Une nouvelle d’Alex Porker
Cult
aux éditions Hermaphrodite (réservée à un public averti)


   

 

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Dans le vestibule de son appartement, Nikki, 9 ans, projette son cartable contre le mur et accroche son blouson et sa chapka au portemanteau tout en faisant un bref salut militaire à son poster en relief de Farrah Fawcett, à son grand sourire West Coast toujours irrécusable, toujours limpide et définitif. Dans le salon, la diode orange du répondeur clignote. Nikki, les yeux rivés sur la petite lueur avide, marque une pause dans l’encadrement de la porte en se passant une main sous le col de sa chemise d’écolière. Elle éprouve une impression vague, sinistre, qu’elle ne peut définir. Quelque chose d’inexorable. Quelque chose, pourvu peut-être de tentacules et de sabots, qui semble guetter derrière l’irréversible descente d’un soleil de jaspe, le moment où il fera assez sombre pour pouvoir s’aventurer en dehors du disque et, ainsi, déchiqueter sa raison. Oui. Nikki a peur.

Après avoir pris un soda dans le réfrigérateur et passé sa robe de chambre où l’on peut voir une Minnie Mouse en larmes, assise seule sur un petit banc, Nikki déclenche la messagerie du répondeur et se vautre, en décapsulant la canette, sur le canapé surmonté de têtière en dentelle, prés du vivarium.

« Vous avez 1 message... »
Voix de petite fille : « Salut c’est moi... Cult... Je viendrai comme convenu ce soir... A l’heure que tu sais... » Nikki jette un œil sur sa montre-calculette.

A première vue, il n’y a rien de vivant dans ce vivarium. Juste un chaos de plantes et de tiges multicolores. Mais quand on allume un petit spot à l’intérieur, toutes les tiges se mettent alors à grouiller, révélant des dizaines de grands phasmes venimeux. Nikki, le regard vide, s’amuse à allumer et à éteindre plusieurs fois le spot.

« Fin de vos messages... »

Elle saisit la télécommande et allume l’écran.

Une petite fille à la beauté inerte et maquillée comme une mire TV, déboule sur un plateau de télévision avec des fiches à la main et s’assoit dans un fauteuil-paon en croisant et décroisant ses petites cuisses. Avec son pantalon de cuir rouge moulant, ses bottes de fourrure eskimo blanche, sa queue de cheval, sa casquette de base-ball, ses yeux comme deux essaims de flashs, avec tout ça enfin, elle dit :

« Chers téléspectateurs... (Elle réajuste son oreillette) Pour la somme de 1000 euros voici la question de notre petit quiz de culture générale, cette semaine centré sur le thème désopilant de la pédophilie... Alors heu... (elle cherche sa fiche) Ah, voilà... Quel nom précis de genre donnait-on au siècle dernier à ce type d’activité photographique délicieusement surannée ? (Elle claque dans ses doigts, à l’écran apparaît une photo où l’on peut voir un adulte portant barbe postiche et lunettes noires sodomisant un petit garçon de 10 mois sur un canapé de vinyle orange. L’enfant, les larmes aux yeux, a le visage tordu par la douleur) Pittoresque n’est-ce pas ? 1000 euros d’argent de poche pour celui ou celle qui répondra correctement ! Si vous voulez mon avis c’est un jeu d’enfant ah, ah, ah... Hem, je... » Nikki a un petit sourire las et éteint la TV.

« Trop facile... » Soupire-t-elle, entre deux gorgées.

On sonne. Nikki se précipite à la porte d’entrée. Après avoir regardé dans le judas, elle ouvre, dégageant la chaîne de sécurité.

Une femelle de 7 ans entre en levant poliment son Borsalino noir. Costume cravate trois-pièces de velours noir. Cheveux courts roux. Fossette sur le menton. Un début de zona ophtalmique.

