Entretien à chiper à choper
Assassin : rap et révolution

par Philippe Krebs, par William Guyot,    

 

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"RAP : 1983. Mot anglais de "to rap", donner des coups secs "Le Robert"

Faut qu’on soit conscient de nos actions !

L’AVANT-GARDE, Assassins Productions, 1999

Hermaphrodite : "L’histoire commence pour toi en 91 avec radio rap avant de rallier Assassin ?"

MADJ (producteur du groupe Assassin) : "Pas exactement. En fait, j’ai rejoint Assassin en 91. Avant cette rencontre, j’animais une émission de radio sur ce qui est l’actuelle Beur FM ; cette émission s’intitulait "fusion dissidente, tribune libre de la culture urbaine". Mon objectif à l’époque était de faire un magazine radiophonique autour du développement de tout ce qui pouvait être à notre sens d’un certain anticonformisme culturel, d’une certaine révolte issue de la contestation. Donc de 1987 à 1991, c’est une période où j’ai fait des émissions avec les Béruriers, j’en ai fait deux."

H : "Tu as un passif un peu punk ?"

M. : "Un peu, oui bien sûr. J’ai donc fait des émissions avec eux (les Bérus), mais j’ai un passif dans toutes les musiques. Avec la radio, tu commences à être au cœur de plein de choses et j’ai fait des émissions avec des gens aussi divers que les Béruriers Noirs, certaines des premières radios de NTM et d’Assassin, des gens du reggae, des comédiens qui venaient faire des prestations live à la radio."

H : "C’était en quelque sorte la période des pionniers du hip-hop ?"

M. : "Disons plutôt que c’est la deuxième période, à Paris en tout cas. La première période, c’est celle de Sidney. Solo, par exemple, est dans le hip-hop depuis 82, il faisait du break ou du smurf au Trocadéro en 82-83. Après 87-91, je dirais que c’est la genèse de l’installation d’une scène en France, réelle, au-delà du gimmick achi pas chopé... c’est en gros la deuxième génération de la première école. En 91, j’ai rejoint Assassin et, fin 92, nous avons créé "Assassin Productions".

H : "La légitimé, c’était quoi ? Fonder votre propre label ?"

M. : "C’était surtout une nécessité. Par exemple, le premier maxi Note mon nom sur ta liste a été fait en 91 chez Remark Records qui est un label du groupe Polygram, c’est-à-dire qu’à l’époque, Assassin était signé en artiste chez eux. Il y a eu une rupture de contrat entre ça (Note mon nom sur ta liste) et les deux volumes du Futur. Lorsque s’est fait le clash avec Note mon nom sur ta liste, nous nous sommes retrouvés dans une situation où nous avions une sorte de réputation sulfureuse qui nous traînait au cul ; des rumeurs couraient comme quoi, par rapport à ce qui se passait dans l’industrie de la musique nous n’étions pas dans le sens du poil. Il y avait ce bruit véhiculé que nous étions des oufs. De plus, comme nous avions l’imagerie hardcore, ce n’était pas difficile pour les gens de croire que nous étions des dingues. Nous nous sommes donc retrouvés un peu cramés, nous n’arrivions à signer nulle part pour sortir cet album en deux volumes. C’est donc là que nous avons créé Assassin Production pour pouvoir sortir l’album d’Assassin."

H : "Etait-ce déjà un vrai concept ?"

M. : "Oui, nous avions en nous cette identité, chez nous, intrinsèque de ce que l’on appelle le do it yourself ; ainsi, par rapport à d’autres groupes, nous avions déjà une manière de nous promouvoir... par exemple, probablement n’avez-vous pas eu écho de cela à Nancy, mais nous avons fait un affichage sauvage à Paris en 93 ; c’est dans les mémoires de tout le monde."

H : "Sous quelle forme ?"

M. : "Nous étions 17-18 et on partait tous les jours de 5 heures du matin à une heure de l’après-midi pour coller à Paris et en banlieue ; on a collé en un mois et des brouettes plus de 20 000 affiches. On a rendu fou tous les afficheurs de Paris. C’est comme ça qu’on a promu notre premier album, en pleine campagne électorale pour les élections législatives, entre les deux tours. Le soir, c’était corsé, c’est pour ça qu’à un moment donné nous ne collions que le matin car la nuit, c’était trop chaud, vraiment trop chaud... trop de fachos qui traînaient, trop de FN, les flics...C’était trop bouillant. Nous nous sommes retrouvés deux fois en garde-vue ; une fois, on a croisé une espèce de bataillon de fachos..."

