Entretien au pays de la science fiction
Philippe Druillet
le dessinateur aux multiples branches


par William Guyot,    

 

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Extrait d’un entretien paru dans la revue Hermaphrodite n° 9, consacrée à la science-fiction (numéro toujours en vente en librairie ou par bon de commande).

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(...) Druillet : Ce qui me fascine, c’est l’histoire des sociétés ; aussi, la science-fiction est la première littérature qui m’a amené une philosophie que d’autres littératures ne m’apportaient pas. Dans la notion de science fiction, ce qui m’a toujours intéressé, c’est que l’on peut l’assimiler à un arbre aux multiples branches, englobant le passé, le présent et le futur. Et en philosophie, c’est très important parce qu’on ne construit pas le présent - si on est un minimum ouvert aux choses humaines - sans une connaissance du passé et une projection vers le futur. C’est pour cela que les dictateurs se réfèrent souvent à des tas de choses anciennes, uniquement dans le domaine du négatif et de l’horreur, alors que la science fiction, dans ce domaine, est très positive.
Ensuite, c’était pour moi une littérature non raciste. Ce qui est très important par rapport à tout un discours social, par rapport à tout un discours philosophique, y compris dans la BD de science fiction... on développera après, tout ce qui est cinéma, science fiction, BD et littérature, c’est très intéressant. Petit aparté de deux minutes : « non raciste », c’est important pour moi, parce que très jeune, lorsque j’étais gamin (je suis né en 1944), j’ai été habitué, moi qui viens d’Espagne, au racisme. Pour des raisons politiques, mon père s’était trompé de camp, donc nous sommes partis en Espagne tout de suite. Et quand je suis arrivé en Espagne, je me suis vu traiter de sale français, ce jusqu’à l’âge de huit ans, où mon père est mort. Lorsque je suis arrivé en France, j’étais un sale espagnol, tu vois, là, déjà, ça cadre bien. Et la science fiction me fascinait dans l’imagerie populaire de la BD parce qu’il y avait déjà de grandes manifestations, des empires galactiques ou des sociétés républicaines galactiques, où il y avait le mec tout vert avec des pustules serrant la main de l’autre avec trois trompes, l’autre avec quatre bites, l’autre avec des cornes, et l’humain au milieu. Tout ce brassage me fascinait.
Ensuite, en contrepoint, en additif à ce que vient de dire Jean-Michel, je suis quand même très étonné et fasciné par cette science fiction, notamment celle des années 50, elle démarre très tôt, elle démarre à Jules Verne, ça on en reparlera après, mais l’apogée pour moi de cette science fiction, c’est la littérature anglo-américaine, on va donc réciter Ballard, J. Bruner, Thomas Dish, Philippe K. Dick et beaucoup d’autres, qui ont décrit d’une manière extraordinaire le monde d’aujourd’hui, sur le plan politique, détournement d’avions, problèmes de pollution, et d’une façon totale. Je suis un peu en contradiction actuellement avec le monde de la BD, qui se réclame, depuis les Twin Towers, entre autre d’avoir prédit ce genre de choses. C’est faux. Les grands penseurs dans ce monde de la science fiction ne sont ni des peintres ni des cinéastes, ni des dessinateurs. Il y a certes des dessinateurs - j’ai inventé un monde, Enki Bilal a inventé un monde, Moebius a inventé un monde - mais les véritables précurseurs, les penseurs sont ces gens-là. Et ça c’est quelque chose de tout à fait fascinant de voir à quel point ils avaient compris. Le dernier que je mettrais dans cette liste, c’est Maurice G. Dantec, qui a poussé la folie jusqu’à un jour, ce qui est fort possible aujourd’hui dans l’histoire des nations, dans l’histoire de l’argent, dans l’histoire du pouvoir, où les mecs achèteront des pays comme ils achètent des sociétés.
« Tiens, je viens d’acheter la Norvège, j’ai fait un bon coup. Je la garde 4 ans, j’ai un problème, et à mon avis je ne vais pas le rattraper, je te la refile parce que l’Ouganda actuellement m’intéresse pour des trucs ».