« T’es toute seule ? » Demande la petite fille, en inspectant l’entrée. Sa voix entre deux phases de mue.
« Oui. »
« Et ta mère ? »
« ... »
« Ta mère... ? »
« Pas là. »
« Ok. » La gamine tend une main molle et glaciale à Nikki en refermant la porte avec le coude.
« Nikki, quoi de beau... ? » Demande-t-elle. Nikki évite le regard chloré de l’enfant.
« Rien de particulier Cult. Tu as ce que je t’ai demandé... ? »
« Pas de soucis... » Sourire abominable. Elle tapote sur sa veste tirée à quatre épingles.
« Entre et assieds-toi. »
« Pas de soucis... » Elle lève les deux mains en un geste conciliateur puis, entre dans le salon, Borsalino à la main, regardant autour d’elle.
« Tu veux un soda ? » Dit Nikki en se dirigeant vers la cuisine.
« Ouais et... » Cult se plante au milieu du salon, balance son chapeau sur le canapé et sort de sa veste un étui argenté. Elle y prend une cigarette qu’elle tapote dessus.
« Et... ? »
« Tu as des friandises ? »
« Pioche dans le calendrier de l’Avent épinglé au mur du salon. Il est bourré de pralines... » Dit-elle de la cuisine.
« Extra. » Elle allume sa cigarette et se dirige, simulant une marelle, vers le calendrier.
« Dis donc Nikki... Ca sent drôlement mauvais chez toi... » Cult s’assoit sur le bras du canapé en faisant la grimace. Pas de réponse. Nikki revient avec une canette de soda à la main.
« T’as entendu ? »
« Quoi ? » Elle lui tend.
« Ca pue ici. » Elle avale les pralines sans les mâcher.
« Oui... Cela vient de ma chambre... Les odeurs d’égouts qui remontent... » Dit-elle en s’affalant lourdement dans un fauteuil.
« Tu sais pas ce que j’ai reçu pour Noël ? » Elle trépigne.
« Non. »
« Une voiture téléguidée de la police... Extra non ? »
« Tu as la voiture des bandits ? » Elle allume une cigarette.
« Non. »
« Alors ta voiture, elle te servira à rien... » Un silence. Elles recrachent la fumée en même temps.
« Bon, voilà ta came... » Cult sort une petite ampoule incolore de sa veste et la pose sur la table.
« Ce n’est pas de la kétamine... » Articule Nikki en manipulant l’ampoule à la lumière du plafonnier.
« C’est beaucoup mieux, joli chou... C’est beaucoup mieux... » Cult dépose sa cigarette dans le cendrier et se met à rouler un joint.
« Qu’est-ce que c’est... On dirait du... »
« Du Luminol. » Cult reprend une bouffée de sa cigarette et l’écrase.
« Mais... »
« Le Luminol ou 3-aminophthalhydrazide, synthétisé en 1934 par Huntress, Stanley et Parker, sa luminescence démontrée en 1942 par Weber, avait principalement des utilisations en criminologie... » Elle passe sa langue noire sur le cône.
« Oui, je sais mais... »
« Il était anciennement utilisé par la police scientifique sur les scènes de crimes pour détecter les traces de sang invisibles à l’œil nu. Lorsqu’on plaçait une solution de ce produit sur les éventuelles traces lavées par le criminel après l’homicide, le Luminol y produisait de la lumière par une réaction d’oxydoréduction impliquant les ions fer des globules rouges du sang... » Cult allume le joint.
« Je connais... »
« Le sang, donc, apparaissait phosphorescent en l’absence de lumière, prouvant le meurtre. Une telle pratique était plutôt rare, surtout à cause du prix très élevé de la solution. Il fut aussi utilisé dans l’industrie du divertissement. Plusieurs produits y furent commercialisés, notamment les fameux Lite sticks englobant bijoux, lunettes, pailles, etc... » Nikki, excédée, se croise les bras.
« Il y a quelques années, on lui a découvert des qualités hallucinogènes extrêmement puissantes en injections intraveineuses. Mais cela reste encore aujourd’hui une substance hautement toxique si on ne respecte pas un dosage précis... »
« Pas possible... » Stupéfaite, Nikki ré-examine l’ampoule.
« ... » Cult fait des ronds de fumée.
« Mais... »
« C’est dilué avec un zeste de ce fameux réactif mettant en évidence les traces de liquide spermatique ou de sécrétions vaginales... »
« Incroyable... »
« ... » Cult décapsule la canette.
« Combien ? » Nikki écrase sa cigarette et se lève.
« Cher. » Cult se cale au fond du canapé et pose ses pieds sur la table basse.
« Combien ? »
« Ecoute Nikki, ce soir, c’est offert par la maison... C’est... Comment dirais-je... Un échantillon gratuit... »
« Extra. » Nikki fouille déjà fiévreusement dans un tiroir et en sort une petite trousse de voyage avec dessus, des motifs de minuscules trois-mâts multicolores. Elle déballe le tout sur la table et se prépare un shoot. Cult écrase son joint. En crachant la fumée, elle saisit une photo encadrée de jaune.
« Ta mère est drôlement bien conservée pour son âge... » Sourire abominable.

