Où le consul se met à genoux devant nous et nous offre un parapluie frappé des armes de sa banque...
Salzbourg, 17 juillet 2003


par Gwenael De Boodt,    

 

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Gwenaël De Boodt, comédien et écrivain est parti à pied de Saint-Malo le 6 avril 2003, avec sa compagne Marion Derrien, artiste peintre, pour traverser l’Europe en large Manche-Mer noire jusqu’à Sibiu en Roumanie où l’attend une résidence d’écrivain le 31 octobre 2003. C’est une action de résistance en poésie à pied qui inclut toutes sortes de recherches et de réflexions poétiques, philosophiques, économiques, politiques...Au cours de ces 4.000 kilomètres, les Piétons de l’Europe emprunteront les inévitables sentiers de grande randonnée (notamment européens), mais aussi les routes goudronnées.

... Non loin du grand théâtre, nous trouvons la plaque de cuivre du consulat honoraire de la France où nous allons tenter d’obtenir quelques informations concernant les ressources francophones à Salzbourg. L’entrée se fait par un guichet de banque de derrière lequel un employé nous indique le minuscule ascenseur où nous devons nous engouffrer pour accéder au premier étage. La porte de l’appareil, que nous avons transformé en monte-charge avec l’encombrement excessif de nos sac-à-dos, s’ouvre au terme d’une ascension fulgurante sur une pièce barrée d’un comptoir le long duquel fourmille une triade d’employés de banque. On nous fait attendre dans le confortable giron de larges fauteuils de cuir. Nous doutons, Marion et moi, de nous être fait bien comprendre. C’est un consul et non un banquier que nous avons demandé à voir. Bientôt, un homme corpulent d’une cinquantaine d’années surgit de l’ascenseur et se met à genoux devant moi. La main en appui sur l’accoudoir de mon fauteuil, il baisse la tête et me présente sa nuque. Soumis comme pour une cérémonie d’adoubement, le visage rouge et les yeux cerclés de lunettes d’or, l’homme, en complet veston fait perdre sa cravate rouge imprimée de motifs représentant des pandas. Il m’adresse alors la parole, et, sur un ton désolé, en français :

-  « Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ? »

Sidéré, je reste muet. Relevant la tête, mon interlocuteur se présente alors :
« Je suis le consul honoraire de la France »
Son fort accent autrichien jette un doute dans mon esprit. De quelle grâce supérieur suis-je ainsi nimbé pour qu’un diplomate se jette à mes pieds et courbe le dos en m’adressant la parole ? Suis-je le roi d’un nouvel empire plus puissant que l’état bancaire ?
Je n’ai pas l’esprit suffisamment vif pour le faire se relever et le traiter en égal. Je l’entreprends du fond de mon fauteuil en lui montrant d’un index royal les pancartes qui courent nos sac-à-dos.

-  « monsieur, nous arrivons à pied de Saint-Malo. Nous sommes au milieu de notre voyage. Il n’y a point d’urgence. Je suis écrivain et j’aimerais consulter dans cette ville quelques ouvrages francophones au sujet de son histoire, de ses artistes et de ses poètes.
-  Malheureusement, nous explique le consul, le centre culturel français vient de fermer ses portes. L’Etat français fait ainsi des économies, voyez-vous. Il a supprimé deux postes : celui du directeur et celui de sa secrétaire. Tous les états d’Europe sont en déficit, enchaîne-t-il d’un ton accablé, l’Allemagne en premier. »
Sur ce le consul reprend un peu de dignité en se relevant pour nous inviter à le suivre dans son bureau. Une statue polychrome de la vierge en plâtre est installée sur l’appui de la fenêtre. Tandis que notre hôte, qui nous a fait asseoir, s’est éclipsé pour aller chercher des cafés, nous nous regardons Marion et moi, interloqués. Pourquoi dans cette banque ? Pourquoi cette manifestation d’allégeance ?
Nous sommes bientôt servis sur un plateau d’argent de deux cafés qu’un petit pot de porcelaine ouvragée, contenant de la crème, accompagne. Le consul prend place derrière son bureau.
-  « Vous êtes de nationalité autrichienne ? lui demandais-je
-  La fonction de consul honoraire est moins administrative que représentative ou hospitalière. Nous sommes toujours de la nationalité du pays où l’on représente la France. Je n’ai pas un métier de diplomate , tout juste une tâche que j’ai choisie d’accomplir en plus de mon travail. »
Nous comprenons alors que notre interlocuteur est le directeur de l’établissement bancaire par lequel nous sommes entrés.
-  « La culture est un bien sacré en Autriche, continue-t-il. Nous aidons et protégeons nos artistes. Je comprends qu’il vous faille sortir de votre cadre ordinaire en accomplissant ce voyage à pied pour aboutir à une œuvre littéraire.
-  Savez-vous, lui réponds, que le festival d’Avignon a été annulé en France ? »
Son visage s’illumine.
-  « J’en reviens justement. Je n’ai pas bien compris les problèmes qui se posaient ».
Je lui explique la décision, prise par la droite au pouvoir et le patronat, de supprimer le régime spécifique d’indemnisation des intermittents du spectacle au « chômage ».
-  « Les états sont déficitaires et cela va s’aggravant, me répond-t-il d’un ton désolé. Le festival de Salzbourg va bientôt commencer. Tout le monde est à l’œuvre ici. Vous pourrez trouver le fond de l’ancienne bibliothèque du centre culturel à la bibliothèque municipale », conclue-t-il en tapotant sur son ordinateur pour nous en fournir les heures d’ouvertures.
Nous continuons la conversation autour des solutions d’hébergement qui peuvent s’offrir à nous. Notre interlocuteur finit par comprendre que nous dormons dans la rue. Il nous propose la solution de la gare où la police semble tolérer le couchage nocturne.
Un courant d’air vient faire battre violemment la fenêtre.
-  « Cette pluie va durer. Le temps a changé. En règle générale. Les intempéries sont désormais plus contrastées. »
-  Nous savons cela : la détérioration de la couche d’ozone y est pour quelque chose ! »
C’est sur ce constat bien pessimiste que notre hôte nous congédie, poliment, non sans nous avoir offert auparavant un parapluie frappé du logo de sa banque afin que nous nous abritions de la terrible averse qui frappe la ville.