H : "C’est toujours aussi bouillant ?"

M. : "Ces périodes-là sont chaudes car, aux élections législatives, tu as toutes les forces politiques en œuvre. C’était la dernière ligne droite. Donc même les flics sont sur les nerfs et ils tombent sur des mecs qui collent "Le combat ne sera pas dans les urnes mais dans la rue", qui collent "Le futur que nous réserve-t-il ?" et "La censure est présente pourtant l’information circule", en pleine élection législative... Tout ça pour dire que nous avions déjà cette identité du do it yourself . En 1993, pour sortir cet album, nous avions organisé une conférence de presse dans une salle de spectacle qui s’appelle la Boule noire (qui fait partie de La Cigale) et que nous avions louée. Nous n’y avions convié que les fanzines, les émissions spé, aucun journal en kiosque, aucune radio nationale... nous avions appelé ça "Conférence de presse underground" et nous avions convié environ une centaine de personnes. On avait fait un truc mortel. Il y avait un grand écran et nous avions fait une projection exclusive du clip d’Assassin, "L’écologie sauvera la planète", avant qu’il parte dans les chaînes et tout ça. Les gens quand ils arrivaient, ils recevaient une plaquette promo avec la biographie du groupe, un volume de chaque album. C’était même pas parti dans les rédactions de presse que les fanzines l’avaient déjà."

H : "De quelle manière financiez-vous cela à l’époque ?"

M. : "Nous étions en licence chez Virgin avec un budget promo et, au lieu d’utiliser celui-ci à des choses traditionnelles qui pour nous ne correspondaient pas à grand chose, on a préféré convier des gens qui étaient un peu dans ce délire et qui souvent sont délaissés dans ce genre d’événement. La plupart des groupes, pour ce genre d’événement, une sortie d’album, un happening, ils en ont rien à foutre des fanzines, ils préfèrent inviter un mec des Inrocks. On a toujours eu cette identité. C’est donc vrai que le fait de se monter en label indépendant, cela correspondait à une identité, mais ça a été surtout par nécessité... si nous avions pu signer avant un contrat nous l’aurions fait ; nos recherches ont duré un an dans l’optique de signer un contrat d’artiste pour Assassin. C’est donc que nous en avions très envie."

H : "Et c’est donc toi qui a commencé à t’occuper de tout cela ?"

M. : "Disons que nous avons tous mis la main à la pâte et qu’il y a un noyau dur qui est resté, Squat et moi."

H : "et comment s’est déroulé le démarrage public ?".

M. : "Dès le début il y a eu un démarrage public. A l’époque, nous avions vendu quelque chose comme 25 000 albums et nous en sommes actuellement aux environs de 80 000... cela s’est fait sur la durée."

H : "Comment définirais-tu votre rapport aux médias télévisuels ?"

M. : "Ouais, ça c’est nous, parce qu’il faut gérer tout ça. Il faut faire attention. Même en relation avec les autres gens que tu rencontres dans la vie. Nous sommes dans une société de sur-communication où l’image a une importance sur-dimmensionnée... La télé, c’est un truc de dingue au niveau du pouvoir que ça a de pouvoir rentrer dans les foyers, dans les têtes tout ça et à un moment donné, si tu ne fais pas attention à cela dans le milieu de la musique ou tout autre activité exposée à un rayonnement médiatique, tu peux très vite être transformé en une sorte d’icône. Très, très vite, même en ayant pas fait grand chose. Nous sommes donc prudents vis-à-vis de ça."

H : "Tu ne peux cependant pas empêcher qu’Assassin soit en quelque sorte devenu une icône de l’underground".

