LA PORNOGRAPHIE N’EST PLUS CE QU’ELLE ÉTAIT

par Jean Streff,    

 

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Un an après Mai 68, qui prônait la libéralisation sexuelle tous azimuts, Bernard Rancillac proposa à la galerie Templon une installation comportant une série d’images mélangeant peinture et photographie réalisées par l’artiste et censées représenter une graduation dans la pornographie. Il distribuait un questionnaire aux visiteurs. Ceux-ci devaient noter à partir de quelle image était franchie la frontière entre art, érotisme et pornographie. On s’en doute, cette frontière fut différente pour chacun. Car le problème avec la pornographie est bien là, c’est qu’elle est parfaitement subjective.

En fait la pornographie en soi-même n’existe pas, elle dépend d’une époque, d’un pays, d’une société, d’une culture, d’une religion et d’un individu. En ce sens la seule chose qui soit véritablement pornographique, c’est ce qui la régit : à savoir la censure, puisqu’elle décide au nom de critères extrêmement fluctuants de ce qui l’est ou ne l’est pas.

Ainsi le premier film « pornographique » que j’ai personnellement eu la jouissance de voir au tout début des sixties s’intitulait Un été avec Monika. Il était interdit au moins de 16 ans, la plus infamante des interdictions de l’époque, et se jouait dans une salle spécialisée des Grands Boulevards à Paris. Ce qui, à mes yeux d’adolescent, le classait sans ambages dans la catégorie des films à caractère pornographique (il faut reconnaître qu’on y apercevait un bout de sein). Je rappelle que Un été avec Monika est un film signé Ingmar Bergman. Dans le même ordre d’idée L’âge d’or de Luis Bunuel fut totalement interdit en 1930 par le préfet de Paris pour violence, pornographie et anticléricalisme.

Qui songerait de nos jours à qualifier Bergman ou Bunuel de cinéastes pornographiques ? Et pourtant la loi et ses représentants en ont à un moment décidé ainsi. Mais, comme à force de légiférer et délégiférer, la censure est devenue une vieille dame gâteuse, elle brandit généralement cses ciseaux lorsqu’elle se sent dépassée par les événements, soit de la manière la plus idiote puisque ces événements sont en fait le reflet de l’époque. Prenons, pour en rester au cinéma, l’exemple des années 75 et 76. Le 25 juin 1975, Claudine Beccarie devient la première porno-star avec Exhibition de Jean-François Davy. Du 6 au 12 août se déroule à Paris le premier Festival du film porno, qui couronne Frédéric Lansac et Francis Leroi pour Le sexe qui parle. Cette même semaine le porno crève un plafond historique avec 65 salles d’exclusivité Paris/périphérie. Septembre de la même année : le très sérieux magazine L’Express fait sa couverture sur le très mauvais Histoire d’O de Just Jaeckin. Rappelons pour mémoire qu’Emmanuelle, sortie l’année précédente, avait fait la carrière triomphale que l’on sait. Dès lors, Anastasie s’affole. Le 31 octobre 75, elle fait voter la loi qui institue le classement X, remplaçant l’ordre moral par la castration économique. Des 3000 salles projetant du porno en France en 75 n’en restent en 1976 que 111, qui disparaîtront peu à peu.

Mais, je le répète, comme la censure a toujours été atteinte de la maladie d’Alzeimer, elle n’avait évidemment pas anticipé l’avènement de la vidéo. Plus de porno dans les salles, pas de problème, chacun l’aura à portée de commande à distance sur son magnétoscope, puis plus tard sur Canal +, les chaînes du câble et du satellite et encore plus tard en DVD ou sur le Net. Il semblerait d’ailleurs depuis quelque temps qu’à nouveau la duègne édentée veuille se rouvrir l’appétit, puisqu’à travers Dominique Baudis et autre Blandine (lâchez les lions !) Kriegel, elle fasse feu de tous bois.

Pour en revenir aux effets pervers de la loi X, de très nombreux films « licencieux » à gros budget qui voulaient s’engouffrer dans la brèche ouverte par Emmanuelle seront remisés au placard. Je parle en connaissance de cause, puisque j’étais à cette époque en train d’adapter Béacul, fort beau roman érotique édité par Régine Deforges, qui, excusez du peu, devait être produit par Pierre Braunberger, (producteur entre autres de Renoir et Godard) et interprété par Laurent Terzieff. Dire que personne ne saura jamais que j’aurais pu être le Bataille du cinéma ! à propos de Georges Bataille, je crois me souvenir qu’en ces mêmes années, Fassbinder planchait sur Le Bleu du ciel, projet qui connaîtra pour les mêmes raisons un sort identique.

