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Entretien avec Jean-Marc AGRATI

Le samedi 29 juillet 2006



Depuis 1964, Jean-Marc Agrati a été tour à tour enfant, démiurge, étudiant, ingénieur, Ivoirien, créateur d’entreprises, poète, professeur de mathématiques, romancier en devenir, pour finalement trouver sa voie, le métier d’écrivain, orienté vers l’histoire courte, avec Le Chien a des Choses à Dire (2003), premier recueil de nouvelles, publié aux Editions Hermaphrodite, suivi d’Un Eléphant fou furieux (2004), aux éditions La Dragonne et enfin d’Ils m’ont mis une nouvelle bouche (2006), de nouveau aux Editions Hermaphrodite.

Hermaphrodite - Tu as remporté en 1998 le prix Paul Valéry pour ton recueil de poésie intitulé "le petit véhicule". Considères-tu ton activité d’écrivain de fiction aussi comme une activité à caractère poétique ?

Jean-Marc Agrati - Ah ! la poésie... Je ne suis pas un poète, mais j’ai effectivement fait mes premières armes sur ce terrain. Puis j’ai glissé doucement vers la prose, jusqu’à me sentir des ailes dans cette forme qu’est la nouvelle. A caractère poétique, certainement. La nouvelle est un espace confiné où chaque image résonne d’un bout à l’autre de l’histoire. La vision, l’élimination et la recherche de la cohérence y sont fondamentales. Comme dans la construction d’un poème. Quelle est la différence entre une nouvelle ultra-courte et un poème en prose ? En grande partie, la revendication de l’auteur. Est poème ce que l’auteur déclare comme tel. Et le fait d’aller à la ligne... et encore... Et donc, je déclare que je fais des fictions et qu’il y a beaucoup de poésie dedans.

Poésie, poésie... La poésie et la musique c’est toujours un peu lié. Qu’en est-il de ton rapport avec la musique ? Tu parles souvent du Rock comme un rapport spécial au monde, d’Iggy Pop comme quelqu’un dont on a beaucoup à apprendre... Quel est le rapport... l’apport dirais-je... de ces éléments dans tes écrits ?

La musique me fournit de l’énergie. De préférences rythmée, du rock. Je ne suis pas savant, ni mélomane, et il y a beaucoup de hasard dans mes choix, je ne vais donc rien te citer. Mais pratiquement toutes les histoires que j’ai composées sont passées à la moulinette d’un morceau mis en boucle. L’éveil, la vitesse, le nerf. Et peut-être tout simplement le caractère fantastique de la musique. Le décalage qu’elle opère. Mais surtout le nerf. Tu crois que t’es fatigué, foutu, tu mets un morceau, et la batterie te prend aux reins. Tu marches en long et en large dans ta pièce, et l’imaginaire te rattrape.

Non seulement les nouvelles du « Chien a des Choses à Dire » sont souvent teintées de burlesque et d’absurde, mais elles vont même jusqu’à flirter avec le fantastique et l’onirique. Tu m’avouais lors d’une de nos rencontres qu’il s’agissait pour toi d’une sorte de « fuite ». Peux-tu nous en dire plus sur ce concept et sur son rôle, dans ta vie et dans ton œuvre ?

Dans un univers contraint et dégueulasse (la réalité), il n’y a que deux possibilités : la lutte ou la fuite. Ah non, je me suis trompé. Il reste la possibilité de manger sa merde ou de se faire bouffer. Et ça, je le fais, oui, très souvent, dans la vie, je suis dans ce dernier état de merde (ce qui n’empêche pas de cueillir des plaisirs au passage, même si la différence entre le plaisir et le caca devient toujours plus ténue). Mais de temps en temps, comme un lapin qui découvre ses pattes, eh bien je m’aperçois que je fais DES BONDS. Ça m’étonne moi-même. Et la réalité mordante de merde qui pensait tout prendre, tout supplanter, et qui me poursuit, eh bien elle l’a dans l’os, et c’est la jubilation. Parfois même, ça confine à l’extase. T’as l’impression que c’est toi qui chies sur la lune et qui fais toutes ces taches. C’est le rêve, c’est l’imaginaire, c’est la réalité intérieure. Il n’empêche. Parfois la réalité est si exaspérante, qu’on a envie de la tourner en bourrique (l’absurde, le burlesque). Ou de cogner dedans (le réalisme vengeur). Ou de la détruire (l’apocalypse). Après, c’est une question de dosage. Beaucoup d’imaginaire, quelques bagarres au passage et des explosions à l’horizon, voilà le mien. Toujours sous la forme de cocktail parce que je n’aime pas la littérature de genre. Je "flirte" avec lui, c’est joli, je te remercie.

