Entretien libertaire
Elias Petropoulos sur Radio-Libertaire
"J’ai obtenu la première carte d’identité de l’histoire de la Grèce avec la mention "athée""


par Jacques Vallet, par Jean-Luc Hennig, par Christian Zeimert,    

 

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- En Grèce, on ne badine pas avec l’ordre moral. Tu en sais quelque chose, Elias Petropoulos, qui à plusieurs reprises a connu la prison. Et as eu pas mal de démêlés avec la Justice de ton pays. Peux-tu nous parler de cette expérience ?

Elias PETROPOULOS : - La loi sur la presse en Grèce date de la dictature de Métaxas en 1936. Papandreou et les socialiste grecs veulent changer cette loi. Ils ont déposé, la semaine dernière devant l’assemblée nationale à Athènes, le projet d’une nouvelle loi sur la presse, c’est-à-dire sur la liberté d’expression. Mais je crois qu’il s’agit d’une loi néo-fasciste. Par exemple, dans cette nouvelle loi, un article interdit toute attaque verbale contre un ministre, et c’est toujours assorti d’une peine de prison. En Grèce, vous savez, quand on parle de prison, il s’agit toujours de prison ferme. Pas la prison bla-bla-bla, comme en France.

- Au total combien as-tu fait d’années de prison ?

E.P. : - Environ deux ans. Cinq mois pour une anthologie de rébétika, sept mois pour le Dictionnaire des homosexuels, sept mois pour mes poèmes, Corps. Et j’ai été encore condamné récemment à dix-huit mois - pour le Manuel du bon voleur -, mais heureusement j’étais déjà en France. Jamais, je n’ai été amnistié, ni par la dictature ni par Papandreou. Jamais. Au contraire, il y a un mois, j’ai été condamné encore une fois - sous régime socialiste - à deux mois de prison...

- Pourquoi ?

E.P. :- Pour une étude sur les bordels des années 30 jusqu’à 1953, date où tous les bordels de Grèce ont été fermés.

- Alors tu es toujours en exil ?

E.P. :- Ah, toujours ! Toujours !

- Définitivement ?

E.P. : - Définitivement !

- Tu as été condamné pour des choses plutôt pornographiques ?

E.P. : - Oui. C’est ça. Officiellement, c’est toujours la raison de mes condamnations : la pornographie.

- Tu penses qu’il y a des raisons cachées ?

E.P. : - Peut-être, à cause de mon anti-américanisme. Je suis contre les bases militaires. Et comme vous le savez, avant-hier, Papandreou a signé un nouveau contrat avec les Américains pour une prolongation de l’implantation des bases militaires partout en Grèce. La Grèce, c’est vraiment une colonie américaine. Alors, j’ai écrit sur la couverture de mes livres des slogans contre les bases américaines en Grèce. Et je crois, au fond, que c’est ça la raison des histoires que je connais en Grèce depuis des années et des années.

Mais tu penses y retourner un jour ?

E.P. : - Non jamais. C’est fini pour moi. Je me sens très bien à Paris. Je travaille ici dans le calme, et je n’ai pas de raison de vivre de nouveau en Grèce. J’ai été là-bas un demi-siècle, c’est une dose suffisante pour moi.

Tu as publié différentes catégories de livres. La première concerne les livres sur le monde des marginaux. Les bordels, les putains, les maquereaux, les voleurs, les homosexuels, la langue verte. Qu’est-ce que tu cherches dans ce monde de la marge ?

E.P. : - Tous les universitaires donnent de la Grèce une image, disons officielle, et qui en même temps est une illusion. Alors j’ai engagé une bataille contre cette image. J’ai pensé qu’il y avait dans la société d’autres groupes de gens, qui vivaient dans un ghetto, par exemple les homosexuels grecs. J’ai commencé de travailler sur ce sujet. Vous savez les homosexuels grecs, à cause d’une très très longue tradition orientale, ont vécu sous un régime de terreur. Vraiment de terreur. Alors ils ont été obligés de faire la découverte d’une langue verte... Une langue très grande et très riche... J’ai commencé par collectionner quelques mots de cette langue. J’ai été étonné quand j’ai trouvé cinquante mots. Ensuite, j’espérais trouver encore quelques centaines de mots, mais finalement j’ai trouvé... trois mille deux cents mots ! C’était un trésor lexicographique. J’ai fait aussitôt, c’était il y a douze ans, un dictionnaire étymologique de cette langue verte, unique dans le monde et, comme je l’ai dit, très riche. J’ai publié tout de suite ce dictionnaire, et tout de suite j’ai été encore une fois en prison, comme pornographe.

- Ce dictionnaire s’appelle Kaliarda, du nom de cette langue vernaculaire que les homosexuels grecs transportaient entre eux. Elle était leur double jeu, pour correspondre entre eux et pour se dire des choses. Ce "kaliarda" est une langue très imagée, très ironique et très humoristique, très drôle... Mais il n’y a pas qu’en Grèce qu’il existe ces langues d’homosexuels. Il y a d’autres dictionnaires, peut-être par la suite, qui ont existé...

