Nouvelle
83, rue Ménilmontant

par Farah Kay,    

 

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Me voilà fin prête pour ce fameux casting ! Sois sexy Farah, sois le personnage et deviens.
Je décide d’entrer dans la peau du personnage de Clara.
Pantalon blanc moulant, string blanc bijou, top dévoilant le dos et...les petits escarpins qui vont avec.
Je me regarde et je si j’étais un mec, je ferais tout pour l’avoir toutes les nuits la Farah... euh ... la Clara.
Le réalisateur est une ancienne star du porno qui veut se reconvertir dans le septième art dixit l’intelligentsia.
Ce rôle me tient à cœur.
Moi qui n’ai joué que les filles sensibles (dans les films, bien sûr !) mise à part un personnage dans une série comique.
Une infirmière nymphomane : c’est enfin l’occasion de vivre par procuration les tremblements de chair de l’actrice de cul. Et ce, dans un film d’auteur, une aubaine !
Clara, je te veux et je te possèderai !
Marre du dramatique, trop facile ! Ouais, c’est ça, j’me la pète ! C’est mon droit !
Y à un moment où faut savoir ce qu’on vaut ! avait souligné un ami de longue date lors d’une discussion...
Eh ! J’suis pas sourde.
Bon, Clara ne se déshabille pas complètement, elle ne fera qu’ôter son t-shirt pour une scène.
Il n’est pas honteux de montrer ses seins, c’est bon pour une carrière !
Exhibo ? Affirmatif !
Enfin un rôle qui me permettra de mettre mes atouts physiques en avant.
Putain de merde ! Y a pas un réal en France qui ait compris qu’une trentenaire est à l’apogée de sa féminité, de sa beauté, de sa sensualité, de sa sexualité.
Une chatte trentenaire, ça en sait beaucoup plus qu’une chatte de vingt piges qui minaude à peine !
La gonzesse qui a de l’expérience, elle suce - mais elle suce bien !
C’est pas elle qui accrochera sa molaire décomposée par des yaourts light sur ton pénis, mec.
Puis, elle s’en foutra, elle, que t’u n’aies pas rasé les poils de tes couilles parce qu’elle... elle aime la queue. Vraiment.
Qu’elle soit fripée, coupée, petite, fine, grosse, lente au démarrage, de travers comme si elle tirait la gueule, rapide, fainéante, gourmande - ta queue - si elle t’aime - elle l’idolâtrera !
Tu pourras lui parler de tes fantasmes, elle s’activera pour les exaucer tes saloperies.
Tu rêves de ta meuf et d’une autre qui te suce pendant que tu baises l’autre ?
T’as même pas à demander, elle te le propose.
La claque sur la fesse, elle en redemande !
Bourre-la !
C’est pas grave si t’es pas un Brad Pitt ou un Mickey Rourke (avant ses barbares interventions chirurgicales esthétiques) elle ne verra que ta bite.
Si tu l’as molle, ta biroute, elle te convaincra que ça vient d’elle pour pas que tu sois dans la gêne.
Bon, j’en reviens au casting !

Je prends le métro, les hommes me mâtent comme s’ils n’avaient jamais vu une femme.
Clara, je suis Clara !
Farah n’existe plus. Clara lui a volé son corps.
Je sors du métro, sûre de moi. Ce n’est pas le moment de douter.
« Ménilmontant »
Le quartier est plutôt merdique ! On se croirait à Tanger !
« Bonjour, je suis Farah. »
« Ok. J’aimerais que tu te présentes et puis on fait une impro.
« Ok. »

« C’est bon, on tourne »
« Mais, c’est bien pour le personnage de Clara ? »
« Ah, j’avais oublié de te dire mais en fait, le rôle sera pris par une vraie actrice porno. »
« Ah »
« Je suis désolé, je sais qu’on t’avait proposé le rôle mais bon, elle est mondialement connue. »
« Je comprends »
Je fais mon impro.