Dessin Marion Derrien - 47.3 ko
Dessin Marion Derrien

Le Texte de Marion :

Salut les Hermaphrodites !

D’après mon bouquin, l’hérédité ne définit pas la précarité. Pour la bêtise, des foules, un doute plane toujours. Observer des vrais touristes est un spectacle fascinant. Le plus intéressant est de constater l’exacte similitude de leurs déplacements, réflexions (quelque soit la langue), sujets de photos, habits, habitudes alimentaires. Il y a bien une universalité du genre humain dans les gènes : celui du tourisme, où chacun s’efforce de faire comme s’il était le seul à avoir eu la bonne idée de venir visiter ce lieu. Nous aussi devons avoir le même gène : comme chacun d’entre, eux, nous ne pouvons cesser de répéter : « qu’est-ce qu’il y a comme touristes ici ! »
Pourtant, nous ne trouvons pas notre place dans les hôtels, auberges de jeunesse ou autre lieu de prédilection de l’être humain en vacances.
Peut-être est-ce parce que nous ne sommes pas en vacances ! Nous sommes des touristes pour les services sociaux et des hypotouristes pour les touristes.
Mais nous-mêmes avons du mal à admettre cette catégorie dans laquelle on veut nous classer. Caritas, l’association d’aide aux sans-abri nous a immédiatement taxé de ce terme : à peine avions-nous passé la porte que l’homme, sans même relever la tête, nous a dit que l’office du tourisme était plus loin ! Il a fallu que je lui répète 5 fois ce que nous faisions pour qu’il admette enfin de nous appeler des « travellers », et il en a été de même avec chacun de ses collègues auxquels nous avons eu à faire. Le statut change en fonction des lieux où nous nous trouvons : en montagne, il est normal que nous soyons des « travellers », dans les villes, c’est impossible, et la simplicité évidente avec laquelle nous vivons en montagne devient une précarité inclassable en ville. Sans statut fixe, voilà ce que nous somme.
Je crois que cette pensée aide souvent notre fierté à se redresser.

 



Gwenael De Boodt

Les piétons de l’Europe
Je suis un Arpion céleste né en 65,vite chaussé de poèmes sous les ailes de l’Oiseau Noir, un grand canard vendu dans les rues de Rennes. Maitre ès-échasserie 10 ans durant sur la grande scène du pavé,je m’arrache bientot les plumes pour les tremper dans le jus canivellien du lyrisme.Je me fais l’apologue du Minotaure dans "Thésée aux iles ou l’Utopie Détroussée" (l’Harmattan), le manivellien de l’autopropulsion vélocyclopédique dans "Augustes Pédales" (inédit) puis je prends de la corne aux pieds pour mugir comme un fleuve contre la crue du Pactole en Europe. Voilà pour le moment : la carne comme l’écrit Philippe K.

 




 

 

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