Roland Topor et l’art

par Philippe Krebs,    

 

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Cul sec

Au cours du Bon Plaisir, émission radiophonique de France Culture, Fernando Arrabal s’entretint avec Topor en ces termes :

- F. Arrabal : « Il y a une constante dans ta vie que tu as toujours montré, et c’est pour cela que je répète que tu es le créateur qui me cause le plus d’impression toujours, c’est parce que tu étais, toujours, totalement libre, et tu l’as montré constamment. Et tu n’as pas voulu diminuer le moindre de ta liberté. C’est-à-dire par exemple lorsque Onaï est entré dans ce qui était à ce moment là la gloire, c’est-à-dire le groupe surréaliste, tu es rentré dans la gloire et tu as frappé à la porte de la gloire immédiatement. On était très fiers, nous les métèques, lui mexicain (Jodorowsky), et moi espagnol, lorsque Breton nous a accueillis et a baisé les mains de nos femmes, on a cru qu’on était déjà dans la gloire. Il y avait une troisième personne qui était aussi invitée, acceptée, dans ce groupe, c’était Topor. Et vous savez, être accepté dans le groupe était très difficile. Et qu’est-ce qu’il a fait Topor ? Il est rentré, il a vu, et une fois qu’il a compris qu’il y avait un côté baticaniste, un côté dogmatique ...au bout de dix minutes, Topor a demandé, où sont les lavabos ? »

- R. Topor : « J’ai dit que je voulais me moucher et que je voulais acheter des kleenex (rires) »

- F. Arrabal : « Et il a disparu... (rires de Topor) Alors, il a résisté au groupe surréaliste, qui était à ce moment-là une aspiration de tout jeune artiste, et un rêve puisque c’était très difficile. »

Topor aurait pu se contenter de toujours claquer les portes et disparaître tel un prestidigitateur, mais il a laissé sa marque à tout jamais. En de grands coups de pinceaux rageurs et moqueurs, il a repeint l’humanité tel qu’il la voyait, sorte d’hallucination permanente, sorte de rêve d’extralucide. Topor a hachuré des pages blanches, graffé des toiles à la bombe, biffé le nom de Rimbaud, se réappropriant son bateau ivre. Topor a poussé la supercherie jusqu’à se faire passer pour un fou, visage bonhomme, grand rire fracassant et générosité de tout instant.

Ailleurs, dans un livre d’entretiens avec Eddy Devolder, Roland Topor abordait la question du rôle de l’artiste et de son rôle dans une société :

- Roland Topor : « Pour moi, les vrais artistes sont ceux qui n’essayent pas de marcher dans les sentiers définis, protégés, balisés par les autres. Les artistes en herbe - ce qu’il faut toujours essayer de rester le plus longtemps possible - ce sont toujours des coupables.
Jamais, ils ne vont sur les chemins où on les attend. Pourquoi, mais pourquoi ne marchent-ils pas dans l’allée dite artistique ? Pourquoi passent-ils sans cesse par la pelouse ?
Ils y passent parce qu’ils disent : « ah !, il y a là des choses formidables comme les papiers gras ! » Dans un premier temps, tout le monde rouspète et s’écrie : « Ah, mais ce n’est pas possible... » L’artiste pourtant continue de faire front, ne se laisse pas entamer, il est convaincu de ses idées. Et chaque fois qu’il se voit interpellé, il n’hésite pas à répondre : « L’art c’est le papier gras ! »
Ce qui se passe au bout du compte, c’est qu’il se trouve toujours deux ou trois personnes pour le suivre et constater combien la vision des choses depuis les plates bandes est formidable. Les premiers adeptes enthousiastes ne manquent pas de le signaler.
De fait, il y a des papiers gras absolument extraordinaires, des champignons magnifiques et qui coûtent très chers, des fleurs. Brusquement ou au contraire patiemment, la vision de l’artiste gagne du terrain et les adeptes deviennent de plus en plus nombreux jusqu’à ce qu’il ait un consensus qui s’installe.
La critique, l’idéologie, les marchands, la mode...décident alors que l’art ne se résume pas aux limites établies jusque-là, c’est-à-dire jusqu’aux allées, certaines portions de pelouse se trouvent désormais intégrées, à condition qu’elles soient jonchées de papiers gras réglementaires.
Quand voilà soudain qu’un autre individu se ballade sur les toits. Il y a toujours quelqu’un pour lever le nez et l’interpeller : « Hé, qu’est-ce que tu fous là haut ? L’art c’est pas là, mais ici en bas... » Celui qui se promène sur les toits rétorque : « Non, non, ici, c’est encore mieux, beaucoup mieux, on voit le paysage et les gens sous un autre angle... »
Et toujours, la culpabilité est présente au départ. Pourtant inéluctablement, les artistes finissent par l’emporter, par gagner. Ils gagnent parce qu’ils sont capables de créer des mensonges de plus en plus splendides mais ces mensonges sont rattachés à la réalité. Les merveilleux mensonges de l’art sont de splendides moyens de lire la réalité et à ce titre, ce ne sont pas exclusivement des mensonges, ou des affirmations fausses. Ils tapent dans le mille, au pif. »

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Con de fée

Enfin, dans le livre les Cahiers du silence, interrogé à nouveau sur son statut d’artiste, Topor de répondre :

- Roland Topor : « Ce que ne voient pas les gens c’est qu’être catalogué comme un artiste est le résultat d’un travail énorme et que tu l’as cherché. Ils t’acceptent comme artiste, les autres, les critiques, que si tu leur forces la main. Ou bien tu leur forces la main, ou bien tu fais ce qu’ils veulent. Mais être esclave d’un critique c’est lamentable... Quand tu es un cancre ou un tire-au-flanc, tu trouves toujours des copains très bien. Tous les gens que j’aime bien ont ce côté-là, ceux qui ont jamais cru au truc... Moi, tu sais, je suis un parasite organisé. Et ça marche. J’essaye pas de faire avancer l’humanité, j’en ai rien à foutre, je suis un tire-au-flanc et tous les gens que j’aime sont bien comme ça. Je n’essaye pas de revendiquer une position morale mais au contraire amorale au départ et pratique... Je pense donc j’en profite. »

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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