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Accueil Webzine Poésie Le dimanche 6 novembre 2005 |
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Le poète et l’égout par Jacques Vallet,
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"Vous me demandez, abrutis : Quelques mois après avoir écrit ce poème, Elias Petropoulos déposa au Consulat de Grèce à Paris un testament scellé, où il réaffirmait cette volonté dernière : être brûlé, puis jeté dans les égouts. "Tout ce qui est contre l’Eglise Bien sûr, Elias Petropoulos était avant tout un tendre, un délicat, un amoureux fou de la vie. Il était amoureux fou des mots. Amoureux fou de sa femme. "Un voyou vient de mourir sur la place publique Les gens vont et viennent, discutent. Puis quelqu’un sert le traditionnel repas des morts, le kolyva, mélange de blé bouilli et d’aromates qui accompagne les cérémonies funéraires depuis le smystères d’Eleusis. Au centre, Mary Koukoulès, aidée par son fils Phedon, sort l’urne de verre de sa boite noire. Comme une urne, elle a voulu un objet familier, un vieux vase à bonbons ramené autrefois de Grèce. Elle défait le ruban noir qui retient le couvercle, puis s’avance vers la bouche d’égout. D’un geste décidé, elle verse les cendres dans l’égout. Puis, alors que personne ne s’y attend, lance violemment contre la grille de fer le vase de verre qui éclate dans un fracas inouï, puis reprend les morceaux trop gros et les jette à nouveau. Tout le monde retient son souffle. Mary Koukoulès commence à faire le ménage sur la grille, pieusement, délicatement, elle balaie de la main les cendres restées sur la grille, et les morceaux de verre. Elle ne se blesse pas, s’applique... A l’arrivée de ce petit groupe silencieux, insolite, quelques personnes d’une maison voisine se sont mises à une fenêtre. Puis, au bruit du verre qui éclate contre la grille, un type est sorti sur son perron qui domine le lieu. Il court chercher sa femme, et dit : Je suis le propriétaire, on ne m’a pas prévenu. Quelqu’un met son doigt sur la bouche, et dit : Chut ! Puis ajoute : C’est une cérémonie... La femme demande : Pour les rats ? C’est une cérémonie, répète-t-on gravement. La femme comprend alors qu’il se passe quelque chose. Elle fait taire son mari. Et regarde, fascinée, Mary qui nettoie amoureusement la grille. C’est alors que Nicolas Syros s’agenouille devant l’égout, accorde son bouzouki, et lance d’une voix déchirée un nouveau rébétiko. Un chant bouleversant, un adieu poignant qui résonne dans cet après-midi estival, enveloppe les arbres qui bordent l’impasse, monte vers le ciel miraculeusement bleu. Il chante dans cette prenante langue grecque : « Quand je mourrai dépose moi dans un coin tout seul et à mes côtés mets mon bouzouki - aman ! aman ! pour seule consolation ! Que personne ne vienne Je ne veux personne - aman ! aman ! Pour allumer la veilleuse ; Pas même celle que j’aime Je ne veux pas qu’elle verse ici des larmes... » L’instant est bouleversant. On dirait que l’esprit d’Elias est venu surveiller « sa » cérémonie, et celle-ci prend une dimension impensable. La lumière nimbe les têtes. Il n’y a pas de pleurs. Mais la gravité, la dignité de regarder la mort en face. L’endroit paraît transfiguré. Le geste sordide de jeter les restes d’une vie à l’égout s’éclaire pour l’éternité. J’ai songé au testament du « divin marquis » Sade, cet homme sans crainte et sans espérance, qui regardait notre âge de pierre mental avec ses yeux d’avenir grand ouverts, ce guetteur de lumière qui a demandé à être enterré au bord du chemin et que la végétation recouvre à jamais la trace de son passage. Je désire, disait-il, « que les traces de ma tombe disparaissent de la surface de la terre comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de la mémoire des hommes ». Sachant bien que son œuvre immense s’inscrivait à jamais dans la chaîne des libérateurs. Il en est de même de l’œuvre d’Elias Petropoulos. En quittant l’impasse des Rondeaux, nous nous sommes arrêtés au kiosque de la place Gambetta pour acheter Le Monde dans lequel Jacques Laccarière rendait hommage à Elias Petropoulos (il fut le seul en France, avec Willem le lundi suivant dans sa chronique « Images » de Libération). Jacques Lacarrière nous rappelait tout ce que fut ce rebelle, cet intraitable insoumis, cet esprit libre. « Ecrivain, poète, c’est certain. Mais aussi archiviste, fouilleur, scrutateur, explorateur, découvreur, collectionneur de toutes les curiosités, singularités et trésors méconnus de la Grèce d’aujourd’hui... » « Historien de l’ombre, spéléologue des bas-fonds, Magellan des continents perdus, chantre des silencieux, biographe des anonymes, Elias Petropoulos fut tout cela à la fois. Sans oublier son rire, son rire inimitable ! » Un peu plus tard, les amis se retrouvent au café. La Palette. Une tradition quand la mort nous paraît trop fumière. L’artiste turc Arslan, à qui je raconte les funérailles de son ami le poète grec Elias Petropoulos, résume alors la grandeur de l’événement : « Il a rejoint Diogène. » Jacques Vallet 30 septembre 2003 Photographie d’Elias Petropoulos par Gilles Berquet.
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Né à Stenay dans la Meuse en 1939, il est successivement instituteur, journaliste (plusieurs années à Libération, chroniqueur à france Culture et critique d’art contemporain. Il lance en 1977 une revue décalée et libertaire, Le fou parle, pour laquelle il reçoit le Prix de l’Humour noir. Ecrivain de romans noirs depuis cinq ans, Jacques Vallet s’est rapidement fait une place dans ce genre littéraire, avec L’amour tarde à Dijon en 1996, puis aux éditions Zulma : Pas touche à Desdouches (1997), La Trace (1998), Une coquille dans le placard (2000, Monsieur Chrysanthème (2001) et Abibabli (2003). L’endormeuse aux éditions du Cherche-midi est son dernier ouvrage.
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