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EXTRAIT DU JOURNAL DE GWÉNAËL DE BOODT

Errance urbaine en Bavière

MÜNICH, LE 1ER JUILLET 2003

Le dimanche 6 juillet 2003



Gwenael De Boodt, comédien et écrivain est parti à pied de Saint-Malo le 6 avril 2003, avec sa compagne Marion Derrien, artiste peintre, pour traverser l’Europe en large Manche-Mer noire jusqu’à sibiu en Roumanie où l’attend une résidence d’écrivain le 31 octobre 2003. C’est une action de résistance en poésie à pied qui inclut toutes sortes de recherches et de réflexions poétiques, philosophiques, économiques, politiques...Au cours de ces 4.000 kilomètres, les Piétons de l’Europe emprunteront les inévitbles sentiers de grande randonnée (notamment européens), mais aussi les routes goudronnées.



"L’aube est fraîche aujourd’hui. Sur l’immense pelouse pénétrée de l’humidité matinale où brillèrent jusque tard dans la nuit les bougies de quelques autels bouddhistes improvisés par des groupes de jeunes gens, c’est un écureuil qui jette en panache, ce matin, le feu de sa queue. Descendu de l’arbre sous lequel nous avons dormi, il vient grignoter, jusque dans nos jambes, quelques miettes d’un chocolat dont nous venons de nous rassasier. Peu farouche, l’animal, dont pourtant la faculté de constituer des réserves alimentaires est légendaire, se saisit de nos restes pour les consommer sur place, dans le lit douillet de nos duvets. Tandis que Marion, charmée par le spectacle insolite, se déleste en sa faveur d’une partie de sa ration, je tente moi-même de le repousser de quelques amples gestes destinés à l’effrayer car je redoute une morsure impromptue dont je sais l’animal coutumier. Marion s’émerveille des attaques du rongeur autour de mes orteils qui ont, certes, l’allure de noisettes, sans en avoir ni le goput ni l’odeur. L’arrivée d’un quadrupède canin échappé, depuis la plus proche allée, à la vigilance de son maître vient mettre un terme aux assauts de l’adorable créature, qui se réfugie, au terme d’une furtive ascension sur la branche qui nous surplombe.
Quant à nous, touchés par la grâce de ce réveil, nous endossons, joyeux, nos sacs et déambulons dans les allées de l’Englisher Garten, que les cyclistes et les adeptes de la course à pied commencent à transformer en piste sportive. Le culte de la bonne santé allemande reprend du service dans les vapeurs de l’éveil et ce n’est certes pas le début d’une averse qui éteindra la flamme olympique à l’éclat pourtant bien terni dans ce pays il ya presque 70 ans.
En attendant l’ouverture de l’Institut Français, nous nous réfugions dans un "Café français". C’est que nous avons besoin de ses vastes tables pour y étaler notre littérature et de ses confortables chaises de cuir pour y reposer nos pieds, avantages que ne peuvent nous procurer les "Conditorei-backerei" où l’allemand se sustente traditionnelement dans la rigueuer d’une station debout que nous ne pourrions nous-même supporter le temps de notre tache. Je dicte à Marion les modifications à apporter à son courrier, qui répond à une menace de radiation de l’A.N.P.E., en développant des arguments propres à justifier son absence au rendez-vous fixé à Rennes tandis que nous sommes à Munich. J’oppose ainsi à la sommation du fonctionnaire les vertus toutes formatrices du vagabondage dans une société perclue dans ses rhumatismes conséquents à la frénésie du travail. Ayant usé du même stratagème à l’occasion d’une situation analogue dans laquelle l’administration vouée au culte du plein-emploi mythique m’avait jeté il y a un mois à Strasbourg, je pressens, dans mon enthousiasme, les conséquences bénéfiques de notre acharnement pour l’évolution des mentalités restrictives de l’administration.
