« Une aventure parfois chiante, parfois non, du Warrior de l’Impossible »
(extrait 1)


par Olivier Pisella,    

 

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Simon Sauerkrautenberg était du genre « intellectuel juif new-yorkais ». Tout au moins dans ses aspirations. La réalité, elle, ne le couvrait pas de ce manteau charismatique qui revêt les véritables intellectuels juifs new-yorkais de New York. Il vivait à Saint-Galmier et travaillait à Saint-Etienne. Son aura, il ne l’exerçait guère que sur de stupides employés d’un journal de merde hebdomadaire dont il était le rédacteur en chef. Le principe du journal était simple  : parler hebdomadairement de l’actualité de Saint-Étienne. Il avait pour nom Saint-Etienne l’Hebdo. Ivre de femmes et de lait, il avait concilié ses deux passions en tétant régulièrement une bufflonne. Cette idée lui était venue lors d’un reportage sur « Agropolis Museum », un musée consacré à l’agronomie, situé à Montpellier. Ses sbires lui avaient pourtant bien fait remarquer qu’il n’y avait pas « d’actu » dans ce sujet, et qu’en plus ça ne concernait pas Saint-Étienne. « Je m’en contre-branle » avait alors rétorqué Simon. Car il savait, plutôt il pressentait, que là se trouvait la voie de la rédemption, et c’était précisément la rédemption que Simon venait chercher à l’« Agropolis Museum » de Montpellier.
Au musée, Simon resta pantois devant un tableau comparatif des valeurs nutritionnelles des laits maternels dans le règne animal. Un diagramme bâton, autrement appelé histogramme, avait été astucieusement imaginé pour représenter de manière visuelle les valeurs comparées. « Un bon schéma vaut mieux qu’un papier de 1500 signes  ! » pensa-t-il, lui qui avait pour habitude de faire décrire à son équipe de journalistes les photographies qu’ils auraient publiées si la santé financière du journal l’avait permise. Le lait de la femelle de l’homme, ou « femme homme », mais usuellement appelée « femme », était tout simplement ridicule en terme de vertus nutritives face à celui de la femelle du buffle, ou « femme buffle », mais préférez « bufflonne ». Un étrange monsieur se tenait à ses côtés et restait, lui aussi, en arrêt devant ce diagramme. Son physique était en tout point comparable à celui d’un lanceur de troncs. Son esprit était taillé dans le plus noble des bons sens populaires qui soient. Toute sa prime jeunesse, il l’avait passée dans un pensionnat pour vieux dans le Vercors (mais ça, Simon ne le savait pas encore. Il ne l’apprendra d’ailleurs pas par la suite. Vous verrez, ce détail n’aura pas son importance plus tard.).
« Ce graphique est clair : mieux vaut téter une bufflonne que sa mère », déclara-t-il sobrement. Simon, admiratif, répondit  : « Mais oui, c’est vrai ». Il rentra précipitamment dans le Forez et se mit en quête d’une bufflonne laitière qui lui permettrait d’assouvir en une seule activité ses deux passions  : le lait et les femmes. Dans les pages jaunes, Simon chercha « bufflonne ». Rien n’y fit. Le Forez était mal pourvu en bufflonne, nom de non. Il fit le tour des zoos de la région mais ne trouva jamais l’objet de sa quête qu’il avait nommée « The Quest for the Holy Bufflonne ». Son désespoir était grand. Il ne pouvait tout de même pas s’installer à Toulouse et vivre ainsi à proximité du zoo de Sijean pour une raison que sa femme prendrait inévitablement pour un caprice. Il aurait été en outre contraint de faire d’incessants allers-retours entre Saint-Étienne et Toulouse pour continuer l’exercice de sa profession, et Simon pensa que ce n’était pas pratique. Il se dit aussi que se rapprocher comme ça des Catalans, ce n’était pas forcément une bonne idée.
