Extrait du journal de Gwénaël De Boodt
Le vent s’est levé après le coucher du soleil
Lundi 23 juin 2003 - Sommet du Hochgrat Sonthofen (Bavière extrêm-occidentale)


par Gwenael De Boodt,    

 

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Gwenaël De Boodt, poète-conteur-slammeur, et Marion Derrien, illustratrice, sur les routes, de Saint-Malo à Sibiu en Roumanie, soit 4000 km à pied, nous racontent leur périple en direct live.

"Le vent s’est levé après le coucher du soleil. Il a tant forci dans la nuit que ses rafales nous ont empêché de dormir. J’ai mis à profit cette insomnie pour observer le ciel nocturne. Aussi loin que remontent mes souvenirs de randonnée en montagne, jamais je n’avais ressenti avec une telle force l majesté des constellations. Les étoiles ne scintillent pas, elles ont des feux puissants. Nous sommes-nous tant rapprochés du ciel que nous puissions distinguer plus que leur lumière : leur chair ? De les avoir doté de personnalité, les anciens leur ont donné naissance comme à leurs propres enfants. Elles ont grandi lentement, ont bu le lait de la lune, se sont nourries de l’amour que nous éprouvons pour leur beauté. Les étoiles ont pris corps parce que nous les aimons. Une éjaculation splendide de l’homme divin habite désormais la nuit et tous les architectes d’hier et d’aujourd’hui ne font que reproduire dans leurs monuments la géométrie dont le hasard de notre jouissance a constellé le ciel. Nous en avons pour des millions d’années à nous remettre de cet orgasme. Nous sommes épuisés, nous sommeillons encore et c’est pourquoi nous ne pouvons pas comprendre la lenteur de l’univers. Son évolution nous échappe, nous la percevon par magie lorsque nous cessons de souscrire à la frénésie de notre petite vie.
Du sommet de la croix d’acier qui domine le Mont Hochgrat, un couple de corbeaux se relaye pour attendre notre évanouissement. Mais nous n’avons pas été ravis par l’infini. Puisque nous avons, ce soir, fait partie du grand tout, les corbeaux, qui ne pouvaient fondre sur l’invisibilité de notre dilution, sont repartis planer dans les élans du vent qui dépoussièrent le versant abrupt de la montagne, au pied duquel s’étale à perte de vue, l’immense plaine méridionale de l’Allemagne. Alors, perles handicapées des aspérités de nos jambes, nous reprenons au fil des crêtes le collier déplié de notre chemin. Les cloches sonnent au cou des vaches. Elles marquent la vanité de notre silence. Il nous faut prendre la parole avec nos pas. Nous avançons par le souffle, nous produisons du langage sur la corde raide des cimes. Au cours d’une descente par un escarpement de rochers, Marion est prise de vertige. Une crise de spasmophilie l’étouffe. Elle a vu trop bas dans le gouffre. Tandis que pour moi profondeur et hauteur sont des besoins, pour elle ce sont des assaillants. Je la calme, je la fais s’asseoir. Je lui fais boire un peu du demi-litre d’eau dont nous devons nous contenter pour notre journée en altitude. Mon attention l’ayant réconfortée, elle se relève bientôt et nous repartons prudemment, nous glissant dans les cheminées de rocs. Parfois, le temps d’un col, nous marchons dans l’herbe rase sur les constellations multicolores des fleurs de montagne. Leur humilité nous touche. Elles n’ont pas la chair des étoiles de cette nuit mais la grâce du minuscule. Tandis que le sapin, à cette hauteur, ne peut tenir les aussauts du vent - puisque ses racines ne pénètrent pas le roc, les fleurs, elles, se balancent, se dressent, se couchent, toujours reprenant du soleil un peu de sa lumière qui les surplombe.

