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Panique ou le carrefour des métèques I

Le lundi 26 février 2007



« Je proclame dès maintenant que « Panique » n’est ni un groupe ni un mouvement artistique ou littéraire ; il serait plutôt un style de vie. »

(Anti-définition panique par Fernando Arrabal, in Le Panique)

Corrida panique
Un jour parmi tant d’autres, nous sommes dans les années soixante, Diego Bardon, né à Fuentres des Maestres, matador espagnol panique et révolutionnaire, se refusa à tuer le taureau, préférant lui tendre une feuille de salade. Cela donna lieu à un véritable esclandre dans l’arène... Mais, en raison de ce fait méritoire, le torero fut invité par une association de défense des animaux, à venir s’exprimer lors d’une conférence publique. Devant un parterre d’invités convaincus du bien fondé de laisser tous les animaux en paix, le matador se lança dans un bref discours qui consista, sous l’œil stupéfait de l’assistance, à tordre le coup à un poulet vivant. Esclandre dans l’arène des hommes comme dans celle des animaux ! Quelques années plus tard, en 1972, Diego Bardon donna deux éphémères paniques mémorables : La autocornada, cérémonie au cours de laquelle il se blessa profondément avec une corne dans une galerie d’art parisienne, et avec son sang, macula les visages de Topor, d’Olivier O. Olivier et de Fernando Arrabal ; Mi circuncision où il se fit circoncire publiquement au théâtre Palace le jour de Noël.

-  Panique ?
-  C’est la vie ! C’est la contradiction, la fête, le hasard et le jeu ! « Panique, Pan nique, ça veut dire Pan baise, ça c’est le Panique. C’est-à-dire un acte avec la totalité. » (Fernando Arrabal)
-  Panique, c’est aussi le désordre, le chaos, une certaine brutalité amoureuse gorgée de fécondité et surtout une part immense de démesure et de rêve.
-  Pan ?
-  Pan, c’est avant tout le dieu grec Pan, le dieu de la totalité, le dieu de l’amour, de la profusion et de la confusion. Mi-homme, mi-bouc qui bondit de rocher en rocher et se cache, toujours à l’affût des nymphes. Créature des bois, au visage barbu, au corps velu, et aux pattes pourvues de sabots fendus, son activité sexuelle est débordante (notons au passage que Pan est une figure bisexuelle). Ses attributs sont le syrinx, la canne du berger, la couronne et le rameau de pin. Pan passait pour effrayer les esprits à cause de ses nombreuses apparitions et déchaînait à la fois les rires et la terreur.

Panique, c’est Roland Topor, Alexandro Jodorowsky, Fernando Arrabal, Olivier O. Olivier, Christian Zeimert, Diego Bardon, Sam Szafran, Abel Ogier, Copi, Michel Parré, Roman Cieslewicz, Jérôme Savary..., une nuée d’individualités qui surent cultiver un art en marge des conventions, un art où le savoir et le vivre étaient devenus bons amis. Men bigger than life. Des hommes plus grands que la vie, bizarres, excentriques, hors normes, amis avec tous les grands de ce monde. Arrabal fut de toutes les avant-gardes : le surréalisme avec Breton bien sûr (la première impression du mot « panique » dans le sens que lui prêtent ses auteurs eut lieu dans la revue La Brèche dirigée par André Breton) ; Arrabal fut aussi ami avec Mishima, avec les écrivains de la Beat Generation, avec Jim Morisson qui passait le voir dans son appartement parisien en compagnie de Pamela, avec Cioran, Dali, et aujourd’hui Houellebecq. Arrabal, tout juste adoubé satrape au collège de Pataphysique, est un « piéton », comme il aime à se définir, un marcheur, livre en main en guise de lanterne et de porte-voix, un écrivain, faut-il le rappeler, qui a écrit plus de mille cinq cent livres (beaucoup de pièces de théâtre, et nombre de livres d’art à deux ou trois exemplaires avec Miro, Julius Baltazar, Picasso...), réalisateur de cinéma aussi (J’irai comme un cheval fou, Viva la muerte...). Son compagnon Alexandro Jodorowsky fut lui aussi un marcheur, passant allégrement du Chili à Paris via le Mexique. Jodorowsky passe pour avoir soufflé la fin du manga Akira à Katsuhiro Otomo son créateur ; il a écrit La Cage pour Marceau, figure parmi les plus classiques du mime. Jodorowsky fut à deux doigts de réaliser l’adaptation du livre culte Dune ( Sur ce projet, lire l’article écrit par A. Jodorowsky et publié dans Metal Hurlant au :
http://membres.lycos.fr/sarfa/htm/article.html) de Frank Herbert avant que David Lynch n’en fasse une série B, un projet sur lequel travaillèrent Moëbius, H.R. Giger, où devait jouer Salvador Dali (l’Empereur), et dans lequel Pink Floyd et Magma devaient s’occuper de la bande son. Projet utopique et imaginaire qui ne résista pas à l’ego surdimensionné de Dali et au caprice d’un producteur multimillionnaire qui retira ses billes au dernier moment. Jodorowsky en sorti profondément touché. Jodorowsky fut aussi chef d’orchestre d’un groupe de rock, karatéka, réalisateur (La Montagne sacrée, El Topo et Santa sangre sont devenus des films cultes), avant de devenir l’un des auteurs de B.D. les plus lus au monde (L’Incal, Alef-Thau, Le Lama blanc...). Topor, lui, joua dans le Nosferatu de Werner Herzog, créa 156 épisodes de Téléchat, , La Planète sauvage, dessin animé étrange et aérien, l’émission télé Palace en compagnie de son ami Jean-Michel Ribes, des centaines de chansons, de nombreux romans (Le Locataire chimérique, adapté au cinéma par Roman Polanski, Le Sacré livre de Proutto, Joko fête son anniversaire et Jachère-Party, trois monuments de dérision visionnaire à redécouvrir de toute urgence) et des pièces de théâtre (L’Ambigu, L’Hiver sous la table...). Sans oublier l’adaptation du Marquis de Sade dans un film costumé avec des marionnettes signées Topor. Son ami le peintre d’origine turque Arslan qu’André Breton, encore lui, avait fait venir en France, avait griffonné un jour sur un bout de papier en coin de table cette formule aujourd’hui célèbre : Kafka -> Jarry -> Topor. Arrabal insista souvent sur le fait que Topor était le véritable génie de la bande.