Durant un an, sa vie ne fut plus qu’une longue procession et il se força même à aller au bowling de Saint-Étienne, sport qu’il trouvait moins drôle en vrai que dans The Big Lebowsky. Faut dire que tout seul on se fait vite chier. Son calvaire prit fin quand il apprit l’ouverture d’un standard téléphonique sur Saint-Étienne, un service créé par des amis de la bufflonne et destiné aux amis de la bufflonne (en tant que journaliste, il fut parmi les premiers à en être informé car il reçut une télécopie à ce sujet). L’association s’appelait « Les amis de la bufflonne ». Le 18 février, jour de l’ouverture du standard, Simon appela « SOS bufflonne ».
- SOS bufflonne j’écoute  ? - Oui, bonjour, je suis intéressé par les bufflonnes et j’en voudrais une à moi. - Bien sûr, on vous l’envoie en Collissimo suivi.
Dès lors, la vie de Simon cessa d’être un chemin de croix. À la rédaction, il n’avait cesse de répéter  : « dans ma vie, il y a deux mamelles  : le lait et la bufflonne ». Ses collègues journalistes voyaient bien le radical changement d’humeur de leur chef, joie qui par imprégnation les gagna à leur tour, et le journal gagna en productivité.
Cependant, la crise de la quarantaine aidant, le moral de Simon s’amenuisait peu à peu. Il ne répondait plus au téléphone. Sa femme l’ennuyait un peu. Contrairement à lui, elle se satisfaisait pleinement d’avoir l’activité cérébrale d’une moule. Il s’astreignit cependant à la garder parce qu’après tout elle ne le dérangeait pas, et qu’il avait même de l’affection pour elle. C’est attachant une moule. Ses enfants, quant à eux, avaient pris leur envol, et se destinaient à de jolies carrières dans les classes moyennes.
Simon ne se rendait compte par ailleurs que trop violemment de la vacuité de son journal. Il voulait écrire des pamphlets ou de la poésie. Quand il ouvrait les yeux sur sa vie, il ne pouvait que constater l’effroyable décalage entre ses rêves de jeune loupiot et le vide cruel de son quotidien. Jusqu’à ses 25 ans, il avait été en proie à tout un éventail de chimères artistico-carriéristes  ; au regard de son talent, il avait décidé que leur réification, tôt ou tard, serait une réalité. Lucide, il savait pourtant déjà que la route serait longue et embouteillée, et qu’il devrait impérativement monter à Paris pour se faire des amis à Saint-Germain-des-Prés. Où était-elle la remarquable destinée de l’élu qu’il pensait être  ? Où étaient passés les coups d’éclats qu’il envisageait pour se faire un nom dans les milieux intellectuels  ? Jeune, il estimait encore utile de se préparer à répondre à des interviews perfides en tant que personnage dérangeant, apôtre de l’avant-garde, mais c’était lui qui était devenu l’interviewer perfide (par ailleurs assez fameux en région stéphanoise pour être rentré dans le lard du gérant d’Auchan Villars). Non, décidément ce n’était pas ça. Loin d’être un échec total, sa vie ne correspondait que très peu aux ambitions qu’il s’était fixées.
Même les séances quotidiennes avec sa bufflonne n’avaient plus le même goût. Les mamelles avaient fini par se couvrir de croûtes à force de les aspirer goulûment en raclant avec les dents. Il ne tarda pas à devenir désagréable et sa haine se concentra presque exclusivement sur les stagiaires du journal. Qu’ils étaient cons ces stagiaires avec leur ardeur juvénile  ! Ils méritaient bien de porter cette insigne de gland sur leur veston, afin qu’ils puissent être reconnus de tous. Et tous, trouvant l’idée originale, contribuaient à leur humiliation par des crachats et des croche-pattes dans les escaliers. Souvent, Simon faisait venir une stagiaire dans son bureau pour une fornication prétendument destinée à l’ascension hiérarchique de la jeune candide. Il en vint à réclamer des stagiaires de plus en plus jeunes pour entendre craquer les os du bassin des jeunes filles qu’il rudoyait. À la rédaction, tout le monde était au courant, mais la pratique fut estimée originale par la plupart, qui du reste appréciait aussi les jeux avec les enfants.