Cult repose la photo et boit cul sec le soda en observant les préparatifs du shoot. Puis, se déplaçant subitement à quatre pattes autour de la table, elle vient s’agenouiller entre les jambes de Nikki. De sa veste, elle sort un téléphone portable à écran large.

« Regarde... » Elle secoue le mollet de Nikki. Elle lui jette un oeil distrait.

Sur l’écran du portable, une séquence vidéo. A côté d’une grande plante verte, deux enfants femelles nues avec des santiags et un grand chien loup sur un divan zébré. Le chien éjacule dans la bouche d’une des petites filles pendant que l’autre caresse la tête de l’animal. Puis la première recrache le sperme canin dans la bouche de l’autre, la seconde recrache dans la bouche de la première et ainsi de suite.

« Mmh... » Soupire Nikki, en cherchant une veine.
« Ouais... Tu sais que nous ne nous accouplons plus qu’avec des bêtes maintenant... La zoophilie, c’est l’avenir joli chou. La seule solution pour ne plus se faire baiser par ces connards... Et puis de toute façon... »
« De toute façon ? » Répète Nikki en se piquant.
« De toute façon, à part le porno, la vidéo n’a aucune raison d’être... » En grimaçant affreusement, elle referme le clapet du portable d’un coup sec.
« Ouais... ? » Nikki s’injecte lentement le liquide. Cult, visiblement excitée, caresse lentement l’entrejambe de Nikki en miaulant comme une petite chatte.
« Tu veux que je te suce... ? » Susurre Cult, son regard braqué sur elle.
« Non ça va, merci... » Nikki pose la seringue sur la table et se cale, sourire d’extase aux lèvres, au fond du fauteuil.
« Comme tu voudras... » Vexée, Cult se relève d’un bond, rangeant son portable dans sa veste.

Cult se plante devant le verre du vivarium en se lissant les cheveux en arrière.

« L’effet ne se manifeste pas tout de suite... Chez certaines personnes la substance n’agit même pas... C’est pour ça que pour cette fois je te l’offre, à titre d’essai... » Elle adresse une petite grimace à son reflet. Comme sourire, c’est raté. Les défauts du verre et le faible éclairage semblent déformer son expression pour en faire quelque chose de différent. De bestial.
« Fais attention à toi, Nikki... C’est puissant et long... 48 heures... Tu vas voir la peur en Technicolor... » Elle allume le petit spot. Puis, avec sa chevalière, elle toque sur le verre. Grouillement des phasmes.
« On peut comparer ce vivarium à un cerveau malade... » Murmure Cult.
« Ah ? »
« Oui. Atmosphère étouffante. Faune et flore désordonnée. Univers cloisonné, sans relation externe. »
« ... »
« Sales bêtes... Et maintenant joli chou, jette-moi dehors. » Elle visse méticuleusement son Borsalino.
« Dehors. » Murmure Nikki du fond de son fauteuil.

L’enfant part. Sans se retourner. Sans refermer la porte.

Au bout de cinq minutes, Nikki se relève péniblement de son fauteuil et, inspectant le couloir des deux côtés, referme doucement la porte en remettant la chaîne. Agenouillée dans l’entrée, elle ouvre alors son cartable pour en ressortir son cahier de textes puis, souffle en constatant tous les devoirs à rendre pour demain.

Alex Porker. Nouvelle extraite du recueil, Fermons les yeux, faisons un voeu publié aux éditions Hermaphrodite en 2008.

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