaucoup de nouvelles et de romans de Robert Bloch, auteur de Psychose, qui par la suite est devenu le parrain de mon fils et chez qui j’ai habité après mon drame personnel. Il avait parmi ses fans des dizaines de policiers, car il écrivait des romans policiers depuis les années 40, et il m’a présenté à ces policiers. Je leur ai expliqué ce que je voulais faire et ,comme les Américains sont dans un premier temps plus ouverts que dans d’autres pays, ils m’ont permis de les suivre en tant qu’observateur, de lire des dossiers de police, de les accompagner en prison pour rencontrer des criminels sexuels. Par la suite, ils m’ont permis d’obtenir mes premières autorisations et depuis 1979, j’ai questionné, interrogé entre 40 et 50 serial killers à travers le monde. Au départ, ce qui était pour moi une véritable catharsis personnelle, est devenu quelque chose qui me passionne véritablement depuis une dizaine d’années. " H. : " C’est assez étrange dans la mesure où vous possédez déjà une culture du polar à la base. " S. B. : " Oui. Et maintenant, je suis à l’origine de la première conférence au monde sur le thème des serial killers, où il y avait 300 flics, profilers, psychologues du monde entier. Maintenant, j’ai de plus en plus de portes qui s’ouvrent, je travaille depuis deux ans pour les gendarmes en tant que formateur, pas sur les enquêtes. " H. : " Avez-vous suivi une formation en psychologie ? " S. B. : " Non, j’ai suivi des cours au F.B.I. à Quantico, mais sinon je n’ai aucune formation, aucun diplôme, je suis strictement autodidacte. J’ai bien essayé de lire quelques bouquins de psycho, mais je n’ai rien compris. " H. : " C’est surtout le fait de vous être entretenu par la suite avec des psychologues ? " S. B. : " Oui. Et je me suis aperçu que j’étais assez doué pour ce genre d’interrogatoires. J’ai acquis mon expérience sur le terrain. Parce que la plupart du temps, pour chaque tueur, c’est minimum 100 voire 150 d’heures d’entretiens. Par exemple, pour Ed Kemper, j’ai 150 heures d’entretiens avec lui, dont 60 heures filmées. " H. : " Ces bandes sont-elles seulement à l’usage de la police ? " S. B. : " Non, j’ai fait pas mal de documentaires : sur Kemper, il y a 4 minutes d’interview, dans un documentaire que j’ai réalisé pour France 3 sur les tueurs en série à la fin des années 80, le premier documentaire de la télévision française sur le sujet. Après j’ai fait un 22 minutes pour Arte, rien que sur Kemper. Récemment j’ai fait un autre documentaire dans les Documents du dimanche, qui passe à 22 heures 30 le dimanche soir. J’ai fait un 52 minutes, sur les serial killers en Afrique du Sud ; c’est ma copine profiler, Nikki Pastornius, dont j’ai signé un portrait, puisque la plupart des flics qui travaillent sur ce genre d’affaires, je les connais personnellement depuis 10, 15 ans. Ce qui fait que j’ai accès à des choses auxquelles même les journalistes locaux n’ont certainement pas accès. " H. : " Dans votre ouvrage, Serial Killer, nous avons pu lire le titre d’un livre intitulé Alone with the devil. Est-ce ainsi que vous définiriez votre position par rapport à ceux que vous rencontrez ? " S. B. : " Non pas du tout, je ne considère pas du tout être en face du Diable, ce sont en fait des êtres humains, des psychopathes, la plupart du temps. " H. : " En parlant de Georges Schaefer... " S. B. : " C’est l’exception, c’est la seule fois où j’ai eu l’impression de me retrouver face à une aura maléfique. " H. : " Vous parlez dans votre livre d’"incarnation du mal absolu". " S. B. : " Oui, car je l’ai ressenti physiquement, comme un choc psychique que je n’ai jamais connu depuis, et le cameraman, la preneuse de son qui m’accompagnaient, étaient