Je ne supporte plus ! Plus ! Plus rien !
Je ne supporte plus les gens, la rue, les restaurants depuis qu’il m’a quitté.
« Il » c’était mon grand amour.
Et, comme la poisse n’arrive jamais seule, mon patron a suivi le mouvement en me jetant comme une merde après cinq ans de bons et loyaux services.
« Filou » mon chien, m’a quitté aussi.
Je le promenais au Bois de Boulogne et il s’est enfui sous mes yeux.
Je sais que là-bas, il ne sera pas seul mais bon...
Mais, avouez quand même que c’est un peu fort de café tous ces abandons !
J’espère toujours me réveiller.
Que ce cauchemar n’est qu’un cauchemar.
En attendant, je ne sors plus de chez moi.
J’ai fait de mon doux cocon un bunker.
Même Ben Ladden en serait jaloux.
C’est le web qui me tient compagnie.
Je rumine et je rumine et ça cogite et ça s’agite dans le labyrinthe intérieur de mon esprit.
Dédale a fait du bon boulot !
Le minotaure enfermé dans mes abimes se charge de toutes ces vierges.
Mais je ne suis plus une vierge.
Ça se saurait ! Quoique moralement...
Marre d’être la fille bien. La fille qui comprend toujours tout.
J’ai bien acheté trois boîtes de Xanax.
Je me surprends souvent à m’observer devant le miroir.
J’ai l’impression de ne plus me reconnaître.
Je me sens vaseuse, un peu floue.
C’est ainsi que je fais un petit tour sur le net...et me voilà dopée dans une personnalité
d’emprunt qui m’aide à vivre jusqu’au prochain mieux.
Le net est là et il occupe mes journées - voire une grande partie de la nuit.
Mes yeux picotent...
Je change... ma personnalité change.
Elle s’étoffe ma pensée. Elle se dédouble. Elle se dilate. Elle éclate.
J’ai longtemps fait le bien et je ressens un besoin fou de faire du mal.
Cela me soulage.
Qu’est ce que c’est bon de faire du mal, d’être une mauvaise fille.
Alors, je m’y suis mise.
Je me suis inscrite sur un site de rencontre et je drague des hommes.
Je cible les hommes mariés.
Je les rends accro à moi. J’usurpe l’identité de Carole bimbo de service.
Ben oui, elle aussi m’a lâchée en embarquant mon ex. avec elle.
Je hais les Carole, je hais les jolies filles !
C’est qu’elle est plutôt bien foutue, elle !
Faut dire que j’engraisse depuis que je ne sors plus. Les mauvaises graisses, la cellulite a élu domicile en mon corps.
Je n’ai jamais vraiment été belle.
Petite, j’avais un cheveu sur la langue. Mais lui...ne m’a jamais quitté pourtant.
Je ressemble un peu à la Joconde.
Mais de loin !
Mais quand « Il » m’aimait, tout ça ne comptait pas.
Quand il me regardait, je me sentais belle.
Alors, je bouffe, je bouffe de plus en plus, je bouffe à en crever.
Je bouffe à en saigner.
Pas difficile, avec le net, je me fais livrer à domicile.
Même les croquettes de « Filou » y sont passées.
C’est pas si dégoutant au final.
Avec un peu d’imagination culinaire, ça passe.
Un soupçon de cumin, de poivre et de paprika...ça passe.
Dire que j’ai rien vu venir de cette trahison.
Mon couple était un couple tout ce qu’il y a de plus normal.
Sans doute un peu trop. Normal.
Carole était un peu la sœur que je n’avais jamais eue.
J’avais tout construit autour de mon amour.
Le net a rempli doucement ce vide.
Ce vide qui vous tue lentement mais sûrement.
Je drague ces hommes, leur donne rendez-vous au Fouquets en leur promettant une nuit
d’enfer et je leur pose un lapin...
Je jouis à l’idée de les imaginer mal dans leur peau en comprenant que je ne viendrai jamais.
Il y a eu Marc, Philippe, Patrick...
On se parle avec MSN.
On tchatte, on s’émoticone et rendez-vous est pris.
J’inscris tout sur un petit carnet de bord et je compte mes victimes.
Vingt-trois à mon actif pour l’instant.
Il faut que ce chiffre grimpe. Faut qu’il décolle...
Je veux, je dois faire du chiffre.
Il n’y plus que ça dans ma tête, les chiffres...
J’ai enfin passé le cap de télécharger un logiciel interdit pour me concocter une discothèque
personnelle.
Je télécharge et cela n’arrête pas.
Du chiffre bon sang, du chiffre !
« Question de feeling » de Richard Cocciante.
« Destinée » de Guy Marchand.
« C’est moi qui part » de Claude Barzotti.
Ma préférée : « Promets-moi » de Claude Barzotti.
J’aime les chansons ringardes.
Et puis, j’ai toujours été ringarde !
J’aimerais tant tuer la romantique qui sommeille en moi pour réveiller la chienne que je veux devenir.