En sortant de l’immeuble, je croise une copine. Liquéfiée et en larmes.
« Ben, Justine, ça va pas ? »
« Non, ça va. Des gamins m’ont fait chier dans la rue en m’insultant de pute ! »
« Oh, les cons ! »
« Non, c’est de ma faute, je n’aurais pas du m’habiller comme ça ! »
« On a le droit de s’habiller comme on l’entend, merde ! »
« Bon, Justine, bonne merde pour le casting, tu verras, ils sont cool. »
« Ben, tu me rassures, on s’appelle ? »
« Oui, la semaine prochaine sans faute. »
Kiss

Je marche vers le métro lorsque j’entends : « Hé ! »
Je continue mon chemin quand à nouveau : « Hé ! »
Un mec d’une trentaine, look sportif racaille sur ma gauche me dit : « Tu sais ce que tu donnes comme envie ? »
« D’abord, tu m’appelles pas Hé, et j’ai pas envie de savoir ! »
« Tu sais ce que tu donnes envie ? » rétorque t-il.
« J’ai pas envie de savoir ! Je ne te connais pas ! »
J’ai les nerfs !

« Espèce de sale pute, tu sais ce que tu donnes envie ? »
Je reste figée sur place. C’est un obsessionnel !
Je me sens en danger donc j’utilise la méthode numéro 1.
Je CRIE : « Tu ne me parles PAS ! JE NE TE CONNAIS PAS »
Il fait mine de me frapper.
Des gens circulent dans la rue, les boutiques sont grandes ouvertes et rien !
Le peuple s’en fout !

Il pourrait sortir un couteau, un gun !
Je me prépare à utiliser la méthode numéro 2.
Dernière tentative avant que j’utilise mes différentes armes : Le Krav Magga.
« T’es un malade ! Fous-moi la paix ! »
Là, comme par enchantement, il se méfie de moi et poursuit sa route devant moi.
Je me décide à ne pas ralentir le pas.
Nous nous trouvons dans la même rue, sur la même ligne, nos pas s’emboîtent sur des notes identiques.
Il y a du rythme.
La tête haute, je garde.
Puis, il tourne à gauche. Je me retourne au cas où...
Il me regarde m’éloigner et je lui lance un dernier regard de serial killeuse.

Résultat des courses : J’ai pas le rôle. Ce sera un autre personnage mais Clara a bel et bien existé dans la réalité durant quelques heures.

Farah l’a défendue. Nous étions fusionnelles.
J’inscrirai sur mon C.V. le rôle de Clara dans « 83, Rue de Ménilmontant », Mai 2005.
Coupée au montage.

La leçon que j’en ai tirée est que je ne changerai pas. Si je veux être sexy, je serai sexy. Où que je sois !
Ce lâche s’est prit pour Ben Laden !
Transfert. Il a cru voir sa mère ou sa sœur. De toute façon, c’est son problème. Pas le mien !
Le « foulard », il peut se l’insérer dans la raie de son cul, il aura peut-être un orgasme avec de la chance.

Il y a vraiment un problème entre les hommes et les femmes.
Plus que jamais en 2006.

Photographie "Rania Cairo 2002" droits réservés Youssef Nabil

 



Farah Kay

Belgo-marocaine vivant depuis cinq ans à Paris.
Célibataire.
Comédienne : elle a tourné des courts-métrages et un long métrage de Jan Bucquoy « Les vacances de Noel » avec Noel Godin pour partenaire, Yolande Moreau et Edouard Baer.
Elle gagne un concours de poésie dès l’âge de huit ans.
Ecrit pour ne pas tuer ! « Je serais devenue sérial killeuse si je n’avais pas trouvé un moyen d’expression : comédie ou écriture.
Fan de Mesrine, Robert De Niro, Al Pacino, Meryl Streep...
Achève un roman intitulé : Pink Téléphone.
Ecriture d’un long métrage : http://ippix.net/affiche/affiche.html

www.farah-kay.book.fr

 




 

 

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