Las de contribuer à ce qu’il nommait « l’instrument sournois de propagande et d’aliénation de la sphère politique et financière », Simon voulut écrire des œuvres transcendantes et personnelles. Le divorce de Simon avec le journalisme fut définitif quand un matin il fit circuler dans sa rédaction un papier intitulé Le journalisme est un sous-produit puéril de la littérature  : Contrairement à ce que prétendait cette connasse de Françoise Giroud (je chie sur sa tombe), je décrète que le journalisme est un sous-produit de la littérature. Ce qu’on peut toutefois lui reconnaître, c’est qu’il se donne tous les moyens de son insipidité.
Il n’y a qu’à voir, dans ses fondements mêmes, le journalisme contemporain rejette ce qu’il y a de plus remarquable dans l’écriture  : l’adverbe, qui n’affadit nullement le verbe mais le transcende, et l’adjectif, qui serait un cache-misère lexical, vecteur de la subjectivité du journaliste, alors que les faits parlent d’eux-mêmes et que le lecteur, maître du discernement, se fait une opinion tout seul (c’est accorder beaucoup de crédit aux lecteurs - a fortiori à ceux de Saint-Étienne l’Hebdo). Je réfute, naturellement, ces deux postulats qui brident les velléités esthétiques des journalistes (qui ont tendance, assez logiquement, à rapidement les perdre). Ensuite, le bon journaliste, selon les codes d’écriture de sa profession, devrait éviter, tant que faire se peut, les parenthèses (vous comprendrez volontiers que je n’approuve pas cette démarche (en fait je nourris un véritable amour pour la parenthèse (avec le lait et la femme ça me fait trois passions (je recommande même d’accumuler les parenthèses pour insérer sans aucune retenue des commentaires déplacés (parce qu’en fait je vous emmerde (mais j’ai tout de même une exigence vis-à-vis d’elles c’est que je les respecte en les fermant systématiquement (dès lors qu’elles ont été ouvertes))))))). En revanche, une manie détestable du journalisme consiste à user excessivement de deux signes de ponctuation dont je m’interdis désormais l’usage  : l’abominable point d’exclamation et les tragiques points de suspension. Le premier est sans doute celui qui me répugne le plus. Il fait invariablement vibrer à mes oreilles une pathétique précaution  :
« Attention, il s’agit bel et bien de second degré [on n’imaginait quand même pas que tu allais en faire du troisième], ne prenez surtout pas mes propos pour argent comptant [reste au premier degré alors - et ne fais pas semblant de respecter ton lecteur en lui attribuant une quelconque faculté d’analyse, que de toutes manières tu désamorces aussitôt] »  ; parfois le point d’exclamation signifie simplement « je ne suis pas parvenu à suffisamment dramatiser mon récit, j’ai donc recours à ce palliatif détestable », ou encore « je trouve que ce que j’écris est étonnant et ludique  ; je parsème donc mes textes d’un bataillon de points d’exclamations aptes à vous mettre dans une ambiance punchy, conviviale et sportive, spécialement quand j’en mets deux ou trois à la suite, histoire de montrer à quel point ce que je raconte c’est trop fou ». Quant aux points de suspension, ils sont l’outil ultime de ceux qui veulent laisser penser qu’il y a plus à penser, l’outil dérisoire de ceux qui aspirent à scénariser quand ils n’en ont pas les facultés. En définitive, un outil d’entourloupe affichée
. Parallèlement à cela, une coquetterie affligeante du corps journalistique réside dans la réprobation sans vergogne des poncifs et des expressions toutes faites. Pour le coup, le pet du journaliste se répand plusieurs kilomètres au-dessus de son cul. Pour ma part, j’encourage éperdument leur emploi. C’est tellement sympa d’écrire (et de lire)
