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PLACE CONGO Philippe Krebs par Philippe Krebs,
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"C’est curieux que dans ma vie je n’ai pu réussir à apprendre quoi que ce soit. Tout ce que j’ai appris n’est rien. Je ne me sens lourd d’aucune expérience. Peut-être parce que, comme le disait mon père, j’ai "une case en moins "" Raymond Queneau "Une mère rapatrie le corps de son fils d’un pays africain vers la terre française." Quelques lignes dans un régional pouilleux. Des pleurs encore. Le silence d’un frère qu’on n’achète pas. CHAPITRE I : Les Bestiaux kif-kif. Eveil. 1. Les anges fument le cigare. Fâ Hélipe Eversores, premier du nom, coupeur de têtes de son enseigne à la solde du temps. 2. Les cigares ont une odeur de haschich. ...Fâ Hélipe Eversores, c’est moi. Je t’observe. Tu m’oublies. Tu ne vois plus que toi, la réalité de ton devenir à demi-dévoilée par mes yeux mi-clos. La réalité se convulse comme le cri du miroir. N’avez-vous jamais compris que l’image reflétée par le miroir est toujours celle de votre visage du lendemain. Tout miroir a vingt-quatre heures d’avance sur votre réalité. Une photographie est un reflet de miroir gélifié. Et dans ma gueule, tu ne vois plus que ta gueule. Connard qui écoutes mon histoire, sache que le bâtard c’est moi, dont le corps efflanqué t’inquiète. Pourtant, ouvres bien tes oreilles : 3. Les anges partent en fumée par volutes argentées. ...égaré dans un lointain recoin des côtes de l’océan indien, entre la Tanzanie et le Zaïre. Nous sommes en 1972. Des hommes viennent de se faire exterminer, lapider, éviscérer, violer, déshonorer par d’autres hommes. Fâ Hélipe Eversores n’a alors que vingt-quatre ans. Solidement harnaché de son vieux sac au dos rouge, il file à toute vitesse, droit au vent, la tête fière de son jeune âge, ses dents en or pointées vers l’horizon comme autant de petits soleils, comme un défi pour niquer la rhala à cette terre indigne qui fut maculée de sang et est exsangue maintenant. Il est midi. La route l’enjoint, océan de poussière, à accélérer son pas, sa nage en over arm stroke. Son souffle se fait plus rapide, il ahane, crache la lune écarlate de ses petits poumons ébaubis. De sa bouche jaune du sang rouge s’écoule. Fâ s’écroule le temps d’une illumination. 4. Dans une mer d’amertume. ...me scrutent. Des dents blanches, pointues, effilées comme des sabres sculptent l’horizon. Une main se tend. J’émerge. Que s’est-il passé ? Est-ce l’a chaleur ? M’a-t-on frappé ? CHAPITRE II : Poicre des mille poigres. Qui est qui est l’homme de chez les blancs, dents jaunes, yeux rouges. Kamanda parlait. La transparence de ses yeux clairs réfléchissait les interrogations alentour de ses semblables les yeux pointés vers l’homme à terre. 1. Un cercle se forme autour du corps blanc. Fâ, très calme, sa tête de lémurien entre les jambes, écoute les voix. Une odeur de manioc lui rend ses esprits. On lui propose à manger. Ses yeux retrouvent la lumière. A tâtons dans cet espace qui s’articule comme un monde inconnu, ses yeux, furtivement, croisent un regard sans animosité qui lui paraît même amical. 2. L’homme-miroir, une main en moins. L’homme-artiste, une main en plus, souvenir de ses ancêtres, décimés, mutilés. Dix millions de ses semblables tombés sous le règne de Théodore II, le belge. Aujourd’hui, il pense à Mobutu, un pétoire à la main, à ce dictateur mégalomane. 3. Fâ pense qu’il a compris. Il est la persistance d’une apparition... Quel rachat pour le fils d’un peuple de colonisateurs ? Son histoire tombe entre leurs mains. On l’emmène, sans le brusquer. Le groupe se fraie un passage au milieu de hautes fougères tropicales. Des arbres à pain et des manguiers cernent un petit village. C’est là, dans un petit réduit fait de claies en bois, que Fâ est conduit. Il entrevoit de vieilles statuettes à l’orée des habitations. Maigres, démesurées, les cheveux filasses en poils rêches d’animaux. Ses ongles se heurtent à la terre ; ses doigts saignent de trop creuser. Il entend des chants, des murmures de danses. Ses yeux grésillent de souvenances éparses, dans la pénombre feutrée d’un mois de mai. 4. Je me souviens de quelque pince-fesse du vieux-Nancy quand la rue Gustave Simon fleurait bon le stupre et l’abandon. Nous jouions à ces jeux innocents de dessous-la-couche où les chairs s’épanouis- sent à la clarté du petit matin. 5. Un chat -"deux heures !"claquent toutes les toccantes. Ses grands yeux noirs, le brouillard d’une nuit d’hiver observent l’ondulation de deux corps nonchalants de plaisir, les draps qui se plissent, s’immiscent au creux de leurs reins. 6. Le blanc pleure. Il est seul. Chapitre III : Définitivement cinglé. 1. La parole exhorte la pluie des dieux Dans un petit village, des hommes noirs introduisent un homme blanc dans le cercle des voix. Des cris. Des pleurs. Des corps en proie à la transe. 2. Aie ! On me tient par les poignets. Mes membres écartelés guident les étoiles. 3. Téké Un vieil homme, le visage fait d’un lit de sources. Le souffle cosmogonique de ses mots chante la venue des dieux dans le corps de Fâ. 4. La tortue franchit les fleuves profonds Kamanda sent la souffrance de son peuple. Un homme blanc en proie au démon. Son cœur écoute celui de Téké renverser la forêt, irradier le rythme de ses battements cardiaques à chacun des membres du clan. Un enfant écoute une étoile. Une femme, sa mère peut-être, entend le sacrifice des eaux profondes où pullulent les cauchemars de l’enfant. Un jeune homme serre la petite main dans son poing énorme. Un vieillard retrouve l’ouïe dans les gestes de Téké. Une tortue pleure en silence. 5. Mon père tirait une charrette pleine d’objets épars, une caverne d’Ali Baba à ciel ouvert, un trésor de pacotille constitué de chiffons plus dignes que les apprêts d’une reine, une montagne de jouets brisés et de planches de bois. 6. La lune pleine de ressentiments. 7. Kamanda, Téké, les hommes, les femmes, les enfants, observent miroiter la folie autour du corps de l’homme blanc. Les esprits se chargent d’électricité. Le corps blanc se sépare du reste. Dans un vagissement, les lumières s’éteignent... 8. ...pour illuminer d’autres cieux ? Epilogue Aujourd’hui, je suis un Africain égaré sur les bords du grand Nancy. Quelques battements d’ailes vers le Sud, des nègres dansent. Kamanda, esseulé, voit l’ombre fuligineuse de son avenir s’épancher dans le jeu d’ombre tardif de la forêt. Les fleuves parlent tout bas.
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Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).
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