LA LITTERATURE ET LA LOI
JOUR 29 - BABEL HEUREUSE
LA CREATION - "Matérialité et Confusion"


par Valérian Lallement,    

 

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JOUR 12 - "ô poésie, protohistoire du corps" - Section 1
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JOUR 9 - La langue du compromis
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JOUR 7 - Cette fois, introduire : contexte
JOUR 6 - Cette fois, Introduire : situer
JOUR 5 - "Le secret de la loi"
JOUR 4 - "Réintroduction"
JOUR 3 - "Miettes 1"
JOUR 2 - "Bureau du recoupement"
JOUR 1 - "Introduire"


 

UNE ŒUVRE QUI S’ECRIRAIT comme une monumentale digression sur les conditions de sa propre possibilité, qu’elle ne pourrait jamais clôturer qu’au risque de se perdre, et qui consisterait en même temps dans la représentation d’un monde (la fiction) qui ne pourrait subsister que tant que la langue elle-même se produirait, et avec elle ces conditions, à travers un cycle infini de reprises et d’arrêts de la narration, une telle œuvre, on le voit, produit dans le temps qu’elle s’écrit à la fois la chance de son origine et le risque de sa fin : « Toujours rapporter la phrase au geste de la première inscription, à la trace du vent sur le sable. On ne moule pas impunément une pensée moderne, « scientifique », dans un style anachronique, une rhétorique basée sur le souffle chrétien » . Le risque, c’est que la punition à partir de laquelle l’œuvre s’écrit - l’état donné de la langue - contamine toute la langue, ce qui signifie aussi sa disparition dans la confusion absolue. Risque assumé positivement par la mise en œuvre du mélange à travers ses différentes formes, et par les procédés dilatoires de la digression qui ont pour objet de retarder l’échéance de la représentation, et donc sa clôture. D’un autre côté, dans la mesure où la langue ne se reconnaît pas (encore) coupable, sa chance consiste dans un retour à une certaine matérialité - sa transparence perdue, son immédiateté, la langue devenue geste. Le risque et la chance de la langue figurent les deux termes inconciliables à partir desquels l’œuvre s’articule autour de la loi - comme son origine indépassable (« le souffle chrétien »), mais à dépasser (« pensée moderne »). C’est aussi le tremblement qui saisit la langue devant l’impératif de la langue nouvelle : ce qui ne peut se dire doit se dire - flottement paradoxal d’un dire qui, devant l’impératif de la nomination (prononcer le Nom, etc.), refuse pourtant le détour métaphorique qui semble autoriser ce dire. Qui semble l’autoriser : mais qui n’est pas le Nom, qui en est la formulation symptomatique, donc coupable - qui ne transforme pas l’idée en geste, mais le geste en idée.