« honni soit qui mal y pense », ou « les carottes sont cuites ». Autre infamie, les phrases du journaliste doivent être courtes et exemptes de mots longs ou complexes parce que le lecteur doit pouvoir recueillir l’information comme une obole sans trop se casser le cul. Les phrases longues distillent pourtant tant de poésie ; la véritable beauté de la phrase est atteinte quand le lecteur a oublié son début. Vouloir répondre aux attentes d’un lectorat ne peut être que l’apanage des journalistes médiocres (car le lectorat est composé presque exclusivement de gens profondément méprisables, bêtes et puants (alors conchions-les)). Compte tenu de l’exigence qui consiste à établir une adéquation entre le journalisme et les attentes des lecteurs (pour des raisons essentiellement économiques), le journaliste est amené à aborder des sujets ineptes et à les traiter en conséquence - y compris dans la structure de son article  : commencer systématiquement par l’information essentielle en n’utilisant que le présent me fait horriblement chier ; j’ai envie, moi, de lire des subjonctifs imparfaits dans des papiers qui se permettent de longues digressions verbales avant d’entrer dans le vif du sujet.
Par ailleurs, j’estime que les journaux, de façon générale, ne parlent pas suffisamment de football. Même le quotidien sportif
L’Équipe ose consacrer des pages à des sports aussi exécrables que la natation, ou pire le rugby. Le constat que je dresse est navrant, à tous points de vue le football est mal couvert par la presse française  : pas assez d’analystes éclairés, trop peu de ragots.
La gangrène du journalisme, c’est aussi cette volonté de rigueur de l’information, de vérification des sources, de recoupement des faits, de neutralité dans les propos. Je prône, je clame (et ce sera une rengaine personnelle jusqu’à la fin de ma vie - et non pas un combat, bien que j’en viendrais volontiers à l’arquebuse pour défendre cette idée), la gloire de l’arbitraire. Je refuse toute forme de contradiction à mes prises de position, sinon pour citer l’avis divergent et le tourner en dérision. Je revendique toutes formes d’injures et de diffamations (écueils principaux de la profession), j’envisage même de fonder
Calomnie magazine, un périodique basé sur des informations bidonnées et outrageantes. J’imagine aisément que, fins confrères que vous êtes, vous avez relevé une contradiction dans mes propos. J’aimerais en effet lire des informations dont le niveau dépasse celui de la prostate, qui atteigne un certain degré de complexité, qui procure une satisfaction intellectuelle (en somme, un journalisme qui ne répondrait pas aux attentes du public et des différentes sphères d’influences, mais qui aurait un rôle pédagogique et non de célébration de la vacuité, du normativisme et du superfétatoire), mais je cautionne aussi, paradoxalement, une mauvaise pratique du journalisme, partiale, arbitraire, et bourrée d’inexactitudes. Vous voyez comment je suis bon, je vous facilite la compréhension de mon traité en vous faisant passer pour des personnes critiques, c’est là un talent qui n’est pas des moindres (dans mon journalisme du futur, il y aura énormément d’autosatisfaction). J’assume et je revendique cette contradiction parce que je vous emmerde. Pour toutes ces bonnes raisons et pour d’autres auxquelles je n’ai pas pensé, je me radie de l’ordre des journalistes.

Simon Sauerkrautenberg

Les confrères de Simon trouvèrent la circulaire originale, mais ce dernier n’était plus là quand ils voulurent le féliciter.

Ce texte est extrait du roman « Une aventure parfois chiante, parfois non, du Warrior de l’Impossible ».

 



Olivier Pisella

Olivier Pisella se définit avant tout comme un passionné de culture allemande, bien qu’il n’en connaisse rien de rien. Désireux de promouvoir ses passions personnelles (la vulgarité et les formules ampoulées, la franc-maçonnerie et l’amour), il fonde en 2001 la charronsociety, organisme non reconnu d’utilité publique. Il est par ailleurs convaincu depuis 1982 que les parpaings sont à l’origine du Monde.
Une nouvelle outrancière et très sensible consacrée à son frein est accessible sur le site revuebordel.com n°8, son titre est « Bas morceau ».
Son premier roman s’intitule « Une aventure parfois chiante, parfois non, du Warrior de l’Impossible » - œuvre à l’orthographe irréprochable préfacée par Blair.

 




 

 

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