M. : "Oui, mais icône physique...ça veut dire que les gens ne savent plus trop comment te parler parce que tu les impressionnes ; c’est un truc évident dans la musique... à partir du moment où les gens écoutent tes disques, ils te vouent en quelque sorte une admiration mais la télévision ça le cultive à une dimension surdimensionnelle. En même temps, nous pensons que c’est bien d’avoir focalisé sur l’entité qu’est Assassin plus que sur des visages ou des gens qui interviennent de façon inorganisée... tu en vois un qui un jour parle à droite, un autre qui parle à gauche... on s’est quant à nous toujours fixé une grosse discipline vis-à-vis de cela, il n’y a jamais rien qui est fait sans que la personne concernée soit au courant. Nous avons des modes de fonctionnements entre nous mais nous savons jusqu’où l’on peut se permettre de fonctionner tout seul et à quel moment se fixer des limites."

H : "Y a-t-il déjà eu des passages télévisuels d’Assassin ?"

M. : "La dernière grosse apparition que nous avions fait en tant qu’Assassin, c’était en 1991 sur France 2, dans une émission animée par Christine Ockrent. On s’était un peu fait rouler dans la farine et on a compris ce jour là comment ça marchait. Après, moi j’ai du faire deux, trois trucs, une fois chez Michel Field, il y a peut-être deux ans. En gros, on a toujours fait attention et il n’y a pas eu beaucoup de télé à part les clips."

H : "Il y a dans vos textes et certains groupes que vous produisez un véritable discours pédagogique".

M. : "Disons qu’il y a des choses que nous produisons qui sont moins conséquentes qu’Assassin au niveau du verbe... Comme La caution, c’est un autre délire, Pyroman & Neda, c’est encore un autre délire. Assassin, oui. Et Kabal, c’était un peu comme ça..."

H : "Pourquoi ne pas justement se servir de la télé pour mettre en avant ce rôle pédagogique ?"

M. : "C’est vrai que la télé est un outil formidable... Encore faut-il être à l’aise et savoir le gérer. Par exemple, la prestation hier de Zebda chez Michel Field était excellente et c’est fantastique de pouvoir utiliser le média qu’est la télé pour laisser des espaces d’expression à des gens qui ont du mal à en avoir. Mais c’est quelque chose qu’il faut gérer... nous, on l’a géré de manière très catégorique, ça nous empêche pas d’avancer, ça nous ralentit peut-être, c’est possible... peut-être cela nous permettrait-il de gagner du temps parfois pour faire passer certaines choses que nous aurions envie de faire passer..."

H : "De toute façon, les actions militantes, vous les avez à côté avec des gens comme Mumia Abu-Jamal, Léonard Peltier,... en quoi consistent vos actions militantes ?"

M. : "C’est plein de choses comme par exemple d’avoir été au côté du MIB sur le lancement de la campagne "Justice en banlieue", cela peut être un concert gratuit dans un collège..."

H : "Dans le milieu carcéral également ?"

M. : "On ne peut pas jouer en prison, mais ce n’est pas que l’on ne veut pas, c’est que l’on ne peut pas !

H : "C’est une interdiction ?"

M. : "Les gens chargés de présenter les choses à l’administration pénitentiaire savent pertinemment que ce n’est pas la peine. Il y a un contrôle et plein d’autres choses. En milieu carcéral, on fait des radios avec les détenus, comme avec l’atelier radio de Fleury-Mérogis. On avait aussi fait un atelier vidéo à la Santé, c’était mortel : c’était filmé par les détenus, c’était des discussions à bâtons rompus, mais je pense que l’on ne pourra plus jamais le faire.

H. : "Ça a jamais été diffusé ?"

M. : " Je l’ai en VHS moi, mais ça a été diffusé uniquement sur le canal interne de la prison. On fait des trucs comme ça, comme on peut donner un coup de main sur l’histoire de Mumia, mais ce sont des actions d’engagement. J’appelle pas ça militer. Militer, c’est quand même autre chose. Le militantisme, c’est un truc chronique, plus conséquent que ce que nous pouvons faire. Militer, c’est empiéter beaucoup sur la vie privée, nous on a pas le temps, mais nous pourrions le prendre... Mais, je te le dis franchement c’est rude.

H : "Le prochain album d’Assassin, Une touche d’espoir, un titre qui nous surprend agréablement ?"

