Le carrefour des métèques IV

par Philippe Krebs,    

 

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La voie de la connaissance et la voie du mécréant

Alexandro Jodorowsky s’est intéressé à diverses mystiques, et a suivi nombre d’enseignements avant de créer le sien propre, qu’il nomme la « psychomagie » : Gurdjieff, Suzuki, le zen, le bouddhisme, la culture japonaise, la culture chinoise, le soufisme, le judaïsme, le Zohar, la cabbale...
C’est au Mexique qu’il rencontre un Roshi zen, un « japonais sans âge », Ejo Takata. Il suit ses leçons, endure les coups de bâton, et demeure à ses côtés pour une durée de cinq ans avant qu’il ne s’évanouisse dans la nature, ne laissant au Mexique que la trace de sa légende. C’est au Mexique toujours qu’il fait la connaissance de la sorcière Pachita, une vieille femme guérisseuse. Dans la ville de Mexico, il existe tout un monde de sorciers. Lors de ses opérations, elle tombait en transe. Jodorowsky a même recours à ses services : « Lorsque les gens ne se portent pas bien ou que les choses vont mal, ils rendent visite à une sorcière qui effectue une sorte de nettoyage purificateur. Elle vous frotte tout le corps au moyen d’un tas d’herbes trempées dans l’eau bénite. C’est là une pratique extrêmement courante, et pas seulement parmi les gens du peuple. Les intellectuels et les hommes politiques n’hésitent pas à s’y adonner, tant la sorcellerie fait partie de la vie mexicaine. Parmi ces sorciers, on trouve bien sûr des guérisseurs experts en champignons hallucinogènes et en plantes médicinales. Certains connaissent jusqu’à trois mille herbes. D’autres ont exclusivement recours aux excréments animaux. Il existe aussi des créatures bizarres présentant des phénomènes dont on ne sait s’ils relèvent de l’escroquerie ou de la magie. Par exemple, je me souviens d’une femme retirée dans un petit village qui se présente toujours à peine vêtue d’une chemisette : de tout son corps sortent des pointes d’acier. »(A. Jodorowsky, Le Théâtre de la guérison, Editions Albin Michel, 1995).
Jodorowsky s’inspirera par la suite des pratiques de magie courantes au Mexique. Il devient l’assistant de Pachita, commence par lui réciter les poèmes qui provoquent la transe : « Au-delà de leur côté outrancier, voire révoltant, de telles expériences ont une valeur initiatique. Elles t’obligent à passer très concrètement, ne serait-ce que pour un moment, au-delà de l’attraction et de la répulsion, des conditionnements culturels, des critères du beau et du laid. (...) J’admets que tous ces actes n’étaient pas toujours accomplis en pleine conscience et qu’il s’agissait d’une période expérimentale, mais c’est en entrant dans la cage que l’on dompte le tigre. » (Gilles Farcet, La Tricherie sacrée : entretiens avec Gilles Farcet, éditions Dervy-Livres).
Il faut cependant recontextualiser ces expériences, dire qu’elles prennent leur source au Mexique, et plus généralement en Amérique latine, dans des endroits que Jodorowsky définit comme « sauvages ».
« - Gilles Farcet : Durant ces années mexicaines, tu te rendais souvent en France, et c’est à cette époque que tu es entré dans l’histoire de la culture en fondant avec le dramaturge Arrabal et le dessinateur Topor le mouvement « Panique »... »
« - A. Jodorowsky : Cela s’est passé avant ma rencontre avec Ejo Takata. Je le précise car mon contact avec le zen a par la suite modifié ma façon de voir et mon comportement. Topor est athée, Arrabal s’est assez récemment converti au catholicisme...Mais à l’époque, nous étions jeunes et voulions aller plus loin que le surréalisme (...) »(Ibid. p.54).
Topor prendra rapidement ses distances avec Jodorowsky, peu enclin au mysticisme et aux croyances, sous quelques formes que ce soit. « Je n’ai jamais cru au petit Jésus », dira Topor, « je croyais que c’était le Père Noël pour les paysans », ou ailleurs « Dieu est une femme noire et lesbienne » (R. Topor, Le Locataire chimérique, Paris, Buchet-Chastel).

Photographie de Catherine Harlé, 1962, Arrabal et Jodorowsky chez Catherine Harlé

Lire l’entretien avec A. Jodorowsky sur le site Hermaphrodite

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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