Entretien
Sébastien Fantini
photographe nomade


par Philippe Krebs,    

 

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Hermaphrodite : - Cher Sébastien, nous avons fait connaissance en 1998 à Paris lors de la remise du prix national Défi jeunes (une sorte de prix factice qui ne sert à rien que nous avions également reçu pour Hermaphrodite). Nous étions les seuls à boire dans une ambiance fiévreuse et chaotique. Tu avais reçu le prix des mains de Marie-Georges Buffet pour un reportage photographique plutôt épique puisque tu étais parti dans les mines de Silésie de Nyons dans le sud de la France en mobylette et tu avais fabriqué un appareil photo spécialement pour la circonstance. Rappelons que tes prises de vue se faisaient à + de 40 degrés dans la chaleur de la terre. Quelles images gardes-tu de ce premier voyage ?

Sébastien Fantini : - Voici sept ans, je pénétrai pour la première fois dans l’enceinte des anciens pays satellites de l’U.R.S.S., pays qui portaient hauts les cœurs les stigmates de leur histoire.
J’ignorai encore que j’allais être absorbé pendant cinq ans par ces pays tant leur matière « historico tellurique » irradie un mystère quasi palpable, il me semblait que les murs me chuchotaient des témoignages malgré le poids des tabous, des ans et des non-dits ; pour répondre correctement à ta question, les images qui me reviennent de ce premier voyage sont multiples, la première est la chaleur de l’accueil dont j’ai bénéficié auprès des mineurs, malgré une réalité socioprofessionnelle proche du drama, ils m’ont « paternés » tel leur fils, je réalise aujourd’hui que leurs attentions étaient à la hauteur de ma détermination à témoigner de cette réalité au plus proche d’eux.
Je vois aussi en souvenir les rencontres qui allaient engendrer d’autres voyages et d’autres recherches.
L’image forte dans ce voyage est certainement cette sensation totale de liberté lorsque je passais de pays en pays sur mon fidèle destrier motorisé, libre comme oiseau dans le ciel.

H. : - Depuis, tu as suivi une ligne aussi singulière qu’intéressante, avec une série intitulée les Quasimodogs sur ces chiens, les pitbulls et autres monstres du quotidien, à la limite entre animaux de foire et animaux fantastiques. Un travail qui avait été publié dans la revue Hermaphrodite. Peux-tu nous dire deux mots sur cette série ?

Quasimodogs - 31.6 ko
Quasimodogs
Crédits photographiques Sébastien Fantini

S. F. : - Les Quasimodogs sont apparus en plein phénomène Pit-bull, ils relatent la manigance d’une volonté politique à vouloir créer une peur concrète au moyen de monstre créés pour cet usage. Dans leurs yeux, on y trouve les stigmates de la violence sociale.
Par bouche à oreille, j’ai pu trouver mes modèles sans trop de difficulté, même dans ma petite ville de Provence, cette mode nouvelle, ce besoin de protection (donc cette peur !) était là.
Les gendarmes sont venus par deux fois nous rendre visite suite à des plaintes du voisinage, plainte liée au rassemblement de personnes et des chiens.
Les Quasimodogs rendent hommage à ces chiens qui sont finalement les victimes de cette orchestration de la peur sociale, je déplore que prés de la moitié des chiens que j’ai photographié sont morts peu après la série, suite à des mauvais traitements, ou confisqués voire euthanasiés pour manque de conformité au nouveau règlement qui interdit la reproduction naturelle de ces animaux.
Les Quasimodogs, animaux créés pour nos usages font l’objet d’une série en deux parties :
Tome 1 : Le coté obscur des Quasimodogs
Le tome 2 à venir sera une série humoristique et grinçante sur les dérives relationnelles entre les maîmaîtres et leurs toutous adorés et d’une façon générale sur l’image sociale du chien.

Quasimodogs - 35.7 ko
Quasimodogs
Crédits photographiques Sébastien Fantini

H. : - Ces dernières années, tu as vécu un long périple dans les pays de l’Est et à Berlin. Quels sont les fruits de cette aventure ?

S. B. : - J’ai vécu de plein fouet la transformation, je devrai dire la transfiguration de la Pologne et c’est dans ce climat terrible (une réalité fait place à une autre) que la Pologne m’a révélé une partie de son histoire et une partie de ses secrets.
Pendant ces quatre dernières années, je suis parti régulièrement en Pologne et a chaque fois j’y réalisais une série sur le sujet que j’avais préparé, une bonne pratique sur le terrain, « gonflé à bloc », j’ai fini par me débrouiller dans la langue du pays, atout indispensable pour aller plus loin, c’est le bénéfice du long terme, les choses se « décantent » ensuite (ou enfin !)
Les fruits de ces aventures me font une corbeille bien remplie ; j’ai retrouvé les derniers juifs de Cracovie, pénétré dans la fabrique originale d’Oskar Schindler, plongé dans l’univers concentrationnaire, découvert des camps « oubliés », erré à toute heures dans Kazimierz, un quartier juif vieux de 700ans où il y a actuellement une culture juive sans juifs comme le souligne Henrik Halkowski, le dernier philosophe juif de Pologne avec qui j’ai eu un entretien épique !
Je suis aussi parti dans les Tatras (prolongement occidental de la chaîne des Carpates) sur les traces d’un incroyable artiste polonais du début du siècle : Stanislaw Ignacy Witkiewicz dit Witkacy dont je suis un fervent admirateur (P.S. il serait intéressant de parler un jour de Witkiewicz dans Herma.)
Et puis sur la route de l’est, il y a Berlin. Halte obligatoire, îlot libertaire en Allemagne !
Aussi j’y ai posé mes valises et réalisé une série intitulée New Berlin qui traite du rapport entre l’homme et l’environnement qu’il s’est créé dans les villes, teinté ici d’un modernisme d’avant-garde.
J’ai été aussi attiré par le caractère underground de certains quartiers de la ville, me suis glissé dans ses souterrains les plus secrets, fréquenté les bars clandestins, visité des squats punks mais j’ai connu une petite déception quant a la réalité de ces mouvements « anarchistes ».
Les fruits de ces aventures sont aussi de belles histoires d’amitiés, des aventures humaines aussi, tout cela gravé à jamais dans mon cœur.