M. : "Ce qui marque beaucoup nos sociétés aujourd’hui, c’est le désespoir. Les gens sont désespérés de ne pas avoir de perspective, sont désespérés de plein de choses, de douleur, et encore je te parle pas de la souffrance que peut ressentir quelqu’un de pauvre dans un pays du Tiers-Monde. C’est encore autre chose. Ici, c’est une autre forme de souffrance, les milieux populaires sont énormément teintés de désespoir et avec cette fin de millénaire, on a l’impression de changer quelque chose, même si c’est symbolique. On estime qu’il va y avoir un changement, dans l’inconscient, même s’il n’y en aura pas. Parce que c’est passer d’un jour à l’autre en fait, passer d’un millénaire à l’autre. Alors, si ce qu’on fait peut apporter un peu, tout simplement, c’est l’espoir pour ce prochain siècle et même dans le rap français, qu’il y ait des choses cohérentes qui se passent."

H : "Justement, à propos des débuts du hip-hop, je voulais reprendre une phrase qui était peut-être de toi, que j’ai lue dans RER et qui est la suivante : "on déplore aujourd’hui que le hip-hop français n’ait pas cette vocation de contre-information et de contre-culture qu’avait le hip-hop des Last Poets ou de Grand master Flash. En France ça n’existe pas." Nous avons vu également que Solo, lorsqu’il est parti à New-York, avait vécu avec Africa Bambataa qui exprime en quelque sorte la souche..."

M. : "Et encore Bambata, c’est un trip... Last Poets c’est différent, ce sont de jeunes noirs qui à la fin des années soixante sont pris dans toute l’émulation intellectuelle, culturelle qui a cours chez les afro-américains et se retrouvent dans un contexte qui, en terme organisationnel et d’idées, est très faste pour les afro-américains. Il existe des périodes beaucoup plus sinistres, comme celle actuelle où il n’y pas grand chose si ce n’est quelques impasses comme Nation of Islam... et donc, Last Poets étaient là-dedans et ils faisaient de la scansion, c’était des rythmes produits à l’aide de percussion et ils parlaient sur ces rythmes... on dit que cela a lancé entre guillemets une forme ancestrale de rap. Pour nous, en tout cas, c’est la genèse et ce que racontent les Last poets, c’est des choses sensées, c’est véritablement de la contre-culture et de la contre-information. Mais à l’époque, quand on disait ça, la situation était bien moins grave qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, si tu regardes ce qu’est devenu le rap français... Mais pour nous, il n’y a pas de problèmes parce ce sont des choses que l’on sait, on n’est pas surpris que lorsque quelque chose puisse devenir à ce point économiquement viable, c’est évident qu’il y a une version "populaire" parce qu’il faut engranger des millions et des millions de vente. Donc après s’ensuivent toutes sortes d’abus, tous les égarements qui peuvent être ceux des acteurs de cette mouvance."

H : "Que vois-tu de positif en ce moment, à ton échelle, dans le hip-hop français ?"

M. : "Ce que je vois de positif, c’est la tendance qu’ont aujourd’hui beaucoup de jeunes groupes à aller de l’avant alors que ce n’est pas évident de se faire sa place et tout ça, et que je pense que l’on va traverser une période qui sera une nouvelle ère dans cet univers et je pense que nous sommes au début du développement d’un vrai underground. C’est-à-dire un truc solide non monopolisé par des intérêts mesquins ; même derrière ceux qui ont des soi-disant discours qui agissent en définitive comme des épiciers qui défendent une boutique."

H : "Nous avons été surpris par exemple par Ministère AMER et la façon qu’ils ont eu de retourner leur veste..."

M. : Je ne sais pas s’ils ont réellement retourné leur veste car, même à l’époque, je me souviens que leur objectif c’était de vendre des millions de disques, qu’ils feraient tout pour plaire à la ménagère de moins de cinquante ans et je ne sais quoi d’autre..."

H : "Ils ont en quelque sorte changé de discours..."