dans le même état. J’ai vraiment eu la chair de poule pendant les dizaines d’heures d’entretien, un choc psychique que je ne peux m’expliquer, c’est du pur Stephen King ou du Dean Koonz. C’est la seule fois où j’ai ressenti ça, alors qu’il est d’abord charmant, souriant. " H. : " Par rapport à votre manière de travailler, de préparer les entretiens, quel est votre " mode opératoire " ? " S. B. : " Je ne travaille pas sur des enquêtes, quelquefois je les accompagne, mais je ne travaille jamais sur le terrain. Je ne résous pas d’enquêtes. Mes seuls liens consistent dans la formation d’officiers et de sous-officiers de l’Ecole de la Gendarmerie nationale, sur tout ce qui concerne l’analyse de scènes de crime. Je fais la même chose en Afrique du Sud. " H. : " Par rapport à Georges Schaefer, votre modus operandi, votre manière de procéder diffère selon la personne, quelle est votre manière de travailler ? " S. B. : " De toute façon, avant de les rencontrer, j’ai en main tous les dossiers, ce sont des centaines de pages, c’est-à-dire les dossiers de leur(s) affaire(s), les examens psychiatriques, les photographies de scènes de crime, et quelquefois les vidéos tournées sur les scènes de crime. En fait, je connais le dossier par cœur avant de les rencontrer. " H. : " Psychologiquement, vous les abordez différemment. Existe-t-il des techniques psychologiques ? " S. B. : " Non pas spécialement car, en réalité, c’est totalement improvisé. Je n’ai pas de questions au préalable, je fais ça au feeling. Quand je les rencontre pour la première fois on a un certain nombre de formalités à remplir avec les autorités. Il faut établir une relation avec eux. " H. : " Pour l’un d’entre eux, vous ramenez un paquet de cigarettes sur les conseils de l’éditrice... " S. B. : " Oui, mais je fonctionne quand même au coup par coup. Quelquefois, lorsqu’ils sont extrêmement intelligents, je peux jouer à la personne assez naïve par exemple. Donc je n’ai vraiment pas de grille de questions, je fais ça juste le temps qu’on signe toutes les formalités en cas de prise d’otages dans la prison. Je discute avec le tueur comme ça, on parle de son enfance et parfois je n’aborde même pas la question des crimes pendant 3, 4 jours. Déjà eux sont extrêmement surpris, parce que j’essaie de créer un lien que je ne ressens évidemment pas. J’essaie de me mettre sur la même longueur d’onde, et comme ils sont extrêmement manipulateurs, j’essaie à mon tour de les manipuler. Quelquefois, je me montre assez brusque, d’autrefois je joue au grand naïf qui vient chercher des leçons. Une sorte de partie d’échecs, jouée au feeling, au coup par coup. " H. : " Quand vous allez les voir, ils vous connaissent, ils savent ce que vous faites ? " S. B. : " Pas toujours, non et puis surtout maintenant je vais dans des pays qui ne sont pas tellement couverts médiatiquement, l’Afrique du Sud, l’Ukraine, bientôt l’Amérique du Sud et d’autres pays. J’estime en effet avoir fait à peu près le tour des Etats Unis, même si je vais y retourner prochainement. Et je vais aussi bientôt aborder le côté français des tueurs en série, car des portes risquent de s’ouvrir pour moi d’ici quelque temps. " H. : " Avec ce quotidien sanglant, comment faites-vous pour vous ressourcer ? " S. B. : " Il est vrai que j’y trempe en permanence, mais cela ne me pose aucun problème. Pour me détendre, il y a quelques temps, j’ai fait du VTT, et tous les week-ends je pars faire des conférences sur les serial killers, dans différentes villes. Récemment, je suis allé à Rome donner une conférence à la Villa Médicis, où j’ai séjourné pendant une semaine. Ça permet pour deux heures de conférence, de profiter un peu de la ville. Et puis j’ai