- Hermaphrodite : Bonjour Gregory, tu fais partie de cette génération d’auteurs trentenaires surdoués et énervés que la France observe actuellement se réveiller sans bien comprendre ce qui se passe. Tu publies en janvier 2004, le journal TANT PIS POUR VOUS ! Brûlots générationnels, fatwas dada, presse Hara-Kiri, presse branch’ouille, quotidien poujadiste & fanzinos undaground, imbéciles de paris & jeune & jolie, etc. Les kiosques à journaux ne comptent plus les titres qui achalandent leurs étalages. En quoi TANT PIS POUR VOUS va faire la différence ?

- Tant pis pour vous : Bonjour. Énervé. Pas assez. Surdoué ? Dieu t’entende ! Et pas super convaincu que la France (médiatique, du moins) nous observe les uns et les autres. Plus que jamais, comme dirait le vieux Charles (Maurras), on dirait qu’il y a deux pays : celui du Spectacle (légal) et celui (réel) de la vie, du travail - au sens salarial, de rapports de classes, etc, ouais, je sais, c’est démodé, et moins sympa que le libertaro-gauchisme régnant et, soi-disant, alternatif -, des rapports humains élémentaires, sexuels - élémentaires eux aussi. C’est pas parce que les Ardisson et consorts se branlent sur l’échangisme que ça concerne tout le monde. Doit-on rappeler que pour une majorité de mâles, dont je suis, la première question d’ordre sexuel est : où est celle qui dira oui très vite ? Et non pas, nécessairement, de savoir si on aimerait goûter au plaisir transgressif de se faire enculer, ou de regarder sa copine en sucer un autre. Alors voilà, on nous a dit, on nous a fait comprendre, on nous a incité à admettre que les « 30 ans » existent en soi (couverture du Nouvel Obs, il y a peu). Je suppose comme une catégorie sociale homogène ou presque. S’ils existent, tels qu’on les définit - en gros, pour faire simple, façon « Tanguy » le film (mauvais) de Chatiliez, ou intermittents du spectacle, etc. bref, des attardés ados -, il n’en demeure pas moins vrai qu’existent également, et pas moins nombreux, des trentenaires déjà maqués, avec gosses, crédit sur la baraque, la bagnole, etc. Donc, trentenaire, c’est plus un marché à remplir, une supposée demande à satisfaire (après l’avoir inventée).

- H. : Ont-ils les mêmes préoccupations ? Et, surtout, un seul et même canard peut-il se prétendre réceptacle de toutes ces préoccupations ?

- T.P.P.V. :Marketinguement parlant, il serait sans doute malin de notre part de répondre que, en gros, oui, et que ce sera TANT PIS POUR VOUS. Je livre même aux lecteurs de cette e-terview notre unique "bonne idée" de marketing : interdire le journal aux moins de 30 ans. Mais ce n’est qu’une misérable astuce (ce qui ne nous empêchera pas de la claironner partout). La preuve : plusieurs des personnes qui vont écrire dedans ont moins de 30 ans ! ! !

- H. : En quoi, dès lors, TANT PIS POUR VOUS va-t-il se singulariser ?

- T.P.P.V. :Prenons un exemple : je propose à tes lecteurs un petit exercice de sociologie appliquée et simple : l’étude des patronymes des journalistes de la presse : des Charlotte, des Hubert, des Clara, etc. Pas d’Ousmane, de Rachid ou de Chérifa. Charlotte adore parler de Chérifa, la défendre, mais ne la fréquente pas, y compris sur son lieu de travail. Charlotte ne connaît pas de Chérifa. De là, à mon sens, découle une partie des malentendus. Moi qui connais une Chérifa, et d’une je ne parle pas à sa place, je ne parle pas d’elle, je ne parle pas de ses problèmes. De deux, j’accepte l’idée que Chérifa ait envie de parler d’autres choses que des problèmes que Charlotte suppose être les siens (voile, laïcité, sexualité entravée.et, plus rarement, discrimination à l’embauche et au logement). Dans TANT PIS POUR VOUS, il y a des Cherifa, et elles parleront de ce qui leur plaît. Ce qui devrait nous permettre de comprendre que :
1) Chérifa est une Française (pas ou plus, une immigrée)
2) La presse française est techniquement, statistiquement, pratiquement, « raciste »
3) La presse française est, par nature, fausse, sans rapport avec la réalité dont elle prétend parler. Donc, après observation, on s’aperçoit que ce qu’elle dit ne renseigne que sur elle-même, ses présupposés, etc (voir la place insensée qu’occupe dorénavant dans tout canard "intelligent" les questionnements sur.la presse !)
4) La presse française impose des sujets de débat (qui saurait nous apporter la preuve, par exemple, que tous les "Beurs" sont pro-palestiniens ? ou obsédés par la question du voile.comme, de toute façon, ils n’écrivent pas dans la presse, et ne sont jamais conviés au débat).
Oui, j’entends déjà les finauds parler de quotas, etc. Il ne s’agit bien entendu pas de ça. TANT PIS POUR VOUS sera sociologiquement plus juste, plus équitable, que le reste de la presse. Mais pas par décret. Par nature. Pas de journalistes de formation ou presque, et pas non plus de journalistes par legs parental (majorité de fils d’ouvriers). Donc, pas de "consanguinité". Ni dans les préoccupations, ni dans le mode de vie, ni dans l’écriture (choix délibéré de la subjectivité, contre la super sujette à caution objectivité), parce que pas de consanguinité dans les fréquentations.

