Entretien concon
Guillaume Pinard : voyage en Conconie !

par Philippe Krebs,    

 

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Guillaume Pinard se définit lui-même ou son travail ( ?) comme "un personnage au tempérament de chien-loup, mi pignou, mi égorgeur".

Le site de l’artiste

Hermaphrodite : "Connais-tu Roland Topor ? Je vois quelques similitudes dans ton travail avec cet artiste. Notamment quant au travail que tu produis sur le corps : un personnage qui plonge son bras dans son corps pour en ressortir le coeur. Toute cette thématique du morcellement et de la monstruosité ludique !"

Guillaume Pinard : "Je n’ai pas beaucoup fréquenté Topor. Cependant, en empruntant probablement un chemin assez différent du sien, j’ai quand même fini par le rejoindre. Mon traitement du corps vient "paradoxalement" d’un goût assez marqué pour un formalisme dur. Une culture minimaliste. J’ai longtemps traîné mes guêtres dans l’univers des "cubes". Intéressé par l’hyper objectivité. Par les jeux de construction modulaire. Mais, si cette fréquentation satisfaisait mon goût pour un certain mouvement, j’étais assez frustré par l’absence de jus qui le faisait croître. Le mythe de Pandore est idéal pour illustrer la manière dont je suis passé de cette activité première à celle que j’exerce aujourd’hui. J’ai vraiment l’impression d’avoir ouvert mes cubes et libéré un feu. Con-con est un personnage schématique, sans histoire ni généalogie, je considère son corps comme une phrase, constitué de mots interchangeables, modulables à l’infini. C’est presque un travail d’écriture et cette activité basée sur la variation induit le morcellement et la violence. Pour ces raisons, j’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour les écrivains/dessinateurs comme Michaux, Blake ou Klossowski, qui dans des registres différents sont tous occupés par la question d’un corps textualisé. Pour revenir à Topor, depuis que toi et les textes d’Hermaphrodite ont de nouveau attiré mon attention sur son cas, je suis allé y voir de plus prêt et je t’accorde que j’ai une grande proximité avec lui. Je pense que "La Cuisine cannibale" est un bon exemple de ce que je viens d’essayer de dire."

H. : "Pourquoi "con-con" ?"

G.P. : "Le nom de con-con est né avant le personnage. Il baptisait un héros à qui j’avais écrit des aventures sous forme de courts chapitres. Un de mes premiers chocs littéraires a été la lecture d’Igitur ou la folie d’elbehnon de Mallarmé. Igitur, nom du personnage de ce conte est un mot latin qui signifie "donc". J’avais tellement été impressionné par cette lecture qu’en commençant à écrire j’ai voulu baptiser mon personnage d’un nom similaire (avant de l’utiliser dans mon travail plastique). J’ai choisi le préfixe français "con" qui signifie "ensemble". On ne me demande jamais pourquoi j’écris con-con avec un tiret de séparation mais c’est pour cette raison. "Con-con" est d’abord un super préfixe, un super ensemble. Un espace de catalyse. Il est aussi un déni de nom, comme peu l’être Igitur de Mallarmé, Némo de Jules Verne ou K de Kafka. Il désigne enfin le personnage comme idiot. C’est que con-con ne pense pas, ne parle pas, comme je te l’ai déjà dit, c’est son corps qui fait texte. Tout ce que je fais naît toujours d’un aller-retour entre le dessin et l’écriture et je ne sais pas vraiment qui invente l’autre."

H. : "Quelle a été la démarche qui t’a conduit vers l’animation ?"

G.P. : "’L’ordinateur s’est imposé très tôt dans mon travail, d’abord comme intermédiaire, plus que comme médium en soi. J’aimais la possibilité d’obtenir un trait parfait, très froid, machinique, pour représenter des situations pulsionnelles. Au premier abord, mes images sont séduisantes, douces, enfantines mais c’est un moyen pour mieux piéger le spectateur et le plonger dans les méandres de mes visions. Mon travail se situe entre un désir de prolifération et la tentative de contenir un maximum d’énergies dans un dessin, une peinture, une image. D’une certaine manière, ce sont les deux pendants de l’hystérie. L’un actif et l’autre contenu. L’animation me permet de trouver un espace qui réunit les deux, de montrer une action qui se répète à l’infini jusqu’à donner la nausée, tout en préservant la rigueur de son cadre. Cela m’a aussi donné l’occasion d’introduire du son dans mon travail, qui est un élément fort pour créer un climat, ainsi que pour projeter le travail dans un espace étrange. Enfin, l’ordinateur et tout écran en général possède un très fort pouvoir de captation. Je veux vraiment que le spectateur soit immergé dans le monde de con-con et cette partie de mon travail est un accélérateur très efficace pour cela."

