Jeudi 29 mai
Extrait du récit de voyage - Piéton de l’Europe


par Gwenael De Boodt,    

 

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Jeudi 29 mai
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Gwenaël De Boodt, poète-conteur-slammeur, et Marion Derrien, illustratrice, sont partis de Saint-Malo pour rejoindre Sibiu en Roumanie, soit plus de 4000 km à pied. Ils nous racontent leur périple au fur et à mesure de leur avancée...

Nous traînons ce matin, insouciants des épreuves de la journée de marche qui nous attend. D’une part, nous abordons une région plate et privée de forêts, ce qui nous laissera toutes latitudes de vagabondages et d’orientation et d’autre part, Strasbourg nous attend ce soir pour une semaine de vie sédentaire.

Nous empruntons la voie qui longe le canal déclassé de la Bruche. Les endimanchés sportifs de la forêt de Fontainebleau ressurgissent en masse aujourd’hui sur le bitume parfaitement lisse de l’ancien chemin de halage qui rappelle sa nouvelle fonction exclusivement pédestre et cycliste à grand renfort de panneaux. La grande majorité de ces gens est équipée de la tête aux pieds selon la norme diffusée dans les catalogues des magasins de sport. Le casque est de rigueur, les chaussettes et les pantalons moulants fluorescents et les publicités de la grande distribution jaillissent des torses bombés et des seins corsetés de baleines comme le nouveau lait multi vitaminé d’un humanité de reconstitution.
Expulsé de son habitacle motorisé, le nouveau-né du genre humain se précipite en masse dans la frénésie du muscle Roi. Un millier de caddies à roulettes, comme patins et vélos, court du rayon boucherie du Canal . Plus déclassé pour entretenir la chair à saucisse issue de la dernière guerre. Les plus rapides expriment leur mauvaise humeur devant le piéton encombrant de lenteur et de poids qui se dresse sur leur chemin. J’entends quelques « Fait chier ! » grommelés par les inconditionnels de la vitesse et de la performance sportive. Les baskets claquent sur le bitume comme le fouet sur la croupe du cheval mais la route n’avance pas plus vite !
Parfois, un grincement de pédalier, un couinement de patin, le frottement d’un pas traînant mettent une respiration inattendue dans ce concert techno-synthétique. Alors, je relève la tête pour apercevoir en costume dépareillé, la tête de guingois et le regard empreint de mélancolie, croquer une pomme en faisant balancer un vélo vétuste que l’unique main sur le guidon peine à garder du déséquilibre ou encore une manouche à la chevelure généreuse qui traîne ses sandales à semelle de bois et fait flotter sa longue robe rouge comme un coquelicot sous le baiser des saules. L’absence de moteur est confortable et autorise un brassage plus généreux des populations mais la vitesse réintroduite par la mécanique de propulsion humaine met en danger cette fragile reconquête de la diversité. L’apparence uniforme du nombre est l’assommoir de notre curiosité et de notre jubilation. La vitesse rend la tendance irréversible.
A 13 heures, nous passons l voie ferré, laissant derrière nous des usines complexes pour entrer dans Strasbourg...

 



Gwenael De Boodt

Les piétons de l’Europe
Je suis un Arpion céleste né en 65,vite chaussé de poèmes sous les ailes de l’Oiseau Noir, un grand canard vendu dans les rues de Rennes. Maitre ès-échasserie 10 ans durant sur la grande scène du pavé,je m’arrache bientot les plumes pour les tremper dans le jus canivellien du lyrisme.Je me fais l’apologue du Minotaure dans "Thésée aux iles ou l’Utopie Détroussée" (l’Harmattan), le manivellien de l’autopropulsion vélocyclopédique dans "Augustes Pédales" (inédit) puis je prends de la corne aux pieds pour mugir comme un fleuve contre la crue du Pactole en Europe. Voilà pour le moment : la carne comme l’écrit Philippe K.

 




 

 

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