Quelques jalons dans l’histoire des paniques

par Philippe Krebs,    

 

DANS LA MEME RUBRIQUE :

Roland Topor et l’art
Théâtre panique et inconscient collectif
Panique ou le carrefour des métèques I
Le Carrefours des métèques III : Arrabal et Jodorowsky
"Le rêve fait partie de la vie"
Le Carrefour des métèques II : éphémère panique et Roland Topor
Le carrefour des métèques IV
Quelques jalons dans l’histoire des paniques
Le carrefour des métèques V : Roland Topor


 

PANIQUE ?

C’est la vie.

C’est aussi le désordre, le chaos, une certaine brutalité amoureuse gorgée de fécondité et surtout une part immense de démesure et de rêve.

Panique, c’est Roland Topor, Alexandro Jodorowsky, Fernando Arrabal, Olivier O. Olivier, Christian Zeimert, Diego Bardon, Sam Szafran, Abel Ogier, Michel Parré, Roman Cieslewicz, Jérôme Savary, Jacques Sternberg,..., une nuée d’individualités riches douées d’une philosophie de vie et d’une force de préhension des choses singulière, à l’instar des surréalistes qu’ils côtoyèrent le temps de s’enfuir loin du dogme et de la figure patriarcale d’André Breton. Panique, c’est l’œil de l’inconscient qui appréhende le Réel les paupières closes, assisté par l’œil du conscient, ému de se voir ainsi révélé. C’est encore la quête expressive de l’homme.

Quelques jalons dans l’histoire des paniques :

1960 : Alexandro Jodorowsky, Fernando Arrabal et Roland Topor se retrouvent au Café de la Paix, place de l’Opéra, à Paris. Leurs conceptions respectives de la vie et de l’art les rapprochent sensiblement jusqu’à déboucher sur des prises de position actives en faveur d’une nouvelle conception du monde. Topor nous narre la confluence des désirs, les cheminements éloignés qui se recoupent pour finalement se resserrer plus encore. L’amitié naissante sera le terreau où fermenteront les plantes majestueuses et bénéfiques, vénéneuses parfois, de ces amoureux désordonnés de la vie, en une fresque panique ininterrompue. Panique sera la possibilité de créer sans jamais redouter l’enfermement de l’œuvre -l’artiste, lui, est plus souvent en péril, sujet aux attaques et aux emprisonnements.

" Je travaille à Hara-Kiri, je reçois un livre d’Arrabal, L’Enterrement de la sardine qu’il m’envoie avec admiration et sympathie. Je ne sais pas comment il est ni son âge, et je lui envoie un dessin. Ensuite, un type me téléphone, soi-disant son secrétaire -et en réalité un copain à lui nommé Fedorov- et on se donne rendez-vous au Saint-Claude, boulevard Saint-Germain. On découvre qu’on a des goûts communs : Hara-Kiri, la science-fiction, les romans noirs, Lewis Carroll... On se dit que fonder un mouvement serait intéressant : quand on est un simple petit individu, on se trouve bien faible face à la clientèle, au public, à ceux qui représentent et gèrent tout ça. Quand un type veut faire une exposition, les gens peuvent lui refuser, dire que non, ils n’aiment pas. S’ils ont affaire à un groupe, ils ont davantage peur de se tromper. Donc, nous élaborons le projet, mais comme nous sommes contre tout mouvement, celui-ci sera faux. Sera un " non-mouvement ". On veut même déposer chez un notaire ou huissier la preuve de sa non-existence, et puis c’est trop compliqué ".

" A ce moment, on rencontre Jodorowsky. Il arrive du Mexique pour mettre en scène Les garçons de la rue, Les trois Ménestrels, je ne sais plus. Au Mexique, il a monté Fando et Lys d’Arrabal. Il travaille dans la bande dessinée. C’est lui qui trouve le nom Panique. Le mot vaut bien un manifeste. Pour les uns il évoque la terreur, pour les autres le dieu Pan, le grand tout, le rire panique, les fêtes panique...Ce mot, c’est bien, il est libre, il laisse libre, on peut le charger de ce qu’on veut ".

" Avec Panique, nous essayons de mettre sur pied un programme, suffisamment flou pour ne pas être acculé à le suivre, mais pas trop tarte, pour qu’il se maintienne harmonieusement tout en favorisant nos épanouissements respectifs. Ensuite, comme de juste, nous cherchons quelques compagnons de route, des types marrants sans nous laisser piéger, c’est-à-dire sans oublier qu’il s’agit d’un faux-mouvement... Seulement, les gens y croient, ont envie d’y croire, si bien que le mot finit par leur appartenir. On a l’impression de saboter quelque chose qui appartient à la communauté si on dit que ce n’est rien. En fin de compte, on a ressenti l’air du temps, précédé de la mode de la dérision, des machines à sous, de la B.D., du mauvais goût... "

(in Colette Godard, Jérôme Savary, l’enfant de la fête, Editions du Rocher)

1961 : Arrabal fréquente les surréalistes dans leur café, La Promenade de Vénus.

Février 1962 : Jodorowsky, Arrabal et Topor décident de se servir du mot " panique ", mot d’usage semi privé, parce qu’aucun d’entre eux ne désire fonder ni groupe ni école artistique.

