Entretien par la bande
Riad Sattouf : "Les nouveaux contes de la raison ordinaire"

par Philippe Krebs,    

 

DANS LA MEME RUBRIQUE :

La résistance par le rire
Maurice Lamy
Lefred-Thouron
Bernard Lubat & la Cie Lubat de Gasconha
Jérôme Savary : le Grand Magic Circus, mai 68 et le rire de résistance
Entretien avec Jonaz
Mesrine le magicien
Choron dernière
Entretien avec Benoit Delépine : Groland & Louise Michel
Siné Hebdo
Maurice Siné, attention chat bizarre !
Christian Laborde : L’interdiction de L’Os de Dyonisos
Quentin Faucompré
Grisélidis Real
Une voix douce
J’ai avalé un rat
Mike Horn. Profession : aventurier de l’extrême.
Riad Sattouf : "Les nouveaux contes de la raison ordinaire"
Lyzane Potvin, artiste résolument féminine
L’incendiaire
Sébastien Fantini
Tatouages
François Corbier : « J’ai peur qu’on vive dans un pays où tendre la main à quelqu’un, c’est devenir un délinquant. »
Elias Petropoulos sur Radio-Libertaire
Jacques Vallet
Maître Emmanuel Pierrat
Jean Rustin, le dernier des mohicans
Christian Zeimert, peintre calembourgeois
Alejandro Jodorowsky
Blair : Miction de moutarde sur tubercule dévoyé
Miossec, le retour du marin
Assassin : rap et révolution
André Minvielle
Siloé, photographe du merveilleux quotidien
Guillaume Pinard : voyage en Conconie !
Christophe Hubert, toporophile dans l’âme
Matéo Maximoff, la naissance de l’écrivain tsigane
Romain Slocombe
Fernando Arrabal
ZOO, les derniers animaux contraints à quitter le navire
Jean-Marc Mormeck
Tristan-Edern Vaquette : "Je gagne toujours à la fin"
Jean-Louis Costes, la naissance d’un écrivain
Grand Corps Malade
Moyens d’Accès au Monde (Manuel de survie pour les temps désertiques)
Stéphane Bourgoin, profession : chasseur de serial killers
Les Invasions barbares de Rodolphe Raguccia
Laetitia, Reine-mère du porno X amateur
Noël Godin, maître ès tartes à la crème & subversion
Renaud Séchan, couleur Rouge Sang


 

- Hermaphrodite : Bonjour Riad, tes albums sont parmi les plus vivifiants qu’il m’ait été donné de lire en BD récemment... Pour la première fois peut-être, l’on voit apparaître des jeunes de cité en BD ( Les jolis pieds de Florence ), avec un ton résolument différent. Tu le fais à la manière d’un Bacri dans Un air de famille , où il arrive à poser sur ces jeunes un regard emprunt de tendresse. Enfin, une vision à cent lieues des poncifs d’usage et autres manipulations médiatiques ! Il ne t’arrive jamais d’être méchant ?


-  Riad Sattouf : Merci pour les compliments ! J’essaie juste de raconter des histoires avec des gens que je connais, que je fréquente, ou que je vois évoluer autour de moi. Je ne me pose pas plus de question, je n’essaie pas de transmettre un message, ou bien une vision particulière. Parfois, je suis sans doute méchant, mais si on veut montrer les choses comme elles sont, on est obligé d’être méchant. Et puis c’est trop jouissif. J’ai rencontré récemment une personne qui m’a dit, comme si c’était une évidence : "Mais, quel plaisir as-tu à raconter ces histoires affreuses, sur des jeunes défavorisés, sur des chômeurs ? La création, c’est pour AMELIORER la vie !" C’est rigolo non, de penser une chose pareille ? Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de ces personnes. J’ai tellement de jouissance à montrer les choses comme je les vois ! D’ailleurs je rencontre plein de gens très heureux de lire des histoires ou évoluent des types de gens qu’ils connaissent.