M. : "Est-ce qu’ils avaient un vrai discours ? tu me dis qu’ils ont changé de discours... en fait, je n’ai jamais trop compris quel était le discours. Ne crois pas que je sois en train de médire ou quoi que ce soit, mais c’est un état de fait. Et je ne comprends toujours pas quel est le discours. Il y a certes une certaine emprise économique et idéologique des Majors compagnies. Idéologique dans le sens où les groupes n’ont pas le réflexe de comprendre que les choses peuvent se passer autrement ; et ce n’est justement pas en disant que c’est comme ça et que ça ne peut pas changer qu’il peut réellement se passer des choses excitantes. A partir du moment où tu te dis que le seul truc, c’est rentrer dans un moule de maison de disque major, encore faut-il déjà pouvoir signer car aujourd’hui, même si t’es bon tu ne signes pas... c’est justement cette grande difficulté aujourd’hui de pouvoir signer qui me fait penser que le véritable underground va exister. Les jeunes groupes qui vont arriver n’ont pas tous les a priori qu’ont certaines personnes qui sont depuis plus de temps dans ce milieu, les a priori que chacun a sur chacun... car cela fonctionne comme ça, c’est un monde d’épiciers. Pas tout le monde, mais beaucoup."

H : "Y a-t-il une solidarité assez forte entre les groupes de rap ?"

M. : "Solidarité au nom de quoi ? Ça dépend. Nous, c’est humain, groupe de rap ou pas on s’en fout, il y a une relation humaine, on est des hommes. Le rap, pas le rap ? Il se trouve qu’on est dans ce milieu et donc, on est plus à même de rencontrer des groupes de rap que d’autres groupes. En réalité, nous sommes en phase avec plein de groupes. Après, c’est un rapport humain, les choses se font si elles doivent se faire... je ne peux pas parler des autres. Peut être que certains ont des solidarités au nom du hip-hop ou au nom du rap et nous, on a d’abord des solidarités au nom de l’humain. Et si les choses doivent se faire entre les gens, elles se font. Je ne sais pas si il y a beaucoup de solidarité. En tout cas tant que tu ne pèses pas, qu’il n’y a pas trop d’argent, trop d’enjeux c’est une certaine ambiance et quand il y a la thune, que tu es sur le marché et que certains te bouffent des parts de marché, cela se change en un autre rapport ; après, tout le monde peut jouer les mythos ou je n’sais quoi mais la réalité c’est ça, alors la solidarité, je n’sais pas... je sais que certains ne seraient pas solidaire avec des gens dont ils savent qu’ils ne peuvent pas en tirer un quelconque intérêt... c’est plein de trucs dans ce genre... des trucs d’épiciers avec un grand ou un petit maquereau qui s’appelle Skyrock et qui décide un peu de ce qui doit se passer..."

H : "Justement, c’est quoi le phénomène Skyrock ?"

M. : "C’est pas méchant , c’est une radio. Il y a un bizness, il y a un marché..."

H : "Beaucoup de choses sont parties de là."

M. : "Oui, ça engrange du pognon, il faut un média national qui diffuse cette musique et Skyrock est la première sur les rangs. C’est tout, stop ! Là où maintenant ça devient embêtant, c’est lorsqu’on se penche sur ce qu’ils font à l’intérieur de ce truc là ; cela devient alors moins réjouissant... le problème vient de tout ce qu’il y a autour, c’est qu’aujourd’hui, comme le rap pèse un certain poids économique et que c’est le seul réseau national qui se soit investi là-dedans, ils ont un quasi-monopole. Cela veut dire que ce sont eux qui décident selon leurs velléités artistiques quelle chanson sera single. Les maisons de disques ne parient plus vraiment sur des titres ; ils vont faire écouter l’album à Skyrock en leur disant qu’ils ont pressenti tel ou tel morceau et alors, les décideurs de Skyrock interviennent en disant qu’ils ne sentent pas tel ou tel morceau... et les groupes calquent leur politique artistique sur les desiderata du marché car ça en fait partie. Voilà ! c’est ça le problème. Parfois, quand j’allume Skyrock et qu’il font le coup du "appelez moi au 06 ou 08 36 69 rejoins moi, je suis là on va s’amuser", il faut savoir que c’est une radio teenage ; ce n’est pas d’un point de vue moral que je dis ça, les mômes sont affranchis de certaines choses avant qu’on leur dise mais est-ce que c’est bien d’entretenir ça auprès d’un public teenage, ce genre de conneries avilissantes, même pour l’image de la femme, est-ce que c’est bien également de faire des choses dans le même genre comme des messageries homosexuelles ? je n’ai rien contre les homos mais est-ce que c’est bien de maintenir tout cela par le biais d’annonceurs sans scrupules qui savent qu’il y a un public jeune, qu’il y a du monde et que ça pianote sur le Minitel, les ordis et Internet, que ça aime bien faire des canulars téléphoniques entre copains... mais pendant ce temps le 08, ça douille. Mêler le rap, qui est une musique qui a une histoire, même si ce qui passe sur Skyrock ce n’est pas toujours du rap pour moi, même si ça en à l’air... mêler le rap à ça, voilà pour moi le problème. Nous, nous n’avons pas de problème avec Skyrock car on existe avant qu’ils soient là, on a jamais existé grâce à eux, ils nous ont jamais rentré un titre en Play list, donc on continue à être là, on espère qu’on arrivera à tenir le coup. De toute façon, Skyrock ou pas, on continuera à faire ce qu’on a à faire et voilà ; mais nous, c’est pas Skyrock qui va nous dire ce qu’il faut qu’on fasse comme single. Bref, le phénomène Skyrock c’est ça, c’est une radio qui se place sur un marché où il y a de l’argent à prendre, mais si ça n’avait pas été eux, cela en aurait été d’autres de toute façon. Parce que c’est ça le débat ! C’est un peu un débat puéril dans le mouvement hip-hop, "ils viennent gratter, ça marche", "c’est des imposteurs". on s’en fout de ça, c’est des trucs pour adolescent."