Septembre 1962 : première impression du mot " panique " dans le sens que lui prêtent ses auteurs dans Cinq récits paniques que publie Arrabal dans la revue La Brèche, dirigée par André Breton.

Quelques représentations théâtrales du Groupe Panique :

L’Opéra de l’ordre, d’A.Jodorowsky, jouée à Mexico en 1963.

Le Couronnement, de F.Arrabal, joué par Le Grand Théâtre Panique au théâtre Mouffetard de Paris en 1965.

24 mai 1965 : sous le titre " Le groupe panique international présente sa troupe d’éléphants ", se joua à Paris un spectacle en trois parties :

1. Cérémonie de la femme nouvelle, de Roland Topor.

2. Les Amours impossibles, de Fernando Arrabal.

3. Auto sacramentel, d’Alexandro Jodorowsky.

Happening phénoménal de quatre heures qui eût lieu au Centre Américain, à Paris, et qui fut à l’origine de cette technique théâtrale libérée. Bernard Gille décrit le spectacle comme une " fête folle, parodique, désordonnée. Les masques des acteurs étaient très stylisés et caricaturaux (...). Tout un peuple de baigneuses en maillots rayés s’agitait, mimait la frayeur, participait à l’action. Jodorowsky avait choisi le grotesque. "

Jodorowsky, iconoclaste, provocateur, mégalomane, égal à lui-même, à sa folie et à sa démesure, défie Jean-Jacques Lebel, le spécialiste du happening :

" Nous appelons ça : le Groupe Panique présente sa troupe d’éléphants. Il n’y a pas d’éléphants. Arrabal me donne une pièce courte. Topor me donne quelques dessins. Je me retrouve avec Olivier O. Olivier, un peintre très riche. Moi aussi j’ai beaucoup d’argent. J’ai prévenu Lebel : ce que vous faites n’est rien. Vous êtes des clochards et moi Cecil B. de Mile. Il a été tellement jaloux qu’il a effacé toute trace de ce moment. Mais on ne peut pas cacher le soleil avec un doigt... "

Le Groupe Panique - Olivier O. Olivier - 15 ko
Le Groupe Panique - Olivier O. Olivier

Depuis 1965, l’histoire du Panique appartient au domaine public :

Jodorowsky crée la société mexicaine cinématographique " Producciones Panicas ".

C’est dans le cadre des Producciones Panicas qu’il réalisera Fando y Lis, El Topo et Subita al Monte Carmelo ( premier titre de La Montagne Sacrée).

Le National Theater de Londres, dirigé par Sir Lawrence Oliver, crée L’Architecte et

l’Empereur d’Assyrie de Fernando Arrabal.

1968 : Le Labyrinthe

Joué à Londres sous la direction de Jérôme Savary, avec une performance graphique du peintre Chagall.

1972 : deux éphémères paniques du torero Diego Bardon.

La autocornada : cérémonie au cours de laquelle il se blessa profondément avec une corne dans une galerie d’art de Paris. Avec son sang, il macula les visages de Topor et d’Olivier O.Olivier et le crâne rasé d’Arrabal.

Mi circuncision : Diego Bardon se fait circoncire publiquement au théâtre Palace le jour de Noël.

1974 : en raison de la reconnaissance progressive du groupe panique comme mouvement artistique et de son appartenance à l’histoire, A.Jodorowsky affirme être devenu " anti-panique " : " Immédiatement, j’ai expulsé Arrabal, Topor et moi-même du mouvement et j’ai dissous le groupe " Panique " . Ils peuvent continuer, mais ma réaction panique, c’était de dissoudre tout. "

Décembre 1980 et janvier 1981 : Grande exposition panique à Rennes Organisée par Françoise Chatel, à la Maison de la culture de Rennes, avec plus de trente créateurs " paniques ". Le Fou Parle, revue libre fondée par Jacques Vallet, sous-titrée " revue d’art et d’humeur ", y participa ; elle publia en outre nombre de ces auteurs.

Parmi les créateurs, relevons : Yüksel Arslan, Gérard Béringer, Gunter Brus, Roman Cieslewicz, Marcel Moreau, Abel Ogier, Olivier O.Olivier, Michel Parré, Chantal Petit, Mark Prent, Alina Szapocznikow, Bruno Schulz, Jacques Sternberg, Roland Topor, Hélène Tran, Willem, Gottfried Wiegand, Christian Zeimert, Arrabal, Mark Brusse, Pol Bury, Robert Crumb, Eric Dietman, Michel Haberland, Hannes Jahn, Piotr Kowalski, Tetsumi Kudo, Joerg Ortner, Wim T. Schhippers, Daniel Spoerri, Abram Topor, Vanarsky, Stefan Wewerka...

mars 1984 : exposition panique à Aix

mai 1999 : à l’aube du troisième millénaire, exposition panique à la Galerie Humus de Lausanne

Olivier O. Olivier, Christian Zeimert, Roland Topor, Fernando Arrabal - 13.3 ko
Olivier O. Olivier, Christian Zeimert, Roland Topor, Fernando Arrabal
de gauche à droite

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

En Résumé Plan du Site Le Collectif La Rédaction Contact Catalogue Lettre d’Information
Textes & illustrations sous COPYRIGHT de leurs auteurs.