Entretien coup-de-poing
Jean-Marc Mormeck
Mormeck, le champion dont la France ne veut pas


par Grégory Protche,    

 

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TANT PIS POUR VOUS, pas mécontent, se réjouit de la victoire, aux points, nette et indiscutable, ce week-end, en Amérique, de Jean-Marc Mormeck, contre le Guyanais Wayne Braithwaite. Unifiant, pour la première fois depuis Alphonse Halimi, deux des trois ceintures mondiales en catégorie Lourds-Légers, Mormeck a achevé de justifier tout le bien que l’on pouvait penser de lui... avant. Quand il n’était que l’inconnu des médias champion du monde...
Retrouvez, ci-dessous, l’interview que Jean-Marc Mormeck avait eu la gentillesse de nous accorder en juillet 2004 (parue in TPPV n°3, septembre 2004).

Mormeck, le champion dont la France ne veut pas

Chapeau !
50 ans qu’on l’attend, depuis Cerdan, le vrai grand champion français. Mais en France, ce sont les Acariès qui disent à Canal Plus qui est le champion à médiatiser. Comme Mormeck les a lachés... Signé chez Don King, ayant déjà défendu victorieusement trois fois son titre en Lourds-Légers, reste, Mormeck regarde, amusé, les médias s’exciter sur Asloum et Tiozzo.

Date de naissance 6 mars 1972
Lieu de naissance Pointe-à-Pître
Taille 1m81
Spécialités Lourds-légers (- 86, 183 kg)
Palmarès : 31 combats, 29 victoires (dont 21 avant la limite), 2 défaites
Entraîneur : Joseph Germain
Manager : Don King
Débuts professionnels le 25 mars 1995
Champion de France des mi-lourds en 1998, 1999.
Champion WBA des lourds-légers depuis le 23 février 2002 à Marseille. (bat l’Américain Virgil Hill, par abandon à la 9e reprise)
3 championnats du monde disputés, 3 victoires (dont 3 avant la limite).

Grégory : Parcours ?

Jean-Marc Mormeck, champion du monde de boxe WBA (World Boxing Association, une des trois fédérations majeures, ndr). Né en Guadeloupe et venu à l’âge de 6 ans en métropole. Scolarité à Bobigny. Je faisais du foot. Je voulais être un Brésilien ! C’était en 1982... Socrates, Zico, Falcao...je voulais être tout le monde ! J’avais fait un curl (défrisage, ndr) même. Je me suis blessé.

G : La première image de boxe que tu aies vue ?

Marvin Hagler. Après, j’ai vu Tyson...

Uda : Si t’avais combattu contre Tyson, t’aurais gagné ?

Ben, je faisais et je fais toujours pas le poids. C’est un lourd.

U : Ouais, mais si...

On peut pas faire de si. Je ne l’aurais fait que si je l’avais décidé, et je l’aurais fait pour gagner. Je ne fais les choses que pour gagner.

G : Il me semble qu’on avait proposé Tyson à Akim Tafer (boxeur français des années 90, ndr, et qu’il...

Ouais, il a dit qu’il avait pas besoin de Tyson pour se suicider.

G : Si on te l’avait proposé au même moment de ta carrière que Tafer ?

Si je dis oui, c’est que je suis sûr de le faire. Je te donne un exemple. Je devais être numéro 1 mondial en mi-lourds. Je suis mi-lourds à la base. C’aurait été Roy Jones (incontesté numéro 1 depuis plusieurs années, ndr). J’étais pas prêt. Après, j’ai eu Virgil Hill (autre immense boxeur, ndr). Une légende, qui avait battu Fabrice Tiozzo. Là, je n’ai pas dit non. Je pensais que j’avais les capacités.

G : Qu’est-ce qui te faisait dire que tu n’étais pas prêt pour Roy Jones ?

Les combats que j’avais faits, mon expérience. Et ce que lui faisait sur le ring. Il va très vite.

G : Et toi, tu ne veux pas monter si...

Je n’étais pas prêt. Aujourd’hui, je dirais oui.

G : Et comment ça a été pris ?

On m’a dit, “Mais c’est qu’un combat !”... Oui, mais c’est moi qui le fais ! (rires) Quand je fais un truc, c’est dans le but de gagner. Je ne vais pas participer à un championnat du monde pour le plaisir de le faire. Je vais prendre des coups...

Mano : La notion de peur, tu l’as ?

Plus de l’appréhension. La peur, non, parce qu’on fait tout un entraînement.

G : J’ai vu que tes deux seules défaites, c’est la même année, en 1997...

Les deux défaites (aux points, ndr), je les conteste. Je m’étais entraîné pour boxer un mec, et on m’en a envoyé un autre... Mon entraîneur d’alors aurait dû intervenir. On m’a dit que si je ne boxais pas, je ne serais pas payé. Quand je partais une semaine, je perdais une semaine de boulot. J’étais “grand frère” à la RATP, sur Bobigny. Donc, j’ai fait ces combats...