- Tes aventures fonctionnent un peu à la manière de celles de Dupuy et Berberian, en plus loufoque, et surtout moins bourgeois. Comment en es-tu venu à dessiner ces « nouveaux contes de la raison ordinaire » ?


-  Hé bien, quand j’ai écrit "les jolis pieds de Florence", je ratais pas mal de choses dans ma vie. J’étais célibataire, je n’avais pas d’argent, je me faisais perpétuellement emmerder dans la rue par des mecs en jogging et j’étais un parano total. Je ne dis pas que j’ai beaucoup changé depuis, mais au début de ma "carrière" (ça se dit ?) j’étais vraiment un looser total. Je me suis dit que pour supporter ça, je devais essayer d’en rire, et d’en vivre. J’ai donc pris de la distance avec moi même et j’ai écrit des histoires sur ces aspects de ma vie. Pourtant, Jérémie n’est pas directement autobiographique.

- Tes personnages sont souvent des sortes de loosers magnifiques, tellement loosers qu’ils atteignent parfois une dimension cosmique qui les propulse dans l’histoire au rang de super-héros du quotidien. Des héros maladroits (anti-héros à la Gaston Lagaffe ou à la Ghost World de Daniel Clowes) qui vivent une sorte d’errance non dénuée de poésie. Riad serais-tu poète ?


-  Récemment, au festival d’Angoulême, je croise un libraire belge, énorme et suintant, qui m’aborde : "Salut Riad, Ca va ? Alors, pour toi, ça roule dis donc en ce moment, bon ben à plus alors" et je le dépasse : normal. Je reste dos à dos avec lui. Il ne se rend pas compte que je suis derrière lui. Puis il se tourne vers son pote, et lui dit : "Bon dieu, mais comment il OSE sortir et se montrer après avoir fait une BD qui s’appelle NO SEX ? ? ?" Et ce type était tout rougeaud, avec une surcharge pondérale très importante, et pour lui, il était INCONCEVABLE de rire de choses comme les problèmes sexuels, par exemple. J’aime tellement ces gens, qui vivent avec une négation totale d’eux même ! J’essaye souvent de me dire : raconte autre chose, raconte d’autres trucs, et d’ailleurs, j’ai d’autres projets, différents, mais je reviens toujours à ces personnages de mecs super limités, qui vivent au bord du rien, et qui ont souvent des comportements ultra zarbi. La plupart de mes copains sont comme ça !

Manuel du puceau - extrait - 16.8 ko

- Tu as grandi à Damas puis en Algérie avant d’arriver en France. Pourtant, tu dis n’être pas un explorateur mais plutôt un « trouillard ». Topor disait qu’il existe deux sortes de voyageurs : les voyageurs actifs (ceux qui partent explorer le monde) et les voyageurs passifs (ceux qui se contentent de lire les récits de voyage). Topor se classait dans la deuxième catégorie. Tu sembles être un mix des deux ? Comment vis-tu cette forme de schizophrénie aiguë ?


-  Hé bien, c’est vrai que le monde extérieur me fiche la trouille. Je suis en plus un sacré parano. Et puis, je suis moyennement brillant en contact humain ! Ce qui fait que bon, je préfère rester dans mon atelier, et faire des bandes dessinées. Mais je suis fascinés par les endroits extrêmes ou il n’y a pas d’hommes, les pôles, les déserts. J’aime les récits d’aventures, les livres de Théodore Monod par exemple, m’enchantent toujours.

- Tu dessines pour Charlie Hebdo et Libération . Comment passes-tu de la casquette de dessinateur d’actus à celle de raconteur d’histoires ?