des copains flics un peu partout à travers le monde, donc quand je vois mes copains flics nous allons manger au restaurant, après le soir nous sortons. " H. : " Vous arrivez à vous couper vraiment des tueurs en série avec vos copains flics ? Ca peut vous submerger ? " S. B. : " Non pas obligatoirement justement. Et j’aime bien aller au restaurant, j’adore le vin, donc je vais visiter les régions viticoles à peu près partout dans le monde, goûter des vins. Ce qui fait que j’arrive très bien à me couper de ce genre d’affaires. Le plus pénible, c’est tout le côté harcèlement. Mais sinon ça ne me pose pas de problèmes. " H. : " Et la fascination morbide que semble exercer la figure du serial killer, dans les romans, les films, qu’en pensez-vous ? On ne semble en retenir que le côté spectaculaire de la chose et se pose la question de la véracité, le fameux " il faut le voir pour le croire " ? " S. B. : " Les romans et le cinéma à peu de choses près de toute façon sont encore très loin de la réalité, cela va bien plus loin que ce que l’on nous montre. Et moi je suis sur les scènes de crimes, je vois les autopsies, les vidéos, etc. Par contre ce qui est très lourd, et là j’ai beaucoup de mal, je suis pratiquement contacté tous les jours par des proches de victimes, qui veulent avoir des explications. Je participe à pas mal d’associations de victimes, je suis ami avec trois des parents des victimes de Guy Georges. Il y a trois jours, j’étais avec le président de l’association des handicapés de l’Yonne, demain je rencontre une victime violée par Guy Georges en 1979 et qui n’était pas représentée au procès. Après demain, je rencontre des victimes d’un tueur en série de l’Aveyron et de l’Oise, et ça c’est un peu lourd. " H. : " Pour en revenir à la question de " il faut le voir pour le croire ", les gens ne vous ont peut-être pas cru au début ? " S. B. : " Moi j’ai eu des reproches, y compris de flics. Et dans la première édition de mon livre, je n’avais pas mis de photos et même des flics me disaient que ça n’existait pas, que j’avais inventé les entretiens avec les serial killers. Et c’est pour ça que j’ai ensuite rajouté des photos dans mon livre. Et jusqu’à ce que je leur montre les vidéos, les rushes, les photos, ils arrivaient pas à croire à la réalité de ce genre de choses. Il fallait vraiment les mettre en présence du fait établi et c’est vrai qu’il y peut y avoir un décalage à ce niveau-là. " H. : " Abordons la question de la fascination et de la transgression de tous les tabous... " S. B. : " Eux s’autorisent tout, il n’ont aucun tabou ni quoi que ce soit. Il y a peut-être ce type de fascination qui peut jouer, transgression de la mort, du sexe et, plus que le sexe, c’est la puissance et le contrôle, le pouvoir de domination absolue qui mènent en jeu, car c’est souvent ce que recherchent ces détraqués sexuels. " H. : " Transgression de toutes les valeurs et crises de toutes les grandes notions de la psychopathologie freudienne, toute l’échelle des valeurs est remise en question ? " S. B. : " Oui bien sûr, et de toute façon il remettent tout en cause et de nombreux psychanalystes freudiens se font avoir et manipuler par ce genre d’individus. " H. : " C’est pour ça qu’on en voit certains qui sortent de l’asile, comme Francis Heaulme qui a fait 160 séjours en hôpitaux psychiatriques, et qui est diagnostiqué comme ne faisant pas la différence entre le réel et l’imaginaire ? " S. B. : " Moi je pense que lui est authentiquement psychotique et qu’il n’est donc pas responsable de ses actes. Alors que 99% des tueurs en série sont responsables de leurs actes, mais lui il ne l’est pas tout à fait. " H. : " Le problème de la conscience des serial