La Cavale

par Sandrine Rotil-Tiefenbach,    

 

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Cela faisait un moment que tu ne répondais plus, ni par mail, ni par téléphone. Tu avais refusé que l’on parle de l’agression verbale dont tu as été la victime par un policier, cet avant-dernier samedi 14 août, Quai de l’Horloge dans le quatrième arrondissement, dans le cadre de ton pointage obligatoire sous contrôle judiciaire.

D’aucuns diront que l’homme a signé là sa vraie nature, sa culpabilité, son crime. Ils n’attendront pas de savoir le fin mot de l’histoire, plus justement le gros mot de l’histoire pour une Histoire sans fin. Le criminel avéré, sans doute, fuit par routine. L’acculé, par désespoir. Et que t’ont-ils fait ? Qui sait ton endurance et ton cauchemar ? Combien de vies brisées pour un retournement de veste étatique ?

Penser qu’à quelques jours près, en février dernier, tu devais être naturalisé Français, pour te retrouver, pas moins de six mois plus tard, contraint de renouer avec de vieilles sentes cavalières que tu avais pourtant reniées à perpétuité.

On ne t’a pas laissé le choix. La bête que l’on mène à l’abattoir geint, pleure, cherche de toutes ses pauvres forces à se dérober. Comme on ne peut mentir à une bête, pas plus qu’elle ne saurait mentir elle-même, qu’exprimer de l’homme et de son langage ? Toi, tu avais promis, et sans faillir.

Serment échangé jadis en totale connaissance de cause de ton passé déchiré d’activiste armé. Asile ! Asile ! n’était pas, ici, un vain mot. Il a fait de toi un père de deux enfants, un travailleur, une liberté à ciel découvert.

Rejugez-moi ! t’étais-tu écrié. Tout sera dit, mis à plat. Que l’on me laisse regarder la Justice droit dans les yeux, au lieu qu’elle détourne les siens des miens avant de m’enfermer pour toujours.

Lettre morte.

Je t’espère loin même si tu me manqueras, je t’espère disparu pour cause de déménagement vers un pays étranger où l’on ne se moque pas de la tête des vivants. D’inquiète, je serais soulagée, si je pouvais en être sûre, soulagée de savoir que le prix à payer pour, peut-être, ne plus jamais te revoir est celui de ton intégrité, d’un choix que tu n’avais plus mais qui surpasse néanmoins ce qui se permettait, au Nom de la Loi, de nous dépasser tous, prétendre découper nos vies en tranches comme entre fromage et cigare, liège décollé de son goulot, la lèvre béate, grassement digestive...

Salut à toi.

Salut à tous tes compagnons encore en attente d’un sort au sein de nos pénates.

Nous continuerons à nous battre.

J’espère que tu vas bien.

Je t’embrasse.


 



Sandrine Rotil-Tiefenbach

Sandrine Rotil-Tiefenbach est romancière et poète. Deux romans, Sarah K. 477 (éditions Que, 2003), J’air (éditions Michalon, 2004) et un recueil de poésie, Dernière fin du monde avant le matin, orné d’aquarelles de l’auteur (éditions Mélis, 2005). La suite, genres confondus, est en préparation...
http://www.sandrine-rotil-tiefenbach.com/

 




 

 

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