Revue Hermaphrodite n° 9 "SF, corps-texte"
QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, ils rasèrent les villes. On y vit déjà plus clair.

   

 

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QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, ils rasèrent les villes. On y vit déjà plus clair.
La revue Hermaphrodite n° 9
La revue Hermaphrodite n°9 ("SF, corps-texte") à l’honneur !


 

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, DIEU QUELLE BOITE CRANIENNE ! QUELLES tronches ! nous prîmes à cette occasion la mesure du chemin à parcourir.
Leur occiput effleurait ni plus ni moins les basses branches de nos platanes ; leur front démesuré s’élevait dans les airs avec une ostentation que certains supportèrent difficilement.
Quels monstres ! quelles flèches !
Les théories leur prédisaient un hyper cortex façon citrouille, mais de là à se farcir une telle courge d’intelligence, non !
Les femmes ne restèrent pas indifférentes à leur physionomie cérébrale, les annonceurs en mal de supports nouveaux mouillèrent leur culotte devant une telle panacée.
Des crânes galactiques Coca-Cola et 36.15 BRENDA égayèrent bientôt la ville en toute simplicité.
Leur détachement surhumain était à mettre sur le compte d’une élévation d’esprit telle que nos triviaux affairements devaient confiner à l’invisibilité, les travaux d’Einstein à des gribouillis d’idiot congénital, les paroles du Dalaï Lama à du babillage de bébé chimpanzé.
Nous ne pouvions donc tenter d’embrasser ces esprits supérieurs sans mettre en danger notre précaire équilibre, au mieux les réduire à notre petitesse, inévitablement.
Personne ne chercha la petite bête.
Nous ne prîmes aucun risque.
Nous préférions rester dans notre crétinerie douillette, à l’abri de leur toxique génie.
Jusqu’au jour, fatidique entre tous, où un spécimen peut enfin passer sur le billard, pour autopsie (sauvagement agressé par un pigeon, le pauvre - personne n’est invulnérable) : on découvre alors un cerveau pas plus gros qu’un pois chiche gardé jalousement, Fort Knox dérisoire, par dix centimètres et dix millions d’années d’épaississement osseux.

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, personne ne vit ni n’entendit rien.
Ils passèrent aussi inaperçus que nous à leur égard.
Une invasion vraiment sans histoire mais non moins définitive et implacable.
Rien ne pu donc donner raison à la volée de fous qui proclamaient leur présence, ceux-ci passant aussi complètement inaperçus au regard de leurs congénères.
Comment donc ai-je pu, me direz-vous, témoigner de la sorte ?
Mystère, mystère...

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT ils apportèrent avec eux l’infaillibilité al dente de la cuisson des pâtes.
Oui, à travers toute la galaxie et sans doute ailleurs, les pâtes sont des pâtes, les pâtes resteront des pâtes, au-delà de la diversité des sauces, et universellement inaliénables les lois qui président à leur cuisson.

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, c’est avec tout le sérieux de l’univers qu’ils activèrent pour notre pomme, en dignes macrobiotes hydrogénophages revenus d’entre tous les régimes, leur mimique circonspection chagrine d’élite à fort indice paranogène.
Une manière de nous rentrer délicatement dans le lard, avec comme arme ce regard orthodoxe expulsant en silence l’infinitésimale toxine de la réprobation et du mépris, laquelle doit se diluer dans le sang sans laisser de trace pour faire de vous un mort inexplicable.
Mais ce qu’il faut retenir dans l’histoire, c’est le génie de nos cuisiniers, quel art ! quelle invention ! quel avant-gardisme !