killers, de leur Q.I. ? " S. B. : " Ils ne sont pas toujours forcément de Q.I. élevé, mais toujours rusés, malins, pas forcément très éduqués. Ils sont très basiques au contraire. Ils n’ont jamais de remords, aucune conscience et, finalement, leur intelligence ils la mettent au service du vice. " H. : " Intervient le problème du profil psychologique. " S. B. : " Il y a tout un écheveau à dénouer petit à petit. Ils ont mis 15 ans à se construire, ça prend entre 10 et 15 ans pour devenir un serial killer. On le devient pas du jour au lendemain parce qu’on va voir Tueurs nés, Henry portrait of a serial killer ou parce qu’on lit un livre de James Ellroy. C’est une lente progression dans la criminalité, ce qu’on voit très bien avec Rezala ou Guy Georges, qui font des vols, des cambriolages, des agressions. De temps en temps, ils passent au viol et au meurtre et puis ils continuent ainsi toute leur vie ancrés dans la délinquance. De plus de nombreux serial killers mentent et plaident la folie afin de manipuler les gens lors de leurs procès. Comme l’Etrangleur de Boston sur le Vietnam, David Berkowitz (" Son of Sam ") et la voix du chien du voisin dans sa tête, tout ça c’est des conneries : Berkowitz lui-même me l’a dit. " H. : " Leur vision du monde est-elle manichéenne ou non ? " S. B. : " Non, ils ne posent pas du tout ce genre de questions ; c’est plutôt la société qui se les pose à leur place. Ils n’ont pas de problème de conscience. Ils marchent par pulsion et par phantasme. Ils font quelque chose qui leur plaît, voilà pourquoi ils le font. La réalité du crime n’est jamais à la hauteur du phantasme, d’où la nécessité de recommencer pour arriver petit à petit à cette escalade qui les amène vers le crime optimal qu’isl n’arrivent jamais à atteindre de toute façon. " H. : " Ils ne possèdent jamais de désir de vengeance contre certains types d’individus, la société, la vie ? " S. B. : " Non, c’est très rare qu’ils aient un désir conscient de vengeance. Ils ont un ego surdimensionné, et la reconnaissance qu’ils peuvent tirer de leurs crimes est comme un bonus supplémentaire. Ce n’est pas ça qui les motive. En fait, ils n’ont aucune envie de se faire prendre ; petit à petit, on dit qu’ils ont un désir d’arrêter, de stopper leurs séries de crime, mais en réalité ils se font prendre parce qu’ils ne prennent plus les mêmes précautions qu’ils prenaient au départ. A force de ne pas se faire prendre, ils deviennent un peu plus négligents, s’estiment supérieurs aux enquêteurs, et c’est ça qui les perd finalement parce qu’ils commettent des erreurs. Ils changent de temps en temps de mode opératoire, mais leur rituel reste toujours à l’identique, c’est ce que l’on appelle la signature psychologique. " H. : " Et au niveau des moyens d’investigation, quelle est leur évolution ? " S. B. : " Tout dépend des pays et les Etats Unis ne sont pas forcément le pays le plus à la pointe. C’est difficile à dire en fait, parce que certains pays n’ont pas de service informatique généralisé, mais les profilers y sont très bien intégrés, comme en Afrique du Sud. Alors que dans d’autres pays les systèmes informatiques sont plus développés. Je dirais que ce sont l’Angleterre et les Pays-Bas qui sont le plus avancés dans le domaine. " H. : " Il est évidemment impossible de mettre en place un système préventif. " S. B. : " C’est impossible et ça ne peut pas avoir d’effets. Il faudrait avoir un psy dans chaque école et en général ce sont des gens isolés, qui n’ont pas d’amis et qui sont très calmes. Et en apparence, ils semblent bien intégrés, ce qui rend leur détection d’autant plus difficile. " H. : " Est-ce que le phénomène existait avant et est-ce que l’évolution des