PARACETAMOL
Episode 1 "La Leçon d’Histoire"


par Fauve,    

 

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23h07. Ça y est, j’ai mes règles. Et elles viennent de loin, mes reins me les annoncent depuis cinq jours. Je n’étais pas sûre, parce que ça fait onze mois qu’il n’y avait rien eu, mais si oui, pour que je les sente venir si longtemps avant, bien en lousedé tu vois, elles promettaient de se faire sentir passer à l’arrivée. Et là, je crois que ça y est. Je suis bonne. La dernière fois que je suis allée pisser, il y avait comme un début dans ma culotte. Est-ce que j’ai de quoi, merde, serviette, tampax, n’importe, faut que je tienne jusqu’à demain.

23h22. Recoins vides. Putain... Me reste plus qu’à m’enrouler le bas-ventre et consorts avec la moitié d’un rouleau de péku et foutre le short qui me sert d’habitude pour les travaux de la maison.

23h25. ça me ramène vingt ans en arrière cette histoire. Vingt ans... C’est pas possible, vingt ans... penser que ça fait déjà vingt ans que j’ai eu treize ans un jour...

23h26. Merde, ça a déjà traversé ! Mon jean que je mets tout le temps ! Non !

23h30 L’épais tissu dans la baignoire crisse sous le jet froid que je lui balance, penchée au dessus du cuvet. Le rouge s’effiloche, s’éparpille dans l’eau. Ça va, j’ai réagi assez vite, mon fute est sauvé... Tiens... quelque chose colle sous mes plantes de pied. Putain ! Mais je saigne comme un porc ! Merde ! Le tapis de bain... c’est pas possible ça c’est pas normal qu’est-ce qui m’arrive putain de merde !

23h33 L’espace-temps qui se déroule entre chaque sonnerie du téléphone dure deux mille ans. J’ai le temps de crever cent fois. J’hallucine...

23h38 Je me calme. Ils arrivent donc tout va s’arranger. J’ai collé la nappe en plastique de la cuisine sur le sofa et je me suis allongée dessus et je ne bouge plus en attendant qu’ils viennent me chercher. Je fume des clopes en respirant longuement chaque bouffée. Le sang coule plus que jamais, il s’est éclaircit. On dirait de l’eau. De l’eau verte.

23h40 Où est passé mon chat ?

23h50 La pièce est étrange ainsi, onduleuse sous les vagues de mer verdoyante. Tout flotte... Même ce buffet d’antiquité qui pèse quinze tonnes d’habitude, exigeant cinq potes pour le faire bouger de trois millimètres quand il me prend - régulièrement - la lubie de redisposer mes meubles. Tous les objets de mon salon jouent à saute-mouton sur l’eau. Le sofa, porté par la marée montante, se soulève doucement du sol, je m’accroche à la nappe pour ne pas chavirer mais, trop légère, elle s’enroule autour de moi comme un cocon flotteur alors que l’improbable océan soudain se déchaîne...

23h51 Ah non ! Pas mon lapin en peluche ! Pas mon doudou blanc ! Sa queue en pompon s’est accrochée au réveil-radio et ils vont droit sur la bouche d’aération plantée dans le mur là-haut, putain le réveil je m’en fous mais pas mon lapin !

23h52 Je ne laisserai pas s’enfuir comme ça toute mon enfance, j’ai des bras, je vais ramer jusqu’à lui avant qu’il passe ce petit carré de merde. Et tiens maintenant que j’y pense, il y avait une grille, là, non ? L’eau ne dévisse pas des boulons en général, que je sache ? Normalement ça tient en milieu aquatique ces trucs-là...

Heure ? Le réveil-radio a été aspiré mais, coup de pot, mon lapin est coincé par une oreille, ça me laisse un sursis. Pour l’atteindre, je m’accroche à tout ce que je peux. Le perroquet aux manteaux de l’entrée est sens dessus-dessous, son pied de guéridon en bambou circonvolue au plafond et il râle lorsque je l’étreins. Ta gueule, lui dis-je, laisse-moi passer, faut que j’aille là-bas. Outré, il hoquette, me traite de mal élevée, bégaye tous les services qu’il me rend depuis si longtemps, tous les blousons qu’il a porté sur ses bras et nanani et nanana il m’emmerde ce bout de bois, je lui rabats le caquet d’un coup de talon sur l’un de ses chefs et je chope la planche détachée d’une étagère.

En fin de compte, ce n’est pas trop compliqué d’atteindre cette bouche d’aération vu qu’à présent, le courant ramène tout vers elle. Il est même impossible de ne pas y aller, tant ce dernier a forci. Je ne vois plus mon lapin. Les flots forment un tourbillon insensé autour de la minuscule ouverture, on se croirait au fond d’un lavabo géant en train de se dévider à l’envers. Il y a même la mousse en prime, écume certainement due aux produits de la salle de bains, savons, shampoings, bains douche, dont tous les bouchons ont sauté sous la pression de la masse liquide.

Je me laisse porter... Il ne faut pas se débattre dans une mer affolée, c’est bien connu, ça ne fait qu’épuiser les forces inutilement et surtout je dois avouer que la curiosité commence à me titiller. Et puis, après tout, suivre mes meubles, c’est la seule façon de savoir où est parti mon lapin.

 



Fauve

Fauve a dix-neuf ans depuis l’An de Grâce Mil Neuf cent quatre-vingt-onze. Elle écrit, gratte, respire dans un même petit cahier "clairefontaine" qui lui a été offert par une dame médium lors d’une rencontre karmique adolescente, lequel a la particularité de faire pousser ses pages tout seul au fur et à mesure des années sans jamais s’épuiser. Son meilleur ami est un python constrictor volé dans un parc animalier du Finistère. Le reptile étant radicalement sourd, il ne porte pas de nom. Entre deux failles temporelles, Fauve intervient dans les colonnes de certaines revues poétiques ou underground et fait des jolis dessins (spécial animation flash) pour les sites de ses copains et copines.

 




 

 

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