G : Ton tout premier entraîneur, tu t’en rappelles ?

Ouais. J’ai encore des contacts avec ces gens. Je me rappelle surtout comment ça s’est passé. Moi, je sortais du foot. En plus, j’étais un bagarreur. Donc, tout allait être facile. J’avais même pas encore mis les gants. Je frappais au sac, faisais du fractionné, et je suis tombé dans les pommes ! (rires) J’avais honte !

G : Ton premier combat ?

Perdu. Contre Jean-Paul Mendy, champion de France. Je ne m’entraînais qu’à la salle, entre nous. Si tu veux, j’étais le champion du monde...de la salle !(rires)

U : C’est quoi tes points forts ?

J’avance tout le temps. Je donne toujours l’impression d’être inépuisable. J’ai une super condition physique. Mes pulsations montent à 210, et redescendent très vite.

G : On te tient pour un puncheur, un frappeur ?

Un frappeur. À la Hagler. Destruction méthodique.

G : Ton premier cachet ?

150 francs, en amateur. Et, en amateur, le plus gros, à la suite d’un super combat, c’était 550 Francs. J’étais content, je pensais que j’étais riche. En pro, au début, c’est 1000 francs par round.

G : Ca implique quoi un contrat ?

Un engagement. Mais moi, je suis plus quelqu’un de parole. Je cherche toujours à garder une porte de sortie. Les premiers contrats, ils sont renouvelables, et durent un an. Avec un promoteur, c’est plus de temps. Quand je me suis senti fort, j’ai fait ma route tout seul. Avec des entraîneurs que je choisissais. Et en négociant moi-même.

G : Ca existe ça dans la boxe ?

Non. La plupart des boxeurs se font arnaquer. Ils entrent dans une salle, et l’entraîneur c’est le manager...il fait un peu tout.

U : T’as pas peur de gâcher d’énergie dans tout ça ?

C’est comme ça. Je suis comme ça. Je dois tout regarder, tout contrôler...

G : Avant ton titre, la plus grosse bourse touchée ?

100 000 francs. J’ai un parcours spécial. Je n’ai pas fait de championnat d’Europe. Sachant qu’un championnat d’Europe, c’est 150 à 200 000 francs. Je suis sorti d’un championnat de France, 50 000 francs. Puis, j’ai fait une ceinture inter-continentale, pour être numéro 1 mondial. Ça fait pas beaucoup de combats, d’expérience et de titres. C’était au Vénézuela, et j’ai dû toucher 70 000, 100 000 balles...

G : T’as été en contrat chez les Acariès ?

Jamais. C’est justement là où a été ma force. J’étais avec Gérard Tesson. Donc avec Eurosport. Ensuite, comme tous les autres, tu passes avec Michel Acariès. Ils m’ont dit, “On n’arrive pas à faire l’Europe. Il faudrait que tu viennes avec nous, et que tu fasses des combats.” J’étais ok. Ils m’ont proposé, cette demi-finale mondiale, l’intercontinentale, en mi-lourds. “Tu seras numéro 1 mondial, on fera un championnat du monde.” Je suis revenu, après avoir gagné, on m’a dit que je ne ferai pas de championnat du monde, qu’il fallait que je rencontre un lourds-légers, pour pouvoir faire un championnat du monde... Je devais faire un autre combat en lourds-légers, contre un mec à 86 kgs, alors que moi j’étais à 79. Je ne voulais pas le faire... Mais vu que je n’avais pas fait tout ce parcours pour rien, je l’ai fait. J’ai gagné. Et suis devenu challenger mondial. Là, ils ont fait ce qu’ils ont l’habitude de faire. Tu passes avec Louis Acariès, qui t’entraîne. J’en ai pas voulu. Avec lui, t’apprends à te planquer. Et en plus, il fallait que je signe. J’ai dit que je ne signais pas. Michel a mal pris que je dise non à Louis. On s’est un peu engueulé. J’ai fini par dire que si c’était comme ça, le championnat, je ne le faisais pas.

U : Ça veut dire que quand tu fais de la Boxe, c’est pas mérite ?

Eux, ils ont un monopole. Tu ne peux rien dire.

G : Ça a été vraiment tendu avec les Acariès, intimidation, etc ?

Un peu. Mais faut pouvoir se regarder dans une glace. Ils ne savent pas tout ce que j’ai fait. Quand je m’entraînais au début, j’avais pris un appart’, il fallait le payer, alors j’allais faire de la sécu le soir.

G : On les accuse de faire signer des combats sans qu’il n’y ait la somme inscrite...