méthodes d’investigation a peut-être permis de mieux décrypter les tueurs en série ? " S. B. : " Oui tout à fait car, à la limite Néron et Caligula, sont des tueurs en série. Gilles de Rais, qui a combattu aux côtés de Jeanne d’Arc, il a quand même tué une bonne centaine d’enfants. Et moi jusqu’en 1992, j’ignorais totalement qu’il existait des tueurs en série en Afrique du Sud. C’est uniquement parce que j’ai fait la connaissance de ma copine Nikky Pastornius, lors d’un congrès de police. Nous avons sympathisé, et j’ai appris qu’en Afrique du Sud, il y en avait des dizaines, et qu’il y en avait plus qu’aux Etats-Unis comparativement. J’ai appris qu’il y en avait des flopées en Ukraine, au Pakistan, au Ghana, au Libéria. On en a arrêté en Colombie. Il y en partout, au Costa Rica également. C’est uniquement parce que la plupart des média sont d’origine anglo-saxonne que c’est amplifié. " H. : " Et dans l’histoire ? " S. B. : " La bête du Gevaudan, les vampires et les loups-garous d’autrefois étaient peut-être des tueurs en série. En ce qui concerne la bête du Gevaudan par exemple, même si il y a des meurtres d’origine animale, on pense que c’était probablement un homme en compagnie d’un animal, car on sait que les loups n’attaquent pas les êtres humains. " H. : " Existe-t-il des particularismes ? " S. B. : " Il y a des phénomènes culturels de pratiques sexuelles qui peuvent intervenir dans certains pays ou certaines régions. " H. : " Par rapport au Japon, la culture de masse, les mégalopoles, une concentration énorme de gens, le serial killer n’est-il pas un peu l’épiphénomène de cela, d’une société de masse devenue ultra-violente ? " S. B. : " Non, car il y en a aussi bien dans des pays ruraux que dans des sociétés urbaines. Au Japon depuis plusieurs années on observe une recrudescence de tueurs pédophiles, c’est peut-être dû aux mangas, les petites jupettes des écolières, etc... " H. : " Et l’anthropophagie au Japon ? " S. B. : " Il y a juste un ou deux cas, comme Sagawa et d’autres, mais non l’anthropophagie criminelle de toute façon est très rare. " H. : " Par rapport à la France, on se demandait si la plupart des serial killers ne venaient pas tous un peu du Nord ou du Nord-est ? " S. B. : " Non par exemple, Patrice Allègre qui a tué sept femmes, il les a tuées dans le Sud-Ouest à Toulouse. Il y a Peter Franz à Bordeaux, et ça c’est juste pour l’année écoulée. Il y a le serial killer de Perpignan, un tueur de prostituées arrêté à Béziers il y a six mois, il y en a eu un à Toulon qui a tué trois victimes, un tueur homosexuel aussi à Toulon, trois victimes, Sid Ahmed Rezala, originaire de Marseille. Non, ils viennent d’un peu partout en fait, c’est juste parce qu’on parle plus de certains tueurs que d’autres. En ce moment par exemple, il y a en un qui est actif dans la région de Strasbourg et qui tue aussi de l’autre côté du Rhin à Khel. Il doit en être à 4 victimes déjà. (N.B. : ce tueur a été arrêté depuis) " H. : " On n’en parle pas pour ne pas ébruiter l’affaire et pour laisser travailler la police ? " S. B. : " Pas obligatoirement, car souvent au début, les crimes sont considérés comme isolés, donc il n’y a pas forcément de lien qui est fait au début entre les crimes. Mais, de toute façon, c’est un phénomène très minoritaire, dans tous les pays, y compris aux Etats- Unis. " H. : " Et le fait que la société soit surexposée aux images du sexe, vous dites qu’on retrouve souvent des revues pornographiques... " S. B. : " Non je ne pense pas que ça joue obligatoirement. Oui, les serial killers à mobile sexuel sont plutôt fans de pornographie, mais de la pornographie extrême, plutôt du bondage, avec des victimes soumises (encore le