Quelques traits d’esprit et de plume plus tard, nous entrons dans le hall vaste de l’Institut de Français où nous demandons à rencontrer le Directeur. C’est son adjointe qui nous reçoit. Notre courrier, sollicitant un hébergement et des facilités techniques pour diffuser les productions de notre voyage a été jugé trop "compliqué" pour que l’on prenne le temps d’y répondre. Au cours d’un interrogatoire serré, l’adjointe de direction tente de repousser les doutes qui l’assaillent au sujet de la validité de notre projet. C’est que nous ne sentons pas l’after-shave de l’auteur en vogue et que la propreté des documents que nous sortons du fatras constitué par un concombre, une barquette de pêches déliquescentes, une boîte huileuse emmiéttée de croûtes de pain, un réchaud enveloppé dans un torchon aux motifs estompés de crasse, un t-shirt noir de sueur et quelques chaussettes humides dentellées de vastes trous, ne constitue pas, à vrai-dire, le meilleur des gages de représentation littéraire et poétique fançaise à l’étranger.
La réalité de notre courage et de notre endurance émane cependant de ce foutoir et touche notre intrelocutrice qui décide finalement d’accéder à une partie de notre demande. Nous pourrons user à notre guise de la bibliothèque francophone, raisonnablement de la photocopieuse et une paire d’heures d’un ordinateur et de son accès à internet. En ce qui concerne le logement, l’Institut héberge les hôtes qu’il a choisis à l’hôtel. En qualité de vassaux spontanés, nous ne pouvons donc prétendre à ce confort. Ayant obtenu les facilités sur le plan du travail, nous n’oson requérir leur extension à celui du confort... Le hall, agrémenté de douillets fauteuils, ou bien encore le petit jardin, pour y planter notre tente, auraient pourtant bien achever de nous contenter. Mais on ne mélange pas les torchons et les serviettes, le travail et le loisir, la production et le bonheur de vivre. Le métissage culturel vient tout juste d’être autorisé pour favoriser la culture unique destinée à faciliter la circulation des marchandises et de l’argent qui procurent enfin des revenus un peu plus confortables aux acteurs des multinationales. Les origines de la richesse ne constituent pas un critère pour son injection dans le système, soit. Vive la démocratie et la profusion ! Mais le dénuement et la pauvreté n’ont pas de vertu et gisent, obsolescentes, dans la matrice de leurs origines. L’humanité ne doit pas accoucher de ces monstres dangereux dont on connait les facultés de désordre. L’utérus est cousu de fil blanc et la septicémie qui s’annonce ignorée de tous !
Nous continuerons donc notre ouvrage, dans le ventre de la bête, avec les outils qu’elle nous procure et que nous avons parfois inventés nous-mêmes, au gré de nos propres conditions.
Le personnel est aimable. Tandis que Marion se repaît de bandes dessinées, je prends quelques notes d’un ouvrage sur les poètes romantiques allemands qui conclut la fin définitive des tentations nazies grâce à la course au profit individuel et jouis "du bon usage de la lenteur", avec un auteur du même titre, jusqu’à ce que sonne l’heure de la fermeture. Nous reprenons nos sacs cachés derrière un bureau vacant dans l’office de l’adjointe, laquelle nous fournit de plus amples renseignements pour que nous puissions enfin nous mettre en quête d’un hébergement bon marché. Après quelques emplettes, nous traversons le centre de Munich, dont le luxe des vitrines vient éclairer sans profondeur les façades monumentales, pour entrer dans la gare, d’où nous espérons un couchage qui s’avère problématique en plein air par cette pluie diluvienne. La hall d’entrée du bâtiment, d’architecture moderne, s’étage sur deux niveaux. La rectitude allemande (ou bavaroise) est imposée par la solution uniquement verticale de la station des voyageurs. L’endroit est dépourvu de sièges et seules les marches des escaliers se livrent aux postérieurs des êtres fatigués. Nous trouvons tout de même un banc où dîner sur les quais.

(...) à suivre

Gwenael De Boodt