Moi, je n’ai jamais su combien je touchais. Qu’ils m’en veulent, j’en ai rien à foutre. Ils m’ont sous-estimé. Je savais ce qu’ils faisaient. Je rigolais. L’intelligence, c’est pas de gagner un combat. Il y a un business derrière. J’ai accepté de combattre sans savoir ce que j’allais gagner. On aurait pu me donner une pièce de 10 ! J’aurais pas pu me plaindre... On m’a fait venir le lendemain : “Bravo mon fils, t’as gagné ! Combien tu veux ? - Tu penses que je mérite combien ?” Il m’a dit un prix. C’était sur un combat. On pouvait toujours me dire que Hill était vieux, etc. Il fallait faire un second combat. J’ai confirmé. J’ai eu le gant d’or. Là, j’ai mis les points sur les I. Ils m’ont invité à manger. “Voilà, on va faire Tiozzo, on va faire ça...” J’ai dit non, déjà, le simple fait de ne pas savoir combien je gagne, ça me dérange. Le fait de ne pas avoir des sparrings aussi... Tu me donnes dix francs si tu veux, mais tu me le dis avant. “Mon fils, je t’ai toujours bien payé ! ?” Ouais, mais tu me payes à la prestation, donc, si demain je perds... donc dis-moi avant. “Ouais, mais t’as pas signé le contrat.” Tu sais très bien que c’est de la merde. Je ne vais pas signer de la merde.

G : Qu’est-ce que tu savais sur Don King avant ?

En gros, c’était le diable en personne. Moi, je suis admiratif de quelqu’un comme ça. C’est un personnage.

G : “Avec lui, on se fait plus arnaquer, mais comme c’est sur des plus grosses sommes, ça fait quand même plus d’argent que chez les autres promoteurs !” ?

Quand il te vole, t’es content ! Je veux qu’il me vole ! (rires)

G : Un mec comme Bouthier, ancien champion, qui commente pour Canal, d’après toi, pourquoi il ne dit rien en ta faveur ?

Comme t’as dit : il travaille pour Canal. Il a une place à conserver. C’est du business. Michel (Acariès, ndr), il m’en veut parce que je pars. Mais en plus, je pars avec son bras droit, Nathalie. Tous les faxs qu’il a eus, par exemple, pour me faire boxer Gurov, je les ai vus... il proposait plus à Gurov qu’à moi, qui suis le champion.

G : Là, t’es signé chez King ?

Le temps que ça durera. Si je perds.... Mieux vaut, quand même, y aller à reculons... (rires) J’ai dit, je veux lui, je veux lui. Il a dit, “T’es le seul Français qui ne me demande pas de l’argent, mais qui veut gagner de l’argent.” Après, il va essayer de t’impressionner, crier, sortir de la pièce, etc... Là, moi, je l’applaudis. (rires) “Oublie pas, je suis un black comme toi.” Je l’ai défié, je lui ai proposé une partie d’échecs. Un jeu de stratégie.

U : En fait, le diable, c’est toi ! (rires)

G : Chaque combat de Brahim Asloum fait l’objet d’une soirée spéciale sur Canal, alors qu’il n’est que champion d’Europe...

Je ne peux pas lui en vouloir. Il prend la place qu’on lui donne.

G : Qu’est-ce que tu redoutes chez ton challenger Braithwaite ?

Sans être prétentieux, je pense qu’il ne peut pas me battre.

M : Question naïve, un coup ça fait vraiment mal ?

Ouais. (rires). Quand j’étais au Vénézuela, le mec, rien que de le voir ! J’étais pas bien. J’ai pas dormi. Ce mec, avant de me toucher, il m’a traumatisé ! Alors quand il m’a touché ! Il s’est levé, tout sec... il avait une tête... les mecs de là-bas, ils n’ont pas de vie dans leurs yeux. Le mec te regarde, et tu ressens que de la méchanceté. Le premier coup, ça m’a fait de l’électricité ! J’ai dit, “Oh ! Qu’est-ce que tu fais ? ! Frappe pas comme ça !” Là, soit tu te chies dessus, tu te fais démonter pour que ça ne dure pas. Soit tu bluffes. J’avais mal. Lui, il a voulu jouer à la bagarre avec moi. J’ai tout mis. Même quand il tombait, je voulais mettre des coups, pour l’achever. K-O au 3°. J’étais content. Et je veux plus le rencontrer ! (rires)

Propos recueillis par Uda Nelson, Mano et Grégory Protche

 



Grégory Protche

Le site de Tant Pis Pour Vous

Descendant d’une ancienne grande famille, moitié russe, moitié franco-anglaise, les Protche de Viville de Lonlay. A pour modèle son arrière-grand-père, qui instruisit le procès Bazaine, et décida d’abandonner (et non pas vendre) ses titres de noblesse, lorsque la famille n’eut plus les moyens de son rang. A pour idole son grand-père, ouvrier, donc alcoolique, chassé de Paris vers la banlieue en 1973. A cru longtemps que faire chauffer de l’eau dans la cuisine pour se laver était la norme. A passé son adolescence à jouer au flipper (au Chiquito ou au Café de la Gare à Savigny sur Orge), parce que ça coûte moins cher que les filles. A écrit pour raconter une France qui ne ressemble pas à celle de la littérature, de la télé, de la presse et du cinéma français.

Serigne Seck (aka mon nègre)

Co-rédacteur en chef avec Karim Boukercha du magazine Tant pis pour vous.

 




 

 

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