phantasme de la domination, de la possession totale et ultime qui peut aller jusqu’à la mort). Ce sont plutôt des cassettes X vraiment extrêmes qui vont les motiver et non pas les films qui passent sur Canal +, Ciné Cinémas ou XXL. " H. : " Dans votre travail, comment la raison peut accepter le sourire, la face bonhomme de ceux que vous avez en face de vous, comme Georges Schaefer par exemple qui a tué plusieurs personnes et arbore un sourire radieux ? " S. B. : " La plupart du temps ils sont extrêmement, je ne dis pas extrêmement sympathiques, mais ils sont d’un abord charmant, souriant. Ils n’ont pas du tout la tête de l’emploi. Mais c’est lorsqu’on discute avec eux, qu’on s’aperçoit qu’il y a un certain vide émotionnel. L’apparence de normalité n’est en réalité qu’une façade ; c’est pour cette raison qu’ils sont extrêmement dangereux. Parce qu’en fait, rien ne les différencie du commun des mortels. A part ceux qui sont psychotiques, mais c’est une infime minorité, moins de 1%. C’est le contraire de ce qu’on voit dans les films, où ils ont souvent une sale tête. C’est pour ça que je tenais à mettre certaines photos dans le livre, ils peuvent être assez charmants, souriants voire sympathiques, mais cela dit je ne partirais avec aucun en vacances. Et de toute façon là, il y en a même qui me contactent que j’ai jamais contactés. Je ne réponds jamais à leurs sollicitations. " H. : " Le problème de la médiatisation, on en fait des rock-stars ? " S. B. : " C’est quelque chose qui me gêne. Le tueur de ma compagne est toujours en attente d’être exécuté dans le couloir de la mort, il a deux fan-clubs, il reçoit des groupies toutes les semaines dans sa prison. Comme Ted Bundy qui a épousé une de ses fans, John Wayne Gacy tueur homosexuel marié à une de ses fans, Ramirez a un fan-club extrêmement actif, il y a aussi un site sur internet qui va vous vendre des cheveux authentifiés de Jeffrey Dahmer et les chaussettes de Charles Manson. " H. : " Il y a des stars ensuite qui achètent, comme Johnny Depp qui a acheté une toile de John Wayne Gacy. La question de " l’art killer ", après l’art naïf, l’art dégénéré, l’art brut ? " S. B. : " Moi, j’en ai plein, j’ai des tableaux, des dessins que m’a donnés John Wayne Gacy, des dessins d’Henry Lee Lucas. Enfin, j’ai plein de choses... que je ne mets pas en vente. Mais honnêtement ça serait n’importe qui, les croûtes ne seraient même pas vendues, même pas aux Puces. " H. : " Dans la littérature, au cinéma, on assiste à une recrudescence de personnages de tueurs en série ? " S. B. : " C’est hallucinant, moi j’ai fait une liste de films où j’en recense plus de 900. Et sans compter les films fantastiques, et les séries télévisées. " H. : " Quels sont les plus crédibles à vos yeux ? " S. B. : " Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell de 1960 qui était très en avance sur son époque. Sinon comme film très réaliste il y a Henry : Portrait of a serial killer sur la mentalité du tueur en série, bien que ça soit un film qu’on ne puisse pas aimer, on peut admirer le film, mais on ne peut pas l’aimer car il est assez abrasif. Et sur le côté enquête, je ne trouve guère qu’un seul film qui soit réaliste, c’est un film français Scènes de crimes de Schöendorffer (avec Charles Berling et André Dussolier), mis à part la fin que je ne n’aime pas, car dès qu’on voit le serial killer c’est moins bien. Mais, je trouve que c’est le seul film réaliste sur une enquête de serial killer. " H. : " Et en polar ? " S. B. : " Dragon rouge de Thomas Harris, le premier de ses livres car les autres je trouve qu’ils vont de plus en plus bas, Le tueur sur la route de James Ellroy et J’étais Dora Suarez de Robin Cook. Pour moi