De aquello que non se puede hablar
De ce dont on ne peut parler
Alejandro Jodorowsky aux éditions Maëlstrom


par Philippe Krebs,    

 

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De ce dont on ne peut parler


 

Alejandro Jodorowsky, avant d’être écrivain (à redécouvrir : Les Araignées sans mémoires et le surréaliste et très déjanté Paradis des perroquets), scénariste de bandes dessinées majeures (L’Incal, Alef-Thau, La Caste des Méta-Barons, Le Lama blanc, Bouncer, Megalex et j’en passe), réalisateur de films cultes (El Topo, La Montagne sacrée ou le très rock’n roll et sanglant Santa sangre), ce même homme fut poète.
Alejandro Jodorowsky, avant d’avoir développé psychomagie, art du tarot, mise en scène et mime, théâtre et happening, méditation et érudition, avant d’être un moine urbain hirsute à la barbe poivre et sel, après avoir été un beau jeune homme qui n’hésitait pas à poser nu sur des photos telle la genèse du Panique (vous savez ce groupe qui n’a jamais existé, avec Topor, Arrabal, Zeimert, Olivier O. Olivier, Cieslewicz, Savary, Copi..., toute une tribu de métèques de l’art, de zoulous mal léchés, trop anguleux pour rentrer dans le costard de l’avant-garde de l’époque qui s’appelait alors LE surréalisme), ce même homme fut poète.
Habilement caché sous le costume social de scénariste de bande dessinée, Jodorowsky devint un guide pour beaucoup. Car la B.D, loin d’être un art mineur, est un art de la propagation des idées, bien plus lu et distribué que les livres, un endroit stratégique où éduquer la jeunesse et travailler les consciences. Alejandro l’a bien compris, Alejandro le poète qui a grandi au Chili, et qui dans les terrains vagues et le rejet de sa tête de blanc au nez crochu trouva à travers son imagination et les livres de la bibliothèque municipale le repaire idéal pour créer son art, savant mélange de psychologie et de psychiatrie, d’érudition et de culture populaire, de chamanisme et de technologie, de coups de bluff et d’intuitions fulgurantes.

" Les enfants ne m’acceptaient pas parce que j’étais "Russe".
Les jeunes gens ne m’ont pas accepté parce que] étais juif’.
Les Français ne m’ont pas accepté parce que j’étais "Chilien
Les Mexicains ne m’ont pas accepté parce que j’étais "Français".
Les Américains pensent que je suis "Mexicain". Dans dix ans, j’irai sur une autre planète.
Ils ne m’accepteront pas parce qu’ils penseront que je suis "Américain".

Ce qu’il ne fait pas taire est une réponse au Tractacus Logico-Philosophicus de Wittgenstein, où il est dit : "Ce dont on ne peut parler, il faut le taire". Et Jodorowsky d’ajouter, "Mais précisément de ce dont on ne peut parler il faut parler,
plonger la langue dans l’invisible en convertissant les mots en miroir,
naviguer en eux sachant qu’ils sont navires sans équipage,
sans autre intérêt que l’énigme de ce ou celui qui les transforma en fantômes
une présence impalpable mais dense dont nous devons nous rapprocher avec des pas d’aveugle
en cet univers où tout est approximation ou miracle de cire !"

Ce qu’il ne fait pas taire donne lieu à la naissance d’une Zen Koan poetry très sobre, comme un jeu de lumière sur un petit spectacle cosmique, une mystique de l’ombre où les phrases sèches craquent sous la formule obscure. « Il est vital que nous retrouvions/le sens de la fête. J’insiste/il est vital que nous retrouvions le sens de la fête ». Sorte de missel halluciné où l’ego tente une vaine dissolution dans l’immensité à travers une ode au Dieu éternel. Ce qu’il ne fait pas taire est dans la lignée des autres productions jodorowskiennes, jeu avec le vide métaphysique (« L’histoire a commencé par le mot fin »), parole d’un homme qui a beaucoup cherché au creux de lui-même et à travers l’infinité des miroirs - les visages des autres hommes - qu’il a croisé, et qui continue malgré tout de tourner, sans s’arrêter, boulimique, enchaînant scenarii de bandes dessinées, romans, films,..., toujours à l’affût, se perdant parfois dans le tourbillon d’un trop-plein de créativité, dans la formule alambiquée ou la rhétorique mystique. Pourtant la fulgurance intervient parfois dans ce fatras de mots, de poésies disparates, intitulées parfois Chansons, parfois Rêves, ou encore Manifeste. L’éditeur de Ce qu’il ne fait pas taire a compris que la langue d’Alejandro prenait son envol le plus aérien, le plus musical, dans sa langue d’origine, et nous offre ici une version bilingue, avec d’un côté le texte en espagnol, et en vis-à-vis, sa traduction française, moins vivace, moins rocailleuse, sorte de feu tiède. Jodorowsky, adolescent, inventait déjà des jeux poétiques avec ses amis, décidant par exemple de tracer un chemin imaginaire droit devant lui, et sans s’arrêter, sans bifurquer de l’itinéraire, passant au besoin par des maisons, escaladant des grilles ou des arbres, il avançait vers cet hypothétique but, ce point d’ombre et de lumière. Peut-être est-ce même là qu’il faut situer la genèse de l’acte poétique chez Alejandro, un acte qui préexista toute sa vie, un coup de foudre pour l’irrationnel comme un habit de lune pour les jours où la rosée annonce les nuits d’ivresse, un levier pour soulever la vie et réveiller les hommes endormis dans leurs vêtements de routine, asphyxiés par la peur, pris dans le noeud de leur arbre familial.

Depuis Alejandro a pris l’habitude d’écrire un poème par jour, une sorte d’ascèse, un rituel zen, une pierre symbolique posée sur le passé comme ces très beaux mots sur l’absence du fils : « Je m’assieds pour converser avec l’ombre/ Qu’un jour d’été tu oublias sur le sofa ».

Ce qu’il ne fait pas taire tout entier renvoie au koan zen qui est en exergue des Nouvelles de Salinger et qui nous dit ceci :

« On connaît le bruit de deux mains qui applaudissent.
Mais quel est le bruit d’une seule main qui applaudit ? »

éditions MAELSTRÖM Tél./Fax : +32(0)2.772.06.03 www.maelstromeditions.com

Entretien avec A. Jodorowsky par Philippe Krebs

Entretien avec A. Jodorowsky sur www.disturb.org

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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