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, ils s’avérèrent plutôt “ bonne pâte ”. Ils vinrent sans verdict et ne récupérèrent aucun monolithe.
En effet, certains, parmi nous, étaient allés jusqu’à nous retirer les mérites d’une croissance sans assistance ni allocation, qui nous eût permis de nous mettre à notre compte sur le marché des espèces, au prix de nombreux sacrifices, ne serait-ce que celui de notre innocence - jusqu’à nous retirer aussi les circonstances du hasard pur : l’espèce n’aurait donc pas gagné son lot à la roue de la fortune cosmique - pour mettre devant le primate irrécupérable ce fameux monolithe, machine à cortex qui aurait ainsi fait de nous la digne récolte de cultivateurs bien plus balèzes que nous.
Franchement, je trouve que ça dénote un sacré manque de caractère.
Non, non, nous ne fûmes pas trop sévèrement jugés.
Notre médiocrité prise en compte, on ploya sous d’atroces circonstances atténuantes.
Rien ne fut trop retenu contre notre légitime idiotie.
Les extraterrestres nous tapotèrent la tête, nous félicitant même des valeureuses élévations qui parsemèrent notre nuit.
Oui, quels douloureux moments on passa.
L’extase.

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, personne ne vit ni n’entendit rien.
Ils passèrent aussi inaperçus que nous à leur égard.
Une invasion vraiment sans histoire mais non moins définitive et implacable.
Rien ne pu donc donner raison à la volée de fous qui proclamaient leur présence, ceux-ci passant aussi complètement inaperçus au regard de leurs congénères.
Comment donc ai-je pu, me direz-vous, témoigner de la sorte ?
Mystère, mystère...

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, j’écrivais.
Il me fut gentiment informé que dans notre vaste univers, 748 000 milliards d’écrivains avaient déjà pondu semblable substance, dont 41 000 quasiment mot pour mot, et, paraît-il, à la virgule près ; qu’à l’instant -même relatif où j’écrivais, environs 38 milliards d’êtres doués d’intelligence de niveau 0,5 étaient attelés à cette même tâche, et que dans les cinq milliards d’années futures, quelque chose comme, ouille ! des milliards de milliards de scribouillards, allaient reprendre ce noble flambeau.
Et ceci, pour notre seul univers, bien entendu.
La vérité est toujours bonne à entendre.
C’est décidé, je reprends la ferme familiale.

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, j’étais en train de faire caca. Du moins, essayer.
Il y a des trous de balle qui ont des trous de mémoire.
Oui, monsieur, le constipé aussi connaît l’angoisse de la feuille blanche.
Cela dit, j’ai peut-être le rectum prémonitoire (il y en a bien qui ont le petit doigt savant ) ; ça expliquerait mes crispations anales, docteur : un recroquevillement de tout l’être dans la peur de disparaître ; quant à leur subite apparition au cœur d’un moment si grave et intime, il y a peut-être plus soft comme ordonnance libératoire, je n’en demandais pas tant.
Ces démons nous firent une sacrée vidange. Le monde faisait caca blanc.

QUAND LES EXTRATERRESTRES DEBARQUERENT, je me curais les ongles.
Je crois que j’en étais à mon sixième doigt et, sans aller jusqu’à dire que j’éprouvais un bonheur intense à cette activité, au moins j’avais le sentiment d’exister, tout simplement, ce qui se passe de commentaire : la sensation d’exister est un plat qui se mange sans sauce, tel quel, à même l’arbre de vie, si j’ose dire.
Eh oui, ces salauds choisirent un jour férié pour venir nous empoisonner le destin, un jour où tant d’autres que moi se curaient les ongles, passaient l’aspirateur, faisaient la vaisselle, nourrissaient leurs plantes vertes et quelques projets d’avenir férié, en quelque sorte faisaient le vide autour de leur présent et, n’ayons pas peur de le dire, ne demandaient rien d’autre que d’exister. Les salauds, ils nous ont bien eu : choisir la marne des ongles comme lieu d’apparition, loin des télescopes braqués sur les énormités cosmiques, loin des lignes Maginot de la paranoïa et de la mégalomanie militaire, mais au cœur des Amazonies microbiennes, au cœur des mégalopoles acariennes, au cœur de la soupe palpitante des ongles, par un jour férié ! Les salauds !

Extrait du manuscrit "Quand les extra-terrestres débarquèrent..." de Guéric Pervès, publié dans la revue Hermaphrodite n° 9 "SF, corps-texte"

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