ce sont les trois meilleurs, auxquels on peut aussi ajouter Six-pack de Jean-Hugues Oppel, pas le film qui est la daube des daubes, mais bien le roman, qui est vraiment formidable. " H. : " Par rapport aux serial killers, se pose aussi la question de la perpétuité ? " S. B. : " Moi je suis complètement opposé à la peine de mort, y compris pour le tueur de ma compagne. " H. : " Par rapport à la France où par exemple Guy Georges prend vingt ans et après... ? " S. B. : " Après ça sera à un groupe de magistrats de décider. Mais c’est vrai qu’il y en a eu 298 de relâchés à travers le monde depuis les années 1900, soit parce qu’ils avaient purgés leur peine ou parce qu’il y avait un vice de forme ou de procédure, et bien c’est simple les 298 ont tué à nouveau. A partir de là, je pose un constat. Et lorsque je parle avec eux en prison, eux-mêmes me le disent. Ce sont des gens qui ont toujours été à la dérive dans leur existence quotidienne quand ils sont dehors et qu’ils tuent, alors que lorsqu’ils sont en taule ils ont un régime sévère, carcéral, un emploi du temps très strict. Ils sont encadrés donc ils s’adaptent assez facilement, donnent l’impression de se réinsérer mais dès que cette structure disparaît, ils retombent dans les errements du passé, c’est automatique. " H. : " La plupart ont une enfance très dure ? " S. B. : " Oui, bien sûr la plupart du temps, mais il y a des milliers d’autres enfants qui sont également victimes d’abus quelquefois beaucoup plus sévères et qui ne deviennent pas automatiquement des tueurs en série. Donc c’est quand même eux qui, à un moment donné, choisissent délibérément "d’embrasser cette carrière". " H. : " C’est étrange d’employer le terme de " carrière ", car effectivement ils accèdent quand même à un statut, une certaine forme de reconnaissance ! Et après on en voit partout ! " S. B. : " Alors que c’est très rare quand même, même si en France on a connu beaucoup de cas cette année, plus d’une dizaine. Mais par rapport aux statistiques du crime, on croit à cause du cinéma qu’on en trouve à tous les coins de rue aux Etats Unis, or ça ne représente rien en regard de la drogue ou d’autres criminalités. Mais il est vrai que c’est beaucoup plus "spectaculaire" et ça fait plus de dégats. Ce sont des actes quelque peu hors norme finalement. " H. : " S’agit-il de la part maudite de l’homme ou d’une part commune à tout le monde ? " S. B. : " Non, ce n’est pas une part maudite. Je pense que tout le monde pourrait être capable de tuer une fois au moins, mais de là à être serial killer, non je ne pense pas. " H. : " Est-ce une partie inconsciente que eux vontpousseràfondou une déviance qui leur est propre ? " S. B. : "On ne naît pas serial killer, on le devient petit à petit, souvent à cause de phantasmes remontant à l’enfance. Ensuite il y a une progression, on devient serial killer au fur et à mesure. " H. : " Quelle est votre vision de l’homme aujourd’hui ? A-t-elle changé ? " S. B. : " A part le fait d’être un peu parano, de déguiser mon adresse personnelle, mon numéro de téléphone personnel, d’être toujours en transfert d’appel, d’être parfois armé à mon domicile, ou quand je suis en tournage à l’étranger. Sinon non, je le vis assez bien, je crois toujours en l’homme même si je reste assez pessimiste, dans la mesure où je pense que nous allons en engendrer de plus en plus, par rapport à la façon dont la société fonctionne. Je ne suis pas très optimiste, on voit de plus en plus de crimes gratuits, sexuels. Hélas je pense que nous allons avoir de plus en plus de tueurs en série à travers le monde. " H. : " Par rapport à l’Europe et l’ouverture de ses frontières ? " S. B. : " Moi je le disais déjà en 1991, que