L’absurde, le fantastique, la farce : détruire ou inverser la logique, martyriser la réalité en somme, mais à quelle fin ? On se dédommage bien de quelque chose en faisant ça ! D’ou tires-tu cette envie de jouer, un peu comme un démiurge ? Est-ce plutôt ta propre vie ou bien le spectacle désolant du monde qui te pousse à te dédommager ainsi ?

Quand j’étais petit, je voulais être autocrate du monde. Il suffisait que je ne sois pas à l’école, et je conquérais le monde. J’avais des grosses armées et je fédérais petit à petit le monde. Toutes les populations m’accueillaient, tellement j’étais juste et gentil et technologiquement plus avancé. C’était la justice, la concorde et la construction de nouvelles villes partout. Il y avait toujours des chieurs, mais ça me plaisait, parce que j’étais un stratège hors pair avec des armées très motivées et très bien équipées. Et sur les champs de batailles, là, comme ça, je donnais les ordres décisifs et j’imposais l’harmonie. Puis je reprenais les plans de réaménagement de la planète. L’Afrique qui était jaune sur les cartes à cause du Sahara, eh bien elle est devenue verte parce que j’ai réussi à l’irriguer avec de nouvelles techniques d’irrigations. J’ai également construit de vastes villes sous-marines et j’ai recouvert de serres Mars. J’ai découvert de nouvelles techniques pour aller plus vite que la lumière, parce que je trouvais révoltant qu’elle puisse être finie. J’ai mené tous ces travaux de 7 ans à 12 ans. Par la suite, tu comprends bien que j’ai été déçu. Comme tu le sais, je ne suis pas autocrate du monde et la vitesse de la lumière est finie. Et donc, oui, le monde est désolant. Il n’empêche. C’est folie, de refuser le monde ou de vouloir le changer. Ce qui est est, et ce qui n’est pas n’est pas. L’imaginaire, c’est de la folie, mais ça se contrôle ! En particulier, quand on l’injecte dans un tableau, un poème, une chanson, ou simplement dans quelques bons mots, ça devient de la réalité. Retour à l’envoyeur. On ajoute au monde. Et, miracle, certains sont heureux que cette chansons ou ce tableau ou cette histoire existe. Après, ce qu’ils en font dans leurs têtes, n’est que pure folie ! En fait, le lecteur est complètement barge. Je te renvoies donc la question : d’où tires-tu cette envie de lire ? Est-ce ta propre vie ou bien le spectacle désolant du monde qui te pousse à te dédommager ainsi ? Allez ! J’arrête de te taquiner. Après douze ans, c’est un lot ordinaire d’expériences, de réussites, de ratages, de hasards, de joies et de déceptions. Des sous, des potes, un toit, une femme, des voyages, des métiers et des opinions con-con. Et c’est vrai que l’écriture permet en partie de se venger de ça. Je ne vais pas le nier. Je ne suis pas loin de penser que la motivation première de l’art, c’est la vengeance. Mais il faut voir de quoi on se venge ! ... de sa propre vie, de son corps, de sa sphère sociale, de l’histoire, de sa race, des hommes, des femmes, de la vitesse de la lumière, de Dieu ! Tu vois, la liste est longue et ce serait vraiment con de s’arrêter à sa propre vie et aux sales moteurs psychologiques qu’il y a derrière. C’est là, mais je m’en fous. Ca me dépasse. C’est mes intestins qui font transiter ma merde. Ils s’occupent de ça, et c’est vraiment très fort. C’est une opération divine. Mais est-ce important ? Quand on regarde un athlète qui prend son départ et qui nous déroule un ventrale ou un fausburry impeccable, on ne déroule pas ses intestins pour voir s’il a bien digéré ses petits pois. On admire l’acte qui se détache de lui. L’oeuvre et l’expression, c’est la même chose. La part malsaine et obscure qui a amené le gars à faire ça, c’est de la vase et il ne vaut mieux pas patauger là-dedans. Autant faire de la théologie !

Merci beaucoup, et sans doute à bientôt !

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Sébastien Etievant