Entretien psychiatrique
Une voix douce

   

 

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A 400 mètres de l’Allemagne, l’hôpital psychiatrique de Sarreguemines. Un hôpital comme un autre, si ce n’est au centre, une citadelle néogothique construite par les Allemands en 1880. Hauts murs électrifiés, sauts de loup, sas et portes blindées. Services de sûreté. 400 hommes enfermés. Médico-légaux, "dangereux" ou simplement, ceux qui "pertubent l’atmosphère psychothérapique d’un service". On y arrive muté d’un hôpital psychiatrique. Sur réquisitoire d’un médecin-chef. Avec l’accord du préfet. On n’en sort jamais directement. Une commission décide du retour en hôpital psychiatrique "ordianaire".
Christian a 30 ans. 10 ans d’H.P. Cinq à Sarreguemines. De 1970 à 1975. Aujourd’hui, il habite dans un foyer Sonacotra près de Lyon. Tous les mois, il retourne à l’hôpital pour une piqûre. Il dit qu’il est violent. Sa violence est endormie. Il parle d’une voix douce.

...Rien a changé. J’y suis retourné il y a deux mois pour voir les copains. On ne m’a pas laissé entrer.

- Comment avez-vous été muté à Sarreguemines ?

-  J’avais 17 ans. J’ai volé ma grand-mère. C’était au Mans. Les gendarmes m’ont arrêté. Ils m’ont emmené en prison. En prison, je me suis fait un tatouage, un poignard de vengeance. Je l’ai brûlé avec du sel. ça s’est infecté. On m’a mis à l’hôpital psychiatrique. Là, j’ai esquinté un médecin.

- Pourquoi vous l’avez esquinté ?

-  Il disait comme ça , "il vient de prison, je m’en occupe pas", ça m’a pas plu, j’ai tapé...

- Et ensuite ?

-  On m’a d’abord isolé un mois ou deux. Un jour, ils m’ont dit vous partez. Ils m’ont fait une piqûre et ils m’ont emmené à Sarreguemines en ambulance. J’ai d’abord passé quelques semaines en cellule d’observation. C’est une cellule comme toutes les autres avec un lit fixé au sol et une toilette sans chasse d’eau - c’était les gardiens qui la tiraient de l’extérieur. Plusieurs fois par jour, le gardien me regardait par la porte blindée. C’est une porte vitrée avec des barreaux. Il y avait rien. Rien à faire... Sans rien faire pendant des semaines.

- On enlève les lacets, les ceintures ?

-  On va se coucher en slip et en maillot de corps. On n’a pas de pyjama à cause de la cordelette. On laisse ses habits dehors. Après, je suis allé dans le service... On nous donne une tenue d’hôpital. Une tenue pénale, tous pareil. Un pantalon et une chemise bleue en toile. Un pull gris et une veste de laine marron. Des pantoufles. Je dormais en dortoir. Par dix. Dix lits scellés. La journée, je pouvais aller au réfectoire. C’est une pièce de 10 mètres sur cinq. On était 40 dedans. On jouait au cartes, on lisait, on écoutait le poste. On marchait de long en large, on dormait.

- Il n’y avait jamais de bagarres ?

-  Oh si, y’a de la bagarre ! Quand je travaillais pas, j’avais pas de cigarettes, j’amochais tout le monde là-bas... C’était plus fort que moi. Quand je voyais des types vraiment "nazes" devant moi. Fallait les taper ! Ils avaient peut-être dix ans de Sarreguemines. Ahuris ! Amorphes ! A table, ils sont comme ça... Ils mangent, on sait pas comment ils mangent. Ils dorment debout... Alors je repartais en cellule. On y met ceux qui font les cons. J’y suis resté en tout sept mois, huit mois ?... Je sais pas exactement. ça dépendait des conneries que je faisais... Pour déclencher la sonnette d’alarme dans les pavillons, les infirmiers avaient un genre de truc en fer qu’ils mettaient dans le mur, dans une prise. Tous les infirmiers radinaient. Une fois j’ai mis un morceau de fil de fer dans la prise. Ils ont couru pour rien...
J’ai eu des électrochocs aussi. Les infirmiers vous tiennent. Avec l’éther qu’ils mettent ça vous endort. Tchikk ! On perd connaissance une demi-heure. C’est pas douloureux. On a une crise d’épilepsie. Je sais pas comment on est après. On dort... J’ai manqué de mourir. Je me faisais du souci. Je mangeais plus. Je pissais le sang. Un soir, vers minuit, j’ai commencé à râler. L’infirmier m’a vu, heureusement. Ils m’ont fait des piqûres, et ils m’ont mis sur un matelas-masseur pour que j’aie pas d’escarres...