nous allions avoir de plus en plus de tueurs en série itinérants, genre Arce Montes qui tuent dans pas mal de pays. Et ça on en a de plus en plus sur les deux, trois dernières années, c’est en nette augmentation. Et cela rend les enquêtes plus dures, à cause des problèmes de juridiction, de la bonne circulation de l’information. " H. : " Il existe aussi de rares cas de protection comme avec Emile Louis, dans l’Yonne, qui aurait été couvert par des notables ? " S. B. : " Non je ne pense pas qu’il y ait vraiment protection. Je crois plutôt à l’incompétence totale des gens de l’administration judiciaire. Pas tellement la police, puisque un gendarme en 1984 avait déjà pointé du doigt Emile Louis. Il s’était suicidé justement parce que on n’avait pas pris en compte son rapport. Parce que tout ce qu’il avait découvert en 1984, on le redécouvre maintenant. " H. : " Mais il y a quand même eu une personne qui est parvenue à s’échapper, qui va voir la police et qu’on ne croit pas ? " S. B. : " Oui, oui. Mais il y a des incompétents partout, il y en aussi bien dans la police, dans la gendarmerie que dans la justice. Je crois plus à une négligence d’ordre administratif, de gens qui sont des fonctionnaires. Parce que le meurtre est quand même quelque chose de très individuel, c’est rarement collectif. Collectif ça peut l’être pour des viols, des réseaux de prostitution mais dans le cas d’Emile Louis pour les meurtres je ne pense pas qu’il y ait de protection(s). " H. : " Et pour ce qui est des viols collectifs dans les cités, les " tournantes ", que pensez-vous du degré de véracité de ces rumeurs ? " S. B. : " Moi je pense que c’est vrai quand on voit qu’il y a beaucoup plus d’incestes, de viols que ce qui est déclaré. Et d’après tous les juges, les policiers que je vois ou surtout les gendarmes, puisque moi j’ai surtout affaire aux gendarmes, c’est vrai qu’ils sont de plus en plus confrontés à ce genre de choses. Mais alors la question reste entière, est-ce que c’est réellement en augmentation ou est-ce que ça a toujours existé, et que maintenant les victimes osent en plus en parler ? " H. : " Sur les différentes classifications de tueurs ? " S. B. : " Elles ne sont pas aussi simples que je le montre dans le livre. Ce n’est pas aussi bien tranché, quelquefois ils sont à cheval sur plusieurs catégories. Il y a des tueurs organisés, désorganisés, il y en a aussi qui tuent des victimes par opportunité. Par exemple, Kursten, le Vampire de Dusseldorf lorsqu’il ne trouvait pas de jeunes femmes, il s’attaquait à des hommes ou à des enfants parce qu’il sortait avec l’idée de tuer. En fait, la catégorisation d’un tueur en série est souvent très difficile et pas toujours bien définie, bien tranchée. " H. : " Enfin aux niveaux de vos chiffres de vente, ça doit être intéressant, non ? " S. B. : " Serial killers est vendu maintenant dans vingt pays ; il était sorti en livre de poche en 1993, là il vient de sortir dans le Grand Livre du Mois. Et la nouvelle édition, la blanche, car avant elle était noire avec 100 pages de moins, rien que depuis le début de l’année ils en ont vendu 20 000, ce qui pour une réimpression est pas mal. Ils doivent en être à la quinzième réimpression depuis octobre 1999. Oui ça je reconnais que je gagne bien ma vie avec Serial killers, et parce que moi je n’hésite pas à parler de fric, [je vais vous dire combien je gagne], je dois toucher entre 400 000 F et 1 million de francs tous les ans avec Serial killers. " propos recueillis par Jean-Edouard Hastings et Philippe Krebs
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Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).
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