Désormais, je fais tout ce qui est interdit.
Je m’éclate.
Je suis addicte, addicte...au web !
J’en ai oublié mon ex, je crois que c’est plutôt bon signe.
La voisine à frappé à la porte mais je n’ai pas ouvert.
Pas envie.
Terminé la voisine sympa qui passe le sel ou dépanne d’un paquet de café le soir.
Plus envie de parler.
Je suis dans mon nouveau monde.
J’ai visité des sites web très intéressants.
J’ai même téléchargé un suicide en direct.
Un vrai de vrai.
Tous ces trésors à découvrir, oui, c’est ça, le web : la boîte de pandore. Il suffit de l’ouvrir et tout autour de vous et en vous se transforme en or.
Un site archéologique où l’on court de découverte en découverte.
Aucune fin possible.
C’est assez rigolo de voir un mec qui se tire une balle dans la tête, de le voir s’écraser avec sa cervelle et du sang qui sort de partout.
Il faut absolument que je me dé-purifie du bien que j’ai pu faire pour être une bonne fille, une bonne fiancée, une bonne amie, une bonne employée...
J’ai cependant contracté une drôle de manie.
Je ne peux m’empêcher d’éteindre et de rallumer la lumière cinq fois avant ....d’aller sur mon site préféré.
Et tout ça dans une rythmique parfaite.
C’est plus fort que moi.
Ensuite, je tape dix fois sur la lettre A de mon clavier.
C’est le feu vert accordé avant toute démarche.
Il y a un site où l’on peut créer des pétitions.
Alors, j’ai crée une pétition contre Carole.
Je l’envoie à tous mes contacts pour qu’ils alimentent mon combat.
J’ai besoin de signatures, signatures, signatures...signatures...
Pétition
Aidez-moi à détruire Carole !
La femme qui a pris l’homme d’un autre !
Voici son visage !
La trahie
J’ai ainsi amassé plus de 55 signatures et reçu une cinquantaine de mails d’encouragement.
J’ai aussi créé un comité pour sauver « Filou » du Bois de Boulogne.
Un de mes soutiens du web l’a croisé en train de monter dans une camionnette avec un homme.
Franchement Filou, avec l’éducation que je t’ai donnée.
C’est décevant.
« Filou » avait une tenue rouge brillante et des petits escarpins de la même couleur.
Un homme aux allures étranges surveillait la camionnette le temps de la passe.
« Filou » s’est fait embarquer dans un réseau et il nous faut tous signer cette pétition pour qu’il s’en sorte.
Je la transmettrai à Delanoé et Sarkozy. Je suis certaine qu’ils agiront.
Ensemble.
L’UMP et les Socialistes se ligueront pour sauver mon chien.
Après tout « Filou » est français.
Avec un bon pédigrée en plus.
Un pédigrée de notre bonne vieille France.
C’est un être du terroir !
Je compte sur votre aide à tous et souhaite des signatures, oui...beaucoup de signature de soutien.
Pétition
Sauvons FILOU des griffes d’hommes mal intentionnés du Bois de Boulogne.
Voici sa photo
Une maîtresse esseulée.
Cela faisait quelques minutes que j’entendais du bruit dans le couloir quand on a frappé à ma porte.
J’ai pensé que peut-être on me ramenait mon Filou ou que c’était « Il ».
Qu’il avait changé d’avis et s’était lassé de Carole.
Quatre hommes tout de blanc vêtus m’ont interrogé sur ma vie soudainement changeante d’après les dires de ma voisine.
Ils m’ont même acheté une jolie veste blanche.
J’étais touchée par ce geste.
En revanche, elle avait un défaut de fabrication, les manches étaient bien trop grandes.
Elles étaient dépourvues de trous pour y libérer mes mains.
Je ne leur en ai pas tenu rigueur.
Ils m’ont proposé d’aller faire un tour et de m’emmener me reposer à la campagne.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai été séduite par le projet.
Un week-end à la campagne avec quatre hommes tout habillés de blanc : c’étaient peut-être des amis d’Eddy Barclay.
J’avais créé plus de cinq cent pétitions et je dois bien avouer que cela m’avait un peu affaiblie.
La campagne me va bien. Je pense souvent à Filou.
J’espère qu’il a quitté ce milieu ingrat.
Je vais vous quitter car j’ai un cours à donner sur le web.
Ma classe m’attend.
Je crois que je vais rester ici. L’hôtel est confortable... et bien tenu.
Les domestiques sont méticuleux.
Mes affaires personnelles sont prêtes à heure fixe chaque semaine.
J’ai une chambre seule. Avec des murs tout doux - rembourrés de coussins.
J’espère qu’ils me garderont longtemps dans leur demeure.
C’est pourquoi je m’applique à être la meilleure hôte.
Chaque matin, on me réveille et j’ai droit à une pilule.
C’est la seule pilule qui passe d’ailleurs !