Arts
Taroop & Glabel
L’instinct des modules.


par François Coadou,    

 

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L’instinct des modules. Taroop & Glabel au Frac de Basse-Normandie.

Pour sa nouvelle exposition, le Frac de Basse-Normandie propose quelques aspects et développements récents de l’œuvre du collectif d’artistes Taroop & Glabel. Le titre sous lequel ils s’accrochent, L’instinct des modules, pourrait laisser croire qu’il y sera question, d’une manière ou d’une autre, de Science-Fiction (et l’oxymore qu’il constitue ferait signe, alors, vers le thème assez caractéristique du genre qu’est l’hybridation). Mais qu’on ne se méprenne pas. Ce n’est pas ici qu’on trouvera cyborgs, ou autres humanoïdes, tels qu’ils sont à la mode ces derniers temps dans le champ de l’art. Le titre, ici, n’a rien à voir, dans le fond, avec ce qu’on voit. C’est plutôt comme une pirouette supplémentaire de la part d’artistes qui font décidément tout pour troubler le public, pour le mettre en crise, et pour l’inviter, par là, à la distance d’un recul. S’il est une chose, en effet, à quoi s’efforcent Taroop & Glabel, c’est à susciter la méfiance. Car il s’agit, d’un mot, de lutter contre la bêtise humaine, contre ces certitudes, ou pseudo-certitudes, par où l’on cherche à s’aveugler et où l’on s’enferme, volontiers, comme on y est à l’aise. Et la tâche, il faut dire, est d’urgence, car l’époque est à son triomphe, relayée qu’elle est, cette bêtise, et encouragée d’autant, par les media de masse et par l’ensemble au reste des dispositifs de la société du spectacle.

L’une des premières pièces qu’on voit en arrivant renvoie, cependant, à une histoire beaucoup plus ancienne. Il s’agit de la série de 11 vénalynes « Le bûcher pour les livres et pour leurs auteurs ». Taroop & Glabel y reproduisent, au détail près, à l’aide de morceaux d’adhésif collés sur laminé, les premières pages de 11 livres d’auteurs condamnés jadis par l’Eglise. Combat d’arrière-garde, dira-t-on, que cette charge contre religions et superstitions ! Peut-être pas... Qui oserait dire encore, aujourd’hui, qu’elles sont affaire du passé ? Ne demeurent-elles pas, tout au contraire, la forme la plus récurrente de la bêtise humaine, sa forme la plus permanente ? Tant et si bien qu’il vaut encore la peine, sans doute, de s’y attaquer... Mais Taroop & Glabel, qu’on se rassure, ne s’arrêtent pas là. Ils soulignent aussi combien cette dernière, la bêtise, sait emprunter, au surplus, de nouvelles formes. N’est-ce pas ce qu’énoncent, plus loin, deux grands textes, dont l’un proclame : Avant c’était : "Plus jamais ça". Aujourd’hui c’est : "Toujours pire" ? Continuité d’inspiration, donc, sous la variation d’apparence... Et l’autre d’enchérir : Avenir du paysage : un parc d’attractions bâti sur un charnier. Bref, une certaine vision du progrès... C’est un motif, ici, d’ailleurs, qui leur est cher : l’espèce d’équivalence qu’il y a, du moins quant à la fonction, entre Jésus et Mickey, Lourdes et Disneyland. Dans l’un et l’autre cas, ne s’agit-il pas, après tout, de divertir, d’éloigner de la réalité ? Pour mieux le faire entendre, et mieux semer le doute, il faut souligner combien Taroop & Glabel déploient d’efficacité plastique. De fait, ils utilisent, ici, et détournent, à leur escient, les moyens de la publicité, ou de la propagande, la force sémantique et graphique du slogan, pour mieux faire violence, pour mieux faire scandale, dans le plein d’évidence et d’insignifiance du discours environnant. Deux autres vénalynes, « Plan Nase » et « Norme Pipo », enfoncent le clou là-dessus. Il s’agit cette fois - dans des modalités qui sont proches, toujours, de celles qu’on vient d’évoquer - de faire lumière sur les formes plus discrètes, plus banales, et en un sens plus sympathiques, sous lesquelles il arrive que la bêtise se déguise. Ce que suggèrent encore deux grandes pièces où Taroop & Glabel s’attaquent au bonheur, ou faudrait-il dire à ce qui en tient lieu, à cet horizon, tout de médiocrité satisfaite, tel que se le propose désormais l’homme « moyennisé », l’homme « auto-mutilé » (au sens où en parle Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des porcs). Un jeune, cheveux en pétard, t-shirt plein de marques, sourit devant son pavillon. Un cadre dynamique, raie sur le côté, pull discrètement griffé, sourit devant sa voiture, sise elle-même devant une maison typique des classes dites intermédiaires. Deux étapes, en résumé, de la nouvelle vie bourgeoise. Deux caricatures dira-t-on ? Mais c’est le monde qui est caricatural ! Et c’est bien pour cela, c’est pour d’autant mieux le défaire, ce monde, ou pour du moins lui nuire, que Taroop & Glabel empruntent si volontiers le moyen du rire. Si le sacré - comme ils disent - est l’intimidation qui empêche le fou rire, le rire, tel que le proposent Taroop & Glabel, ce rire qui tout désacralise, n’est-il pas le meilleur moyen qui reste, pour l’heure, de libération ?

François Coadou

Le collectif d’artistes Taroop & Glabel a été fondé en 1993.
Exposition du 8 décembre 2007 au 20 janvier 2008, Frac de Basse-Normandie, 9 rue Vaubenard, 14000 Caen, www.frac-bn.org
Toutes reproductions courtesy Semiose galerie

 


François Coadou

François Coadou est Philosophe. Il enseigne l’Histoire de l’Art à l’École Supérieure d’Art de Toulon-Provence-Méditerranée. Il est l’auteur de textes consacrés à la littérature, à la musique et aux arts plastiques, textes où se croisent, de manière récurrente, les thèmes de l’art, du religieux et du politique. Dernières publications : L’inquiétude de la matière Bruno Schulz (Semiose, 2007), Le Livre des Taxes (Semiose, 2007).

 




 

 

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