- H. : Quel en sera le contenu ?

- T.P.P.V. : Un grand texte (la une), polémique. 4 ou 5 grands entretiens, avec des freaks, des artisans-artistes (un décorateur de cinéma déjà encabané pour cause de faux Magritte), des fanatiques tarés (genre qui tiennent un site consacré à tous les imports du groupe légendaire Thin Lizzy), des personnages douteux (sulfureux, controversés, etc). des gens qui sur leur nom ne feraient pas vendre. Et, surtout, des personnages qui n’ont pas besoin de faire l’actualité pour être questionnés. Mais qui existent. Dans le monde réel. Pas d’interview promo (donc pas d’acteurs, de chanteurs, de politicards, etc).Des dessins. De l’espace (les rares chroniques "culturelles" auront droit à une colonne, pas à dix lignes ou à trois étoiles). Des inconnus tenant rubrique comme des stars ("Patrice aime les gens", dont les lecteurs de GET BUSY se souviennent). Des rédacteurs capables de lire ET Le Parisien (seul organe actuel à tenir compte des préoccupations populaires) ET Technikart (même si c’est pour rire). Une base géographique parisienne.mais des correspondants de province (pays réel). Donc, des nouvelles de Grenoble, par exemple, des concerts qui s’y tiennent, des films qu’on y projette, etc.portraits de potentats locaux (presse, politique, affaires). Des expériences de Pierre Carles, nous avons aussi retenu ça : il existe dans le pays un certain nombre de gens qui, peut-être, en ont un peu ras le cul que Canal, Les Inrocks, etc, depuis Paris, leur disent ce qu’il faut aimer, penser.c’était d’ailleurs un des slogans originels : TANT PIS POUR VOUS va vous dire ce qu’il pense de ceci ou de cela, mais pas ce qu’il faut en penser.
Inutile de préciser que TANT PIS POUR VOUS, malgré un nombre important d’inconnus dans son équipe (même s’il y aura aussi Charlie Bauer, Melvin Van Peebles, Jérôme Reijasse, Vuillemin, Mezzo.) et parmi ses interviewés, ne sera pas résumable à la pathétique opération de "peoplisation" du connard moyen, façon Anne Magnien, avec son mensuel "TOUS", dont, d’ores et déjà, on ne peut qu’annoncer, en la souhaitant, la mort prochaine.
Je ne saurais pas te dire si TANT PIS POUR VOUS va changer quelque chose. Je sais qu’en n’étant pas constitué exclusivement de petits bourges, et pas non plus exclusivement de néo-parisiens (le parisianisme, je le rappelle, est un sport pratiqué par les ex-provinciaux convertis, donc zélés, et méprisants.le parisien ou le banlieusard, ne la connaissant pas, ou mal, ne méprisent pas la province), presque par définition TANT PIS POUR VOUS sera différent.

- H. : Pour finir, quelles sont vos références en la matière ?

- T.P.P.V. : Toutes finiraient par devenir trop lourdes à porter (Hara-Kiri fut trop sérieux pour être galvaudé par une bande de joyeux connards crapulo-populeux dans notre genre) ; ou ont trop mal fini (le Libé qui publiait les lettres de Mesrine, avant de devenir l’organe officiel du grand parti de droite qu’est le PS, l’Actuel qui finit de se faire dessus dans le torche-cul Nova-Mag de l’incontinent Bizot.)

Ecouter l’entretien dans son intégralité en version audio (45 minutes)

TANT PIS POUR VOUS : le 19 mars dans les kiosques
Soirée de lancement et soutien : le mercredi 17 mars, dans un rade de la rue de Lappe