On a vu que la fonction métanarrative de la langue avait pour objet d’intégrer ces termes au lieu même de la narration - d’un côté : finitude d’une narration qui ne se clôture qu’à se reprendre et à s’ouvrir infiniment ; de l’autre : infinitude de la digression et tentation du mélange absolu. Mouvements ambivalents, et incertains, qui forment aussi les deux tendances contradictoires d’une matérialité de la langue qui va jouer au lieu même de la métaphore : précision scientifique du mot contre son contenu métaphorique ; mélange au lieu de séparation ; périphrase et néologisme au lieu de métaphore. La question de la matérialité se pose alors en ces termes : comment rendre compte, le plus précisément et le plus scientifiquement possible de ce qui ne se dit, dans la métaphore, qu’à la faveur de la séparation et du détour en lesquels elle consiste ? Question qui prendra donc dans l’œuvre deux formes contradictoires et simultanées : la langue n’atteindra à la précision que par le détour du mélange et de la confusion. La métaphore consiste bien à séparer pour réunir, à délier la chose du mot pour les relier en retour sous l’apparence d’une plénitude, et, à la faveur du détour qu’elle forme, par un autre mot, par un autre sens, à renvoyer infiniment à un autre terme qui dérobe par là même l’échéance du dire - l’échéance du Nom. Et c’est dans le mouvement de ce détour que la contradiction de la matérialité de la langue se résorbe. Le détour qu’emprunte la périphrase, au lieu de la métaphore, sous l’apparence du mélange, c’est-à-dire aussi de l’exhaustivité, a pour objet d’épuiser tous les possibles, tous les sens. Il ne les résorbe pas sous l’apparence d’une équivalence, mais tisse autour du mot et de la chose des réseaux de sens, d’équivalences, de possibles. Au lieu de séparer, de choisir, de limiter, il intègre - c’est le mélange de tous ces possibles qui donne sens et matérialité à la langue. En ce sens, le néologisme ne survient pas seulement comme un mot palliatif destiné à remplir un manque - le manque laissé par l’abolition du contenu métaphorique - mais il vient comme conclusion, et comme récompense, d’une série de détours que la périphrase emprunte. Et ce n’est donc plus le mot réputé exact qui va produire la précision de la langue, mais les réseaux de sens qui se forment et se déforment - qui se mélangent, qui se confondent -, les détours périphrastiques empruntés et qui vont finalement s’achever, mais aussi, et simultanément s’ouvrir dans le néologisme : « [...] je préfère juxtaposer des épithètes, des attributs, voire des substantifs de base comme les peintres juxtaposent des couleurs pures, pour ne pas enfermer la chose en description dans le mot réputé exact, la laisser respirer [...] ; si j’utilisais le mot réputé exact, je n’aurais pas la totalité du sens que me donnent ces séries [...] » (Ex, 34). Ces deux tendances, confusion et précision, s’intègrent donc à la fois grâce au recours à la périphrase et au néologisme - mouvement du particulier métaphorique vers l’exhaustivité - et grâce au recours à un lexique qui se veut neutre, c’est-à-dire qui comporte un contenu métaphorique faible - mouvement du général vers le particulier, vocabulaire scientifique, médical, publicitaire, etc. : « [...] au niveau du sens, une trop grande masse de formules lexicales et syntaxiques participe encore d’un niveau scientifique périmé, - perpétuées jusqu’à nous par les nécessités de la valorisation idéaliste : comment expliquer qu’aujourd’hui encore, quatre siècle après Copernic, on utilise officiellement des termes aussi inexacts et anthropocentristes que « coucher de soleil », « lever de soleil », etc. ? C’est pourquoi la totalité des faits de ce texte est provoquée matériellement - en deçà du niveau psychologique - et explicable, me semble-t-il, par les sciences ethnographique, géographique, biologique, économique et même linguistique (par exemple les symptômes tuberculeux du nomade et les phrases-paroles construites sur le modèle tamacheck) » (LI, 28). Et la nécessité du maintien de l’exercice simultané de deux mouvements contradictoires peut se comprendre, comme dans le cas de la métanarration - qui est maintient et dépassement de la narration : achèvement et inachèvement - à cause du risque de disparition totale de la langue dans le mélange absolu. Le contenu scientifique de la langue, et bien que, déjà, la neutralité de celui-ci travaille à empêcher le jeu de la métaphore, figure un indépassable de la loi, et s’inscrit en contrepoint de l’illimité de l’exercice périphrastique.

 



Valérian Lallement

Né le 12 juillet 1972 à la Maternité Pinard, à Nancy, il est prédestiné. Professeur en désinhibition cataclysmique, alcoolique sur le retour, polytoxicomane militant, pervers oligomorphe et raisonné, surfeur débutant, Valérian Lallement est aussi l’auteur d’une thèse de Littérature Française sur Pierre Guyotat, la littérature, et la loi. Rédacteur en chef du numéro 8 de la revue Hermaphrodite, con-sacré à la Porno(graphie). Co-fondateur des éditions du même nom. S’est fait appeler, un temps, Valérian le Triomphant. Se méfie des rebelles comme des collabos, des militants comme des prosélytes : ne rien accepter, n’est pas tout refuser : le Triomphant sait bien cela.

 




 

 

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