Au terme d’une nouvelle descente, qu’un hélicoptère a survolé à plusieurs reprises de si près que l’on a distingué la tête et les bras accoudés d’un observateur à la fenêtre latérale du cockpit, les difficultés sont trop énormes pour Marion qui se met à pleurer de souffrance et de désespoir. Ses genoux coupables manifestent violemment leur désaccord devant l’effort demandé. Marion m’enjoint alors de lui faire redescendre la vallée. Je repère un sentier de vaches qui, serpentant d’abord entre les sapins, semble ensuite se diriger d’une manière moins farouchement verticale, vers les pentes d’un haut alpage ? Je raisonne mon désir de folâtrer dans l’altitude, toujours entre deux précipices, sur cette crête à l’échine pourtant magnifiquement monstrueuse et je conduis Marion dans la vallée. A peine la descente engagée, mon oreille s’arrête au joli discours d’une source. Je la déniche, jaillissant en mince filet clair de dessous une pierre plate et nous pouvons enfin nous désaltérer, mouiller nos cheveux, nos visages et nos chapeaux pour continuer notre descente.
Plus bas, les abreuvoirs signalent que nous nous rapprochons des habitations ! Malheureusement, le sentier qui, s’est pourtant bien élargi, reste assez vertical et Marion abandonne soudain la descente pourtant bien amorcée. Excédé par un surcroit de souffrance que je ne puis porter, je lui ordonne, quoiqu’elle m’objecte, de me remettre son sac et de continuer la descente. Je sangle son paquetage sur mon sac-à-dos à l’aide de ma ceinture et me lève chancelant sous un poids démonique d’environ 35 kgs ! - qu’il me faut porter vers l’avant sous peine de e retrouver les quatre pattes en l’air comme un scarabée. Alors, avec la ténacité de la contradiction, je fais mentir pendant une bonne demi-heure le mythe de Sisyphe qui voudrait que l’on abandonnât à la gravité ce qu’on a porté soi-même au sommet. Contrairement à la vanité de la tâche du héros grec, la mienne est utile à Marion. Je ne porte pas le poids d’un jugement, qu’il soit d’essence humaine ou divine. Ô liberté légère, je m’acharne à te choisir en toutes circonstances ! J’ai tôt fait de rejoindre le chemin d’exploitation qui longe le torrent dévalant comme lui dans les pâturages, sous l’oeil incrédule d’un paysan qui m’indique d’un geste la direction à prendre à la bifurcation du sentier. Bien entendu, j’ai dépassé allègrement Marion. Elle me rejoint bientôt sur le talus contre lequel j’ai jeté les sacs et, lui remettant le sien, je lui promets la pause du déjeuner pour bientôt. Quelques instants plus tard, tandis que j’aperçois avec désespoir la route goudronnée où passe une voiture dans le fond désormais tout proche de la vallée, je décrète la pause avant que nous nous engagions sur un chemin trop civilisé.
Dans l’après-midi, nous passons des villages groupés autour de vertigineux mâts de cocagne. Sous la cime du mât qui n’a pas été émondé de ses dernières branches, les couronnes de feuillages jettent leurs guirlandes comme les regrets d’avoir quitté l’altitude..."

 



Gwenael De Boodt

Les piétons de l’Europe
Je suis un Arpion céleste né en 65,vite chaussé de poèmes sous les ailes de l’Oiseau Noir, un grand canard vendu dans les rues de Rennes. Maitre ès-échasserie 10 ans durant sur la grande scène du pavé,je m’arrache bientot les plumes pour les tremper dans le jus canivellien du lyrisme.Je me fais l’apologue du Minotaure dans "Thésée aux iles ou l’Utopie Détroussée" (l’Harmattan), le manivellien de l’autopropulsion vélocyclopédique dans "Augustes Pédales" (inédit) puis je prends de la corne aux pieds pour mugir comme un fleuve contre la crue du Pactole en Europe. Voilà pour le moment : la carne comme l’écrit Philippe K.

 




 

 

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