H : "Quel message voudrais-tu faire passer avec Assassin Production ?"

M. : "Notre conception de la musique, notre façon d’avancer dans ce milieu qui est somme toute différente de beaucoup de gens, surtout là-dedans où pendant longtemps on est apparu comme étant des dingues. On a toujours été à part dans ce milieu sans que je comprenne vraiment pourquoi, surtout par rapport à notre histoire.. enfin, on est un peu dans un truc qui n’est pas conforme avec la majorité ambiante. Voilà, c’est plus là-dessus, quels rapports on a avec tous les stéréotypes qui peuvent circuler autour du rap et qui sont véhiculés par des gens de là-dedans... à propos des stéréotypes, le hip-hop ou le rap-buisness à tendance à s’associer, et à être le relais de certaines valeurs qui idéologiquement sont largement liées au système qui pourrit la vie de millions de gens... la promotion du système libéral, ce culte de l’entreprise individuelle, d’être le premier... ça a un peu un côté déshumanisant, c’est un truc un peu à l’américaine dont je ne vois pas l’intérêt ; le culte de l’ultra-matérialisme... mais c’est peut-être aussi lié aux gens plus modestes, l’ignorance, la désinformation, comme le côté par exemple bêtement homophobe, sans être celui qui est pour, celui qui dit oui, c’est bien d’être homo, sans aller jusque là mais bon, de là à être homophobe, il faut essayer de se maintenir dans un juste milieu".

H : "Le rap c’est quand même devenu plus ou moins un truc de meufs puisque les B-Boys ne pensent en fait qu’à la sape (rires)."

M. : "Ouais, mais ça c’est pas pareil. Comme dans tous les mouvements, t’as des uniformes, comme dans le punk rock... un Perfecto, ça coûte pas 200 francs même s’il est d’occase ; une paire de Doc Marteens ça coûte pas 150 francs. C’est peut-être un peu décuplé dans le rap parce qu’on est dans une ère surcapitalisée, dans une époque de fous, ce n’est pas la même chose. Et puis il y avait un côté un peu nihiliste chez les punks, mais malgré tout il y avait un uniforme. Le rocker c’était pareil... c’est des codes. C’est propre à tous les mouvements. Skinhead, qui est un mouvement Working class à l’origine, il y a un uniforme aussi, idem pour les Beatniks. Le vêtement est en réalité un langage. C’est lié à cette surexposition de marques ; aussi, lorsque tu fais partie du milieu populaire, en voyant tout autour cette incitation à la surconsommation, t’as l’impression que pour être quelqu’un dans cette société, il faut consommer, il faut être celui qui a du pouvoir d’achat. Afficher des marques, c’est un truc vieux comme le monde chez les pauvres. Afficher sa classe."

H : "Quels sont vos pères ? Qui vous a formé au niveau du mental ? Qui vous reconnaissez vous au niveau littéraire et musical ? Est-ce qu’il y a une école Assassin ?"