-  Je n’ai travaillé qu’une seule fois pour Libération. Et pour Charlie hebdo, je ne fais pas vraiment un travail de dessinateur de presse. Je raconte une petite histoire que j’ai vue, mettant en scène des jeunes. Je cherche à voir si il y a quelque chose à comprendre dans les actes des gens : " y a t’il un secret, un mystère qui sous-tend tous les actes des ces personnes qu’on croise dans la rue" ? Mais travailler pour un journal, c’est super. A Charlie, il y a plein de dessinateurs que j’admire, Cabu, Wolinski, Willem, Luz, Charb... C’est d’ailleurs très impressionnant, je n’ose pas aller aux bouclages parce que je suis timide...

- Tu sembles à l’aise dans de nombreux styles graphiques. Comment en es-tu venu à adopter un trait plus simple pour des albums comme Les jolis pieds de Florence ou Le pays de la soif  ? Epure fainéante ou ascèse artistique ?


-  Oh, je dirais que je suis plus à l’aise dans le style de Jérémie. J’ai fait du dessin réaliste avant, mais c’est épuisant. Si tu n’es pas Corben, c’est à dire si tu n’es pas le meilleur, ça ne sers à rien, tu finis dépressif. Je préfère un dessin plus expressif et direct, plus simple.

- Trouvé sur un forum, cette critique intéressante de ton album No Sex in New York  : « Je ne vois pas particulièrement l’intérêt de partir à New York pour y rencontrer des français, dont une nana qui aime les uniformes, un gros frustré, et un marseillais onaniste. Parmi les rares Américains dépeints, l’un d’eux passe deux pages à nous raconter une anecdote sans intérêt sur Asimov, et une autre page à nous parler des vedettes qu’il mate de sa fenêtre. On apprend aussi que le resto de Michael Jordan est cher : passionnant ! » Ma question est donc, mais où sont les américains ?


-  Je suis désolé pour cette personne. Evidemment, j’aurais pu faire un truc sur les américains impérialistes, dire des choses sur Bush le psychopathe, sur les américains cinglés de sexe et de pognons... Mais à quoi bon dire et redire ces choses ? Tout le monde le sait déjà. Quelle légitimité aurais je à parler des américains ? J’ai parlé des français parce que ce sont les gens que j’ ai rencontré à New York, et j’ai essayé par leur exemple, de montrer ce qu’étaient les valeurs américaines, qui sont des valeurs partagées de manières assumées ou non, par l’ensemble du monde occidental. Je pense avoir été suffisamment critique, j’utilise des "métaphore". Mais beaucoup de gens ne comprennent plus le concept de mise en scène, ou de symbole par exemple : ils ont besoin qu’on leur dise clairement les choses : "Ca c’est bien, ça c’est mal..." Cette vision clipesque de la culture a beaucoup de succès en ce moment, partout. J’aime bien que mon lecteur se pose des questions, essaie de comprendre...
Je déteste le complexe de supériorité des français sur les américains, cette espèce de pseudo lucidité, ce pseudo jugement et cette bonne conscience... Alors qu’en France, le racisme progresse, on a le gouvernement qu’on a, et bientôt, Sarkozy va être président... Je sais, c’est un peu facile de dire ça, mais c’est vrai... Franchement, les américains, je m’en fous, il sont juste un peu plus tarés que les français, mais on va vite les rattraper !

- Pour finir cet entretien, pourrais-tu nous offrir un dessin hermaphrodite ?


-  Oui je veux bien mais il faut que je le fasse parce que là j’ai rien ! ! !

(dessins à suivre la semaine prochaine...)

Les jolis pieds de Florence - 102.8 ko
Les jolis pieds de Florence
Scénariste R. Sattouf Dessinateur R. Sattouf Editeur : Dargaud Collection : Poisson Pilote Janvier 2003 - 48 Pages

Les jolis pieds de Florence - 21.1 ko
Les jolis pieds de Florence
Copyright Dargaud

Commander l’album Les jolis pieds de Florence

 


Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

En Résumé Plan du Site Le Collectif La Rédaction Contact Catalogue Lettre d’Information
Textes & illustrations sous COPYRIGHT de leurs auteurs.