Là on est arrivé à l’apogée du phénomène. C’est fascinant. Donc, il s’agit de l’histoire des sociétés. C’est quelque chose de très précurseur et, en même temps, c’est beaucoup plus vaste que le monde du fantastique comme l’a bien dit le Docteur Nicollet, on est dans l’intérieur, l’inconscient, dans la mort, mais aussi une mort qui s’ouvre vers d’autres univers. Ça va très loin. Lovecraft, à sa façon, a dépassé ce système. Lui, il a ouvert la porte d’une façon beaucoup plus grande. Mais la science fiction m’a plu justement pour cet aspect progressiste, avant-gardiste et en même temps que l’histoire des sociétés, avec une projection dans le futur, avec ce trouble extraordinaire de génies qui ont prédit vraiment ce qui se passe aujourd’hui. C’est quand même quelque chose de très fort. Il y a des gens comme Michel Tournier, dont j’adore la littérature, mais qui a une haine farouche de la science fiction et qui me dit, mais qu’est-ce que c’est ce théâtre complètement débile. Et bien non, ce n’est pas débile. Arthur. C. Clarck (2001 L’odyssée de l’espace) est un scientifique à la base. Watson est un scientifique à la base. Asimov également.
Donc ça, ça me fascine parce que c’est une littérature d’une modernité totale. L’un de mes amis que connaît très bien Jean-Michel, qui s’appelle Michel Demur, qui était un grand écrivain de science fiction, qui s’est occupé des revues Galaxie et Fiction et qui n’a pas assez produit, malheureusement, me disait cette phrase admirable il y a de cela plusieurs années, « tu sais, regarde, dans n’importe quel roman de science fiction, le plus con, le plus populaire, le plus nul, à la base, il y a toujours une idée ». Et ça c’est formidable.
La littérature de cul française du 18ème à aujourd’hui, même si elle parle du rapport humain, ce qui est touchant si l’écriture est belle - moi je veux bien, Françoise aime Georges, Georges préfère Yolande, mais Yolande adore Bernard qui aime François. Je veux bien, si c’est écrit avec talent. Mais cela reste de la branlette intello. Alors que dans le domaine de la science fiction, il y a toujours des idées, il y a toujours une projection. En commençant par Jules Verne qui a réussi autre chose - et attention parce que bon, Jules, je le connais très bien, il dérape un peu, c’est un 19ème siècle franchement raciste et bien souvent antisémite, faut pas l’oublier. Le Château des Carpates commence comme ça : il y a un colporteur juif qui passe durant que les protagonistes principaux se rendent au château. Et la première phrase est : « ce colporteur juif ne fait que passer dans ce récit, rassurez-vous, on ne le verra pas jusqu’à la fin ». Donc ça c’est ce qui me gène un petit peu chez le camarade Julot, hein, on est bien d’accord. Mais Jules Verne, c’est quand même un monstre, et il a inventé quelque chose. Et en même temps il a été - et là c’est le collectionneur qui parle -, il a eu un mariage étonnant avec un éditeur qui a fabriqué des objets absolument sublimes, qui sont aujourd’hui des objets de collection recherchés dans le monde entier, et sont devenus mythiques.
Le reste de la littérature de science fiction a été appuyé par de grands illustrateurs américains, les Virgil Finlay et les autres dont j’ai oublié le nom, toute la période 50/60, qui est sublime. D’autres graphistes sont venus broder et s’inscrire dans cette écriture de science fiction qui est très vite devenue quelque chose de graphique. D’abord avec l’illustration de science fiction qui s’installe et toutes les revues qui se créent dans les années 20/30, et qui ont besoin du support de l’illustration. Ensuite l’école française des années 70, dont je fais partie. Mais je ne suis pas le seul, y compris l’école américaine de comics et de BD, qui s’est emparé de la science fiction. Et bizarrement le cinéma a fait des percées dans les années 30 et 50, avec Planète interdite. Puis, avec les effets spéciaux et les problèmes de fric, tout est retombé. Le cinéma de science fiction n’est alors revenu qu’à la fin des années 70/80, jusqu’à l’apogée qu’on connaît aujourd’hui. Ce n’est pas la peine de citer les titres sauf un grand précurseur, notre ami Kubrick, avec son 2001, premier film dans ce domaine. Ensuite il y a eu John Boorman avec Zardoz, qui est plus ou moins bon. Ce furent les premiers coups de boutoir par rapport à l’école française de “je suis la culture et c’est moi qui décide de ce qu’on va aimer ou pas”. Maintenant, les combats de la BD et de la science fiction ont fait qu’on ne se fait plus cracher à la gueule et qu’on peut parler de science fiction comme d’une littérature majeure. (...)

Vous pouvez retrouver l’intégralité de cet entretien avec Druillet et Nicollet dans la revue Hermaphrodite

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William Guyot

Né le vendredi 13 avril 1970 à la maternité de Pompey. To be continued.

 




 

 

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