E.P. : - Oui. Depuis une douzaine d’années, il y a un dictionnaire de la langue verte américaine, homosexuelle. Il est publié en Californie.

- IL est moins riche parce que les homosexuels sont soumis à moins de pressions...

E.P. : - Oui. Oui.

Le Manuel du bon voleur appartient également à cette catégorie de livres sur les réprouvés... En dehors de tes condamnations en tant que pornographe, je crois que tu as eu d’autres démêlés avec la police. Notamment à propos de ta carte d’identité...

E.P. : - Oui, en Grèce la mention de la religion est obligatoire sur la carte d’identité. Il y a une sorte de fascisme de la part de la religion. Et j’ai demandé à la police, sous la dictature des colonels, une carte portant l’inscription : "athée". Dès lors, j’ai mené une guerre contre la police pendant huit mois. La police m’a tendu une série de pièges, elle m’a fait une contre-proposition : écrire "athéiste". J’ai dit : "Non je ne suis pas athéiste, je suis athée !" Il y a une très grande différence. Athéiste, c’est un militant, qui fait de la propagande. Alors, après une inscription comme ça, je serai immédiatement en prison, comme propagandiste de l’athéisme. Puis, on m’a dit : il faut écrire "sans religion" "- Non, non, je suis athée !" Quand enfin j’ai obtenu une carte comme "athée", la police sans rien me demander a écrit la même chose sur la carte de ma fille, déjà étudiante en architecture. Et ça a été pour elle une catastrophe ! Alors je me suis retourné à nouveau contre la police. Et finalement, ça a été réglé. J’ai obtenu la première carte d’identité de l’histoire de la Grèce avec la mention "athée".
A cette époque, j’ai également déposé une plainte contre l’Etat de Grèce devant le Tribunl suprême sur le problème du mariage civil. C’était ausii une première. Depuis quelques mois, le gouvernement de Papandreou a autorisé légalement le mariage civil. C’était impossible d’imaginer ça auparavant. C’était le terrorisme de l’Eglise orthodoxe. Et pourquoi ? Parce qu’elle ramasse beaucoup, beaucoup d’argent. Au lieu de donner, par exemple, trois mille francs à l’Eglise, les Grecs depuis l’année dernière, 80 % des Grecs, font un mariage civil, devant la mairie, qui coûte trois fois rien...

Le Manuel du bon voleur a été traduit en anglais, en allemand... La version française (dontLe Fou parle a publié des extraits) n’a trouvé aucun éditeur à Paris.

E.P. : - C’est un roman sous la forme de quarante et une leçons d’un professeur imaginaire dans une école de cambriolage imaginaire. Ce livre est le plus grand best-seller des derniers dix ans en Grèce, il a fait jusqu’à aujourd’hui cent mille exemplaires. Un tirage énorme pour la Grèce. Et c’est la jeunesse qui achète ce livre, pas la bourgeoisie. Il est à la mode depuis trois ans. J’ai dit, avec un esprit très sarcastique, des choses assez dures sur la réalité de la Justice en Grèce. Car vraiment tous les juges ont là-bas un esprit réactionnaire, fasciste. Le livre examine toutes les facettes de la justice, jusqu’aux petits problèmes de la vie quotidienne des prisonniers. Par exemple, le dernier chapitre, c’est sur la pétomanie des prisonniers... Il faut noter aussi que la nouvelle édition grecque est illustrée de cent dessins de Kerleroux. Il est paru aux Etats-Unis, en Allemagne. En France, j’ai reçu, entre autres, du directeur de Gallimard, une lettre de refus qui disait : "Vous torturez vos lecteurs, Monsieur !"

Interview par Jacques Vallet, Jean-Luc Hennig et Christin Zeimert, le 17 juin 1983

Sur Elias Petropoulos, lire aussi l’article de Jacques Vallet, Le poète et l’égout

 



Jacques Vallet

Né à Stenay dans la Meuse en 1939, il est successivement instituteur, journaliste (plusieurs années à Libération, chroniqueur à france Culture et critique d’art contemporain. Il lance en 1977 une revue décalée et libertaire, Le fou parle, pour laquelle il reçoit le Prix de l’Humour noir. Ecrivain de romans noirs depuis cinq ans, Jacques Vallet s’est rapidement fait une place dans ce genre littéraire, avec L’amour tarde à Dijon en 1996, puis aux éditions Zulma : Pas touche à Desdouches (1997), La Trace (1998), Une coquille dans le placard (2000, Monsieur Chrysanthème (2001) et Abibabli (2003). L’endormeuse aux éditions du Cherche-midi est son dernier ouvrage.


Jean-Luc Hennig

Jean-Luc Hennig est agrégé de grammaire. Il a été journaliste à Libération, rédacteur en chef à Rolling Stone. Il a notamment publié : Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes (Albin Michel, 1994), Bi (Gallimard, 1996) et chez Zulma : Brève histoire des fesses (1995), l’Horoscope cruel (1996), Erotique du vin (1999).


Christian Zeimert

 




 

 

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