Un autre problème du cinéma porno est que, si la censure a la vue basse, lui-même ne pète pas très haut. Je me souviens, lors d’une récente émission de Titi-pomme-Q-Ardisson sur Paris-Première consacrée au sujet, avoir été regardé comme un détraqué sexuel par HPG et Ovidie, célèbres hardeur et hardeuse de notre temps, parce que j’avais osé insinuer que le gant ôté langoureusement par Rita Hayworth dans une scène culte de Gilda entraînait chez moi une érection bien plus intense que n’importe quelle bite s’enfonçant en gros plan dans une chatte.

La pornographie à l’écran a cela de profondément ennuyeux, elle reste, à quelques exceptions près, spécifiquement anatomique. Or l’anatomie, tous les étudiants en Médecine (dont je fus) vous le confirmeront est la discipline la plus rébarbative qui soit. Finalement ce qu’il y a d’intéressant dans la pornographie, ce sont ses déviances : fétichisme, sadomasochisme, gang-bangs, zoophilie, hard-crad, etc. Au moins le spectateur peut s’y éduquer, apprendre des choses auxquelles il n’aurait pas pensé de son propre fait, imaginer, fantasmer, rêver et même, avec l’invasion des bandes amateurs, s’identifier aux fantasmes des autres. En ce sens la pornographie fait don d’enseignement, elle devrait dépendre des ministères de l’Éducation Nationale et de la Culture et avoir chaire en Sorbonne. Je plaisante, mais pas tout à fait. Car, comme le fait fort judicieusement remarqué Marcela Iacub, juriste, chercheuse au CNRS et récente auteur du, aussi désopilant que malin, Qu’avez vous fait de la libération sexuelle ?, nous n’avons jamais réussi à dédramatiser la sexualité. Pour y parvenir, il faudrait pouvoir l’intégrer dans la vie comme un objet de culture, comme une activité humaine sur laquelle on peut réfléchir, discuter, et que l’on peut représenter ». En gros l’idée que mettre papa dans maman n’est pas forcément le summum de l’érotisme. Même si c’est juste pour le fun.

Ceux qui sont contre la pornographie l’associent fréquemment à la violence. Ceux qui sont pour l’en dissocient avec tout autant de virulence. En fait si la pornographie suscite périodiquement des prises de positions radicales, voire des querelles aussi hystériques que vaines, c’est parce qu’elle touche à quelque chose de plus fondamental que le sexe : la reproduction même de l’espèce. Exactement comme la violence renvoie à la mort. Naissance et mort, les deux extrémités de la vie dont l’homme, et pas seulement l’homme religieux, n’a pas encore dénoué tous les mystères. Et, comme chacun le sait, l’homme en général, et celui de pouvoir plus particulièrement, n’aime pas trop que l’on vienne jouer dans des jardins qu’il n’a pas encore totalement défrichés, que l’on s’aventure dans des zones qu’il ne maîtrise pas complètement. Dès lors l’homme de pouvoir, tous les hommes de tous les pouvoirs sortent leurs ciseaux et sont prêts à vous crever les yeux.

Il a suffi jusqu’à nos jours de les baisser un certain temps et d’attendre que leur crise d’acné sénile passe pour pouvoir les relever. Espérons que cela continue.

Pour finir sur une note amusante, rappelons que Rose bonbon, édité chez Gallimard, a failli il y a quelques semaines être interdit au moins de 18 ans par notre cher Nicolas, pas celui des vins l’autre de l’Intérieur, pour encouragement à la pédophilie. Question pertinente : sachant que la pédophilie s’exerce entre une personne mineure et une personne majeure, ne serait-il pas plus judicieux d’interdire ce livre au plus de 18 ans. Je laisse cette pernicieuse interrogation à votre saine réflexion.

Ce texte est dédié à José Bénazéraf (le « Racine du porno » selon la revue Positif) qui me fit faire mes premiers pas dans le cinéma, à tous mes potes du Midi-Minuit (cinéma mythique du boulevard Poissonnière qui alternait films de cul et films fantastiques) : Jacques Zimmer, Michel Caen, Jean-Pierre Bouyxou, Gérard Lenne, Jean-Claude Romer... et à Francis Leroi, mon ami pornocrate récemment disparu.

 


Jean Streff

Jean Streff est écrivain et cinéaste. Il connaît bien les problèmes de censure puisque son premier livre Le Masochisme au cinéma, publié en 1978 eut droit à sa sortie aux trois interdictions : mineurs, affichage, publicité. Il fallut attendre 1981 et Jack Lang pour voir celles-ci sauter. Dernier livre paru : Les Extravagances du désir, Éditions La Musardine, 2002.

 




 

 

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