- Dans quelles conditions peut-on travailler ?

-  Il faut l’autorisation du médecin... J’ai tout fait. De la soudure, de la mécanique, les paniers en osier. On gagnait 27, 30 balles par mois. Le maximum c’était 50. Huit heures par jour. Mainenant le maximum c’est 100, 140 F. On cantinait pour un mois. On achetait des cigarettes de ricoré contre une cartouche de gauloises. C’était interdit le commerce de la ricoré. Celui qui se faisait choper prenait 15 jours de cellule... Quand on travaillait, on avait le droit de sortir dans la cour. Des fois je faisais une partie de boules. On pouvait pas aller bien loi. Autour des la cour, il y avait la fosse à ours. Et des murs d’enceinte, avec des fils électriques. Si vous passiez, ça déclenchait une sonnerie. Quand il pleuvait, on entendait Bzzt ! Bzzt !

- On peut s’évader ?

-  Il y avait des plans d’évasion. ça échouait toujours. Une fois, des malades ont assomé un infirmier avec une bouteille, ils lui ont pris ses clés. ça leur a coûté cher ! Des électrochocs, de la cellule. Tous les matins, ils avaient une trempe et une douche froide.
Je me suis évadé au bout de trois ans et demi, quand j’étais en semi-libre. Je travaillais "à la colonne". Je balayais en dehors du service de sécurité. C’était le jour de la kermesse. Ceux qui travaillaient "à la colonne" avaient le droit de rester deux heures à la fête. On nous avait donné cinq francs chacun. J’ai pris la poudre d’escampette par la voie du chemin de fer, par les prés. ça va dans la campagne, je m’embourbais, je suis passé en Allemagne. J’ai travaillé chez un paysan. Il m’a pris pour les foins. J’étais perdu. Je savais plus comment c’était la vie dehors. Un soir, j’ai été me promener, les douaniers m’ont chopé sans papiers, ils m’ont ramené à la frontière. Le paysan m’avait donné 25 marks pour deux jours. J’ai fait du stop jusqu’à Lyon. Puis à Cannes. On m’a retransféré à Sarreguemines. Là, j’ai fait six mois de cellule. Régime jockey ! Deux pommes de terre avec un petit morceau de viande. Cinq, six frites. Et des cachets. On somnole... Et puis, on voit pas de emmes pendant des années. Y’en a qui se prostituent. Des gars, au dortoir. Ils se font pyaer en cigarettes. Quand on se fait prendre, ça coûte des mois de cellule et on change de service.

- Vous avez des nouvelles de ceux qui étaient avec vous ?

-  J’ai un copain qui y est encore. Il habitait à Clermont-Ferrand. Je crois qu’il avait tapé des voisins dans un HLM. Les flics sont venus. Ils l’ont emmené à l’hôpital. A l’hôpital, il se battait toujours. Ils l’ont emmené à Sarreguemines. Il y en avait un autre qui avait tiré par la fenêtre de sa maison. Il avait tué deux enfants. Un autre est mort. Il avait fendu sa femme, avec une hache, et le mec qui couchait avec elle. Il avait été condamné au bagne à perpétuité. A plus de 70 ans, on l’a ramené de Guyane. Il a fini sa vie à Sarreguemines.

- Comment avez-vous quitté l’hôpital de sûreté ?

-  C’est la commission qui a décidé au bout de cinq ans. Quand je suis parti, j’étais fou ! Fou de joie. J’avais mal aux jambes. Je pouvais pas marcher longtemps. J’ai été transféré à Lyon. Un placement administratif. ça a dû se faire avec l’accord du Préfet du Mans et peut-être d’un juge...

- Pourquoi d’un juge ?

-  Il est mort le médecin de toute façon... Oh ouais ! Je l’ai tué ! C’est pour ça que j’ai été envoyé à Sarreguemines. J’ai été déclaré irresponsable. Je lui ai fracassé le crâne par terre...

- Et maintentant ?

-  ...Je traîne ma bosse... Je lis un cours d’embryologie...

Propos recueillis par Mireille Debard

Entretien paru dans la revue Le Fou parle n°15 (décembre 1980).

 

 




 

 

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