H. : "Une question qui est aussi un court développement sur la subculture japonaise : j’ai vu cet été une double exposition à la Fondation Cartier (tu peux en avoir un large aperçu au www.fondation.cartier.fr) qui présentait conjointement Takashi Murakami (artiste japonais) et Coloriage (rassemblement d’artistes de la contre-culture tokyoïte choisis par Murakami : "Coloriage est créé par le Japon, un pays qui ne fait de distinction entre culture et subculture"). Si je te parle de cette exposition, c’est que j’ai le sentiment que le personnage de con-con est peut-être le pendant français de cette nouvelle forme de culture peu présente en France. Je m’explique : Coloriage et Murakami sont le reflet de la société contemporaine et de la nouvelle culture japonaise imprégnée de l’imaginaire des mangas, autant qu’une volonté de s’affranchir du modèle occidental. En conséquence, ces artistes japonais créent beaucoup de personnages qui, s’ils sont au départ des éléments de dessins animés (avec toute l’esthétique qui va avec), deviennent rapidement des icônes populaires et alimentent une forme nouvelle de la mythologie (contribuant à la mythologie de la modernité, dont font partie le pop art et l’esthétique publicitaire - les grands mythes Coca-cola, etc.). Ces personnages sont ainsi créés comme des icônes parfaites, pures dans leur forme (ce qui n’empêche pas un certain psychédélisme), qui vont ensuite pouvoir se décliner en une multitude de produits dérivés. En ce sens, con-con devient, par sa forme bonhomme, un élément de cette culture, à la différence près que tu y fixes un sens qui est le plus souvent absent chez la plupart des créatures japonaises. Avec con-con, la forme est presque un piège parfait, car les codes ludiques du dessin animé et de son esthétique sont perturbés par les scènes qui ont cours. En résumé, con-con a-t-il aussi été créé en réaction à un académisme des musées, en reprenant volontairement les formes de la culture populaire qui ont cours aujourd’hui ? Et, le lien avec cette "sub-culture japonaise et Murakami te parait-il évident ?)"

G. P. : "Je vais te répondre un peu en vrac.On me renvoie souvent à cette référence et cette association m’intéresse beaucoup dans la mesure ou elle me permet - en éclairant des nuances entre culture française (occidentale) et culture japonaise - d’aborder des points qui me paraissent fructueux. Je ne prends pas un grand risque intellectuel en affirmant que l’Occident a globalement basculé dans un cartésianisme sans contre-poids et que cette pensée objective a sonné le glas de tout ce que notre culture contenait de mystère et de divin. Nous vivons dans un monde de communication par l’image, dont nous ne disons pas assez qu’il a trouvé sa capacité d’expansion avec le règne du catholicisme. Aussi, cet avènement est-il intimement lié aux inhibitions qu’a véhiculé cette religion. Pour ne parler que de la France, la représentation de l’humain est encore vouée à la sacralisation de l’individu, à l’idée du personnage unique, au héros solitaire. Pour nous, la tentation d’incarner un personnage exemplaire, défenseur de la veuve et de l’orphelin ou, par opposition manichéenne, de stigmatiser les traits d’un anti-héros prédomine encore. Pour aller vite, notre culture de la représentation de l’humain est encore grosso modo coincée entre le culte de l’individu et l’attente du sauveur. Attente difficile à combler par une civilisation qui délivre ses modèles sans mode d’emploi. Par ailleurs, ici, l’économie du produit dérivé et de la publicité, qui pourrait développer des mythes industriellos-culturels de substitution, ou pour le moins de transition, est encore freinée par la culpabilité de céder à la vénalité, de pactiser avec les marchands du temple. Les Japonais n’ont pas ce genre d’inhibitions. Animistes, iconolâtres, ils sont fait pour utiliser à plein régime un espace médiatique et culturel devenu global, qu’ils n’ont pas initiés, mais qui est désormais conformé pour exploiter le polymorphisme de leurs cultes. Je ne pense pas que le Japon soit en train d’inventer un modèle de mixage, mais que nous sommes en train de découvrir une pensée et un art qui n’attendait que des supports appropriés pour se diffuser. Les artistes comme Muramaki qui, quoi qu’il puise ses motifs dans la culture populaire de son pays, n’expose pas moins dans des musées, centres d’art, galeries, identifiées et institutionnalisées, en citant des artistes occidentaux pour référence et en travaillant à la manière d’un artiste-promoteur bardé d’une cinquantaine d’assistants. Je ne pense pas que cette attitude puisse constituer la moindre charge contre les Beaux-Arts et les musées. La culture populaire finit toujours par être injectée dans l’art. Con-con n’échappe pas au culte occidental du héros solitaire. Je l’ai seulement réduit à sa plus simple expression : une coquille. Il n’invoque aucune divinité, il convoque des puissances qui transitent par son corps schématique en y traçant des niveaux d’intensité. C’est encore une problématique catholique que la question de l’incarnation ou le corps et sa présence au monde ne vont jamais de soit. J’ai longtemps été hanté par cette injonction de Kierkegaard (philosophe catholique s’il en est) : « Je veux un corps ». Con-con souscrit définitivement à cette requête et la multiplication des formes qu’il emprunte ressemble au défilé des icônes qui se déroulent sur une machine à sous sans jamais se figer sur la combinaison qui fera sauter la banque. Car, cependant que je suis pieds et poings liés à cette tentation, étant laïc et athée, cette issue est pour moi inconcevable. De fait, mon travail stigmatise le désert ontologique de toute représentation de l’humain en occident, qui ne pourra, selon moi, être réinvesti, que par un traitement strictement pulsionnel et intensif de sa figure. J’essaye de participer à ce projet. Dans le film d’animation Japonais : La Princesse Mononokee, il est impressionnant de voir comment les énergies circulent entre les plantes, les animaux, les hommes, les bons et les mauvais, en constituant un cosmos originel insécable. L’Orient est le continent du flux quand nous sommes encore celui de la géométrie. Pour un occidental l’homme est au centre de tout. Les orientaux, quant à eux, ont une conception immanente de leur condition qui ne les emcombre pas pour relier leurs traditions à la modernité. Pour moi, même si c’est une vision à laquelle je peux souscrire intellectuellement, je n’y ai pas accès émotionnellement. Par ailleurs, ma forme est mieux liée à l’art médiéval tardif et ma rhétorique à l’âge baroque, qu’aux motifs des mangas ; ainsi, je pense continuer de laisser con-con purger une peine millénaire au coeur des pulsions humaines, plutôt que de le condamner à brouter de la mousse au milieu des esprits de la forêt.

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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