"Fernando et Luce séduits par leurs corps échangés", 1966, 100 cm de diamètre, huile sur toile
Copyright RAFAEL G. CRESPO

Pourquoi Panique ? « En l’honneur du dieu Pan, le dieu de l’amour, de l’humour et de la confusion. Pan, la cosmicité, Cosmis City. » (A. Jodorowky, interrogé lors de la sortie de son film La Montagne sacrée). Panique est ce mouvement mythique qui est né en février 1962. Deux années auparavant scellaient la rencontre de trois artistes fous, touches à tout de génie, trois jeunes gens bien décidés à marquer le siècle en dépit de la bienséance et des faux-semblants qui dominaient alors la culture bourgeoise de France. Cieslewicz est d’origine polonaise, Copi est argentin. Roland Topor est le fils d’un immigré polonais arrivé en France grâce à l’obtention d’une bourse des Beaux Arts. Fernando Arrabal arrive d’Espagne, il est né à Mellila, la partie de l’Espagne située de l’autre côté de la mer, tout contre le Maroc. Alexandro Jodorowsky vient de débarquer du Chili, lui-même fils d’immigrés (ses grands-parents avaient quitté la Russie en pleine période de pogroms, traversant la France, pour se retrouver au Chili par le hasard de ces périodes irrationnelles de l’histoire).
Topor est encore celui qui parle le mieux de la genèse du Panique : « Je travaille à Hara-Kiri, je reçois un livre d’Arrabal, L’Enterrement de la sardine qu’il m’envoie avec admiration et sympathie. Je ne sais pas comment il est ni son âge, et je lui envoie un dessin. Ensuite, un type me téléphone, soi-disant son secrétaire - et en réalité un copain à lui nommé Fedorov - et on se donne rendez-vous au Saint-Claude, boulevard Saint-Germain. On découvre qu’on a des goûts communs : Hara-Kiri, la science-fiction, les romans noirs, Lewis Carroll... On se dit que fonder un mouvement serait intéressant : quand on est un simple petit individu, on se trouve bien faible face à la clientèle, au public, à ceux qui représentent et gèrent tout ça. (...) A ce moment, on rencontre Jodorowsky. Il arrive du Mexique pour mettre en scène Les garçons de la rue, Les Trois ménestrels, je ne sais plus Au Mexique, il a monté Fando et Lys, d’Arrabal. Il travaille pour la bande dessinée. C’est lui qui trouve le nom de Panique. Le mot vaut bien un manifeste. Pour les uns, il évoqua la terreur, pour les autres le dieu Pan, le grand Tout, le rire panique, les fêtes paniques... Ce mot, c’est bien, il est libre, on peut le charger de ce qu’on veut. » (in Jérôme Savary, l’enfant de la fête, par Colette Godard aux éditions du Rocher)

Philippe Krebs

P.S. Le site de Fernando Arrabal