Tu as beaucoup de chance, le reptile. Tu es dans le silence perpétuel, toi. Tu ne penses à rien, jamais. Pas comme l’autre qui me regarde dans cette glace antique, là, posée en biais contre le mur, avec son gros cadre toujours pas restauré. Trop lourde pour l’accrocher. Et puis y a pas de perceuse dans la boîte à outils. Et puis y a pas de boîte à outils. Et puis de toutes façons, elle ne sait pas s’en servir. Juste planter un clou. A l’occasion. Planter un cri en couleurs. Saper le lisse qui l’entoure. Qui m’entoure. Attention ma petite, tu commences à te parler de toi à la troisième personne. Mauvais signe. Surveille-toi ou bientôt tu rangeras le contenu de ton yaourt dans le rond de serviette et la serviette au vide-ordures. Et après t’auras faim. Et tu chercheras pendant deux heures où tu as bien pu foutre ton tablier. Et tes chaussures seront dans le frigo.

Putain... Mal à la tête...

La mécanique coule. Mais la douce brûlure du désir ne passe pas mes pores. Ni regard, ni tes mains, rien en toi ne me cherche. Dans ma tête s’affolent à toute vitesse les coups de fouet d’ancestrales vérités. Pour que je me lâche, il faut que tu me regardes. C’est toi l’homme qui me fait femme. Regarde-moi. Allume-moi. Sans toi je...

Regarde-moi. Je n’ai rien avalé depuis des jours. Mes cheveux tombent par paquets. Ma peau est grise et mes os saillent. Je me suis suicidée avant-hier soir, tu te rappelles ? Non. Tu ne le peux pas. Je ne t’en avais rien dit.

C’était beau pourtant. Ça t’aurait plu. C’était s’envoler vers les étoiles qui sont dans mes yeux quand je pleure, s’envoler par la fêlure, tu sais, la béance au milieu de mon ventre par où coule l’éphémère. Comme le bitume dehors, qu’ils sont en train de crever. Tout pareil que ça. A quoi bon désormais. C’était il y a longtemps, n’est-ce pas ?

Longtemps...

Regarde-moi. Je suis blonde comme toi. Ma peau est blanche et un chaton demain ronronnera entre les deux poufs du canapé. Pile dans le creux. Un rai jaune ensoleillé perce, caresse les lattes du sol, un peu ma jambe, poussières tremblantes dans son sillage, lumineuses, scintillantes, poussières, poussières... que ne savez-vous dire... le plâtre blanc, blanc et violacé, sur mon front... mes cheveux... gravats sanglants... ce long éclat de miroir planté en moi, on dirait... ce sperme rouge... tu étais entré comment, dis ? Tout à l’heure ? Tu étais entré ? Tiens. Ça y est. On dirait qu’ils ont arrêté le massacre. Quel calme d’un coup... Attention je vais me lever bientôt, me mettre debout... et je te foutrai dehors... bientôt... j’ai encore de l’affection pour toi... tu... continues à m’attendrir malgré tout... je vais me lever... et tu vas t’en aller... mais d’abord, il faut... rallumer la lumière... pourquoi ont-il éteint la lumière en même temps qu’ils ont arrêté le marteau-piqueur... Yriel... tu es là ? Je ne te vois pas... viens mon chaton... viens vite... on va se reposer... dormir... juste une minute... une toute petite... minute... Yriel...

[nouvelle extraite de Veiller à la machine]