M. : "C’est très vaste, les influences sont multiples. Tu as la richesse énorme d’un patrimoine culturel qui s’étend sur des millénaires... je pourrais te citer plein de noms. C’est le patrimoine culturel de l’humanité qui nous influence ; la musique en fait partie mais on ne se construit pas qu’autour de la musique. On s’est aussi construit avec les fables de La Fontaine, Victor Hugo, les mathématiques, nos cultures d’origines, les philosophes grecs, quelques écrits théologiques puisqu’on est tous imprégné, que l’on croie ou pas, d’un minimum de culture religieuse. Bref, il y a des choses à prendre partout ! La lutte des peuples, ça influence, la Commune de Paris, la lutte du peuple palestinien. Quant à savoir s’il y a une école Assassin... c’est vrai que Assassin a une histoire particulière dans ce milieu, une importance dans l’histoire de ce milieu. C’est pour ça qu’on peut peut-être dire qu’il y a un truc où ça suit un peu, mais bon après il faut demander ça à d’autres gens.

H : "Est-ce que l’explosion sociale viendra des cités ?"

M. : "Je ne sais pas si elle viendra exclusivement des cités mais en tout cas c’est sûr que le sous-prolétariat, dans un mouvement "révolutionnaire", en général y prend part ; ça viendra des banlieues mais aussi d’ailleurs, de la classe ouvrière en grève... mais le système dans lequel on est aujourd’hui a des armes, des armes insidieuses très puissantes pour contrecarrer, pour brouiller les pistes, pour maintenir les gens dans la confusion. Sinon, je pense que les conditions peuvent très vite êtres réunies pour que ça arrive. Mais il y a une condition ultime qui est l’unité des travailleurs, avec les lycéens, les étudiants, les non-travailleurs, les précaires... l’unité des masses, c’est ça le maître mot. Mais en tout cas, les conditions sociales et politiques sont réunies pour qu’il puisse se passer quelque chose. Je ne dis pas qu’il va se passer quelque chose mais simplement que les conditions sont réunies pour qu’il puisse se passer quelque chose. C’est sûr. Tu as de plus en plus de gens de plus en plus pauvres, il y en a de plus en plus."

H : "Quel avenir pour Assassin Production ?"

M. : "L’immédiat, c’est déjà de se battre sur les quatre maxi que l’on vient de sortir. La prochaine et très importante échéance, en début d’année, ce sera l’album d’Assassin qui est un gros truc pour nous. Ensuite, il faut qu’on continue à travailler, nous avons le troisième volume de L’avant garde à sortir également en début d’année ; continuer de travailler avec quelques artistes que nous avons en développement et d’avancer comme ça, bien, tranquille, à notre rythme. Si on peut déjà tenir ça, ça sera déjà bien. On se doit d’être à l’heure. D’un point de vue plus large, l’objectif, c’est de pouvoir continuer à faire ce qu’on fait avec l’envie qu’on a toujours eue et dans la direction qu’on s’est donnée. Si on pouvait continuer à faire ça avec un peu plus de moyens, ce serait super..."

H : "Et les tournées ?"

M. : "Certainement courant 2000 pour pousser l’album qui va arriver, une grosse tournée... et puis il y a besoin qu’Assassin soit sur scène."

H : Vous avez également un site internet... (http://www.assassin-productions.fr/)"

M. : "Effectivement, on anime un site depuis à peu près un an. Au-delà d’être un outil qui permet de faire la promotion et de vendre des produits merchandising ou dérivés, c’est aussi un outil d’information et de communication, au même titre que le rap. A l’intérieur du site, il y a plus de 300 pages portant sur des sujets qui nous tiennent à coeur ; il y a des dossiers avec des revues de presse, etc."

H : "Est-ce qu’il sera possible de télécharger une partie du dernier album ?"

M. : "Peut-être un petit peu... mais nous le faisons déjà, il y a du son sur le site. Tous nos sons."

H : "Enfin peut-on y trouver les textes de toutes vos chansons ?"

M. : "Il y a beaucoup de textes d’Assassin, presque tous si ce n’est quelques inédits qui doivent manquer."

Propos recueillis par William Guyot et Philippe Krebs Paris, vendredi 26 novembre 1999

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).



William Guyot

Né le vendredi 13 avril 1970 à la maternité de Pompey. To be continued.

 




 

 

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