Camp de Plaszow, salle de détention - 73.4 ko
Camp de Plaszow, salle de détention
Crédits photographiques Sébastien Fantini

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Synagogue
Crédits photographiques Sébastien Fantini

H. : - Est-ce que photographie rime pour toi avec prise de risque ?

S. F. : - Je ne prends pas de risques pour le plaisir, les risques sont parfois nécessaires pour atteindre mes objectifs et cela fait partie de ce métier, les risques ne sont pas appréhendés, les dangers surgissent parfois soudainement, au détour d’une autre réalité.

H. : - Quelle cible idéale voudrais-tu viser avec ton objectif ?

S. F. : - Ma cible idéale est forcément l’humanité, je regrette de la trouver souvent abîmée, usée par des systèmes à la corruption honteuse. Si un jour cette situation devait changer, je la verrais resplendir d’une incroyable lumière, et là, je la tiendrai, la cible idéale.

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Sans-titre
Crédits photographiques Sébastien Fantini

H. : - Lors de notre dernière entrevue, tu envisageais de partir vivre deux ans dans le désert en compagnie d’un prince touareg. Qu’en est-il ?

S. F. : - Ce projet est toujours actuel et c’est une étape importante dans mon travail, la rencontre de l’Afrique pour moi qui ait choisi de commencer mon travail par l’Europe ; je suis actuellement à la recherche de partenaires financiers pour le réaliser. Je travaille depuis des années avec des petits moyens, problème lié à la difficulté pour trouver des financements et pour accéder aux aides à la création. Si j’avais pensé en logique comptable, aucune photo n’aurait vu le jour, je pratiquai sans le savoir la « photo povera », ce qui, par adaptation, est devenu un de mes secrets de réussite sur le terrain.
Je pars cette fois pour une durée indéterminée (le désert se moque bien du temps !) avec un ami Touareg, membre de la caste suprême, garante d’une grande sagesse ; nous allons rendre visite a sa famille qui s’étend sur six pays du Sahara (Mali, Algerie, Lybie, Tchad, Niger).
Une boite en bois avec cinq fentes en guise d’appareil, sans moteurs ni objectifs, de type sténopé amélioré.
Ce que je souhaite photographier ne se palpe pas dans notre réalité, je vais à la rencontre d’une sagesse façonnée par le désert lui-même !

H. : - Tu as vécu une histoire particulièrement traumatisante à la limite de la mort lors d’une chute de cheval. Retrouves-tu parfois des réminiscences de ce moment dans tes travaux photographiques ?

S. F. : - Ces moments tragiques m’ont fait prendre conscience de la valeur de la vie, de sa fragilité aussi et c’est avec une ardeur redoublée que je m’élance à nouveau vers l’inconnu. Et tout mon cœur, toute mon âme en piaffent déjà d’impatience.
La photographie sera mon précieux gouvernail dans cette traversée du désert, c’est elle qui fait le bénéfice de cette énergie qui donne un relief inespéré à mes voyages.

H. : - Peux-tu nous parler de tes projets actuels ?

S. F. : - Je travaille sur un projet de participation à la Biennale Septembre de la photo à Lyon, remplit des tas de dossiers en espérant être sélectionné pour participer à des festivals, des rencontres (...) Je travaille aussi à coté et pars pour une saison d’hiver dans les Pyrénées. Les choses sérieuse reprennent pour moi à la mi-mars où je m’installe à Lyon pour quelques temps avec des projets de création plein la tête, une année qui s’annonce riche en travail, je souhaite également faire une exposition dans cette ville (New Berlin) qui n’a jamais été exposée en France (Cracovie 10nov.-21dec.2004) et qui a fait l’objet d’une belle parution dans la gazette nationale polonaise ; et enfin travailler sur la mise en œuvre de mon voyage en Afrique.

New Berlin Postdemer Platz - 95.2 ko
New Berlin Postdemer Platz
Crédits photographiques Sébastien Fantini

Propos recueillis par Philippe Krebs

Plus de photos sur www.fantinipictures.com

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Philippe Krebs

Né à Metz, Philippe a grandi avec son père (fondateur du centre Emmaüs de Forbach) dans une ambiance de soupe populaire. Il a en a gardé le sens des relations humaines et un profond respect de la différence. Éditeur de livres et revues d’art pendant dix ans , co-organisateur d’un festival nomade de performances poétiques (Teranova). Un temps spécialiste du groupe Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Acrobate professionnel pendant dix autres décennies, il décide en 2014, de remettre le bleu de chauffe pour aller peindre sur les routes, dans des sites abandonnés, mais aussi dans son atelier lyonnais, ainsi qu’un peu partout dans le monde